
TAZLA (de notre envoyé spécial). ¯ C'est un village de pierres sèches, niché dans les montagnes kabyles... Sous le soleil brûlant de midi, il semblait muré dans le silence quand Abdeslam, la trentaine, s'est approché.
Il nous a conduits à la fontaine où l'eau fraîche coule depuis cinq siècles. Et ensuite au cimetière, où reposent quatorze villageois et six maquisards tués par des bombes françaises pendant l'été 1958. Enfin, Seddick nous a ouvert sa maison et peu après, Khaled Terranti est arrivé. Bienvenue à Tazla autour du tahboult, le délicieux gâteau aux oeufs et au miel.
Tazla ne se livre pas d'emblée à l'inconnu. Le village a été trop agressé. Par l'armée française jadis, les terroristes islamistes il y a peu. Depuis deux ans, tout ça est en train de s'éloigner. Grâce à Khaled, enseignant à Moka, sur un piton voisin, et à tous ses amis de l'Association socio-culturelle de Tazla.
Faire du village un modèle
La nouvelle est d'abord parvenue à Montpellier, où travaille l'ingénieur agronome Nordine Boulahouat. Avec son association BÉDÉ, qui appuie depuis quinze ans les agricultures paysannes en Europe et en Afrique, l'homme s'est promis de « faire de Tazla un modèle de développement ». Tout en sauvegardant la biodiversité de sa Kabylie natale.
Le figuier à fleurs qui parfume les rues du village va faire des petits. Une pépinière a démarré. Un élevage de chèvres laitières et une fromagerie sont en projet. On songe à des sentiers de randonnée. BÉDÉ a mis Tazla au coeur d'un réseau. Les villageois travaillent avec des chercheurs en agronomie d'Alger, des spécialistes maghrébins de l'environnement et de la biodiversité en montagne.
Rémi, l'ancien appelé, et Djoudi, l'ancien moudjahidine
Rémi Serres a fondé il y a cinq ans l'Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre. Ses membres reversent leur retraite de combattant dans des actions en faveur de la paix. Rémi le paysan a rencontre Nordine l'ingénieur et fait de Tazla l'action phare de son association. L'ancien soldat est déjà venu trois fois ici. « Les habitants sont devenus des amis », confie-t-il au téléphone.
Tous les sentiers semblent mener à Tazla. De sa banlieue parisienne, Hocine Bensebane, qui avait fui le village à 2 ans sous les bombes françaises, a créé un blog pour recréer des liens entre ici et là-bas. Des jeunes Français sont déjà allés y retrouver leurs racines. Rémi Serres y a croisé aussi le moudjahidine Djoudi Attoumi. ll a gagné l'estime de l'ancien combattant indépendantiste de Béjaia. Proche du colonel Amirouche, « le lion de la Soummam », Djoudi Attoumi achève un ouvrage sur les appelés français qui ont sauvé l'honneur de la France auprès des Algériens.
« Des précurseurs », dit "Tonton Rémi"
À l'entrée du village, une petite épicerie autogérée, une « boutique solidaire », a été ouverte. Toutes les rues ont été cimentées. Cette année, le grand chantier, c'est l'adduction d'eau: ils vont y mettre les 2 900 € qui leur ont été donnés et construire eux-mêmes le château d'eau.
Au cœur d'une Algérie prisonnière de son histoire, le village kabyle respire dans sa montagne un air de modernité en enracinant son avenir dans son patrimoine, ses tomates roses, figuiers, oliviers, haricots ou piments...
Les jeunes sont invités à s'en saisir : « Nous projettons d'en faire travailler vingt-cinq, âgés de 6 à 18 ans dans une pépinière de plantes locales. Ils viendront semer, piquer, récolter avec les agriculteurs », a ajouté Khaled Terranti quand nous nous sommes séparés à la sortie du village. Comme dit Rémi Serres, surnommé ici Aâmi Rémi (tonton Rémi): « Les gens de Tazla sont des précurseurs. »
Michel ROUGER