Vu au TNB, à Rennes, salle Piccoli comble !
Ma maison mon A/Entre, de Sabrina Cohen
Une maison.
Qu’est-ce qu’une maison ? Une enveloppe nous dit l’artiste que filme Sabrina Cohen.
L’artiste se nomme Zéhavite Cohen-Boubaker. Rien ne rejoint l’artiste et la cinéaste
autrement que leur nom, l’origine bien sûr, et l’amitié puissante qui donne naissance à ce
documentaire.
L’artiste n’est pas née sous ce toit. Elle y vit depuis tant de décennies qu’elle y a dessiné,
découpé, entretenu, peinturluré, exposé, explosé, recouvrant tout, on a dit tout, du sol aux
plafonds, plafonds compris, les murs, les portes, les cloisons, les miroirs, les armoires, les
placards, les couloirs, la table et, désormais, finish du film avant cut-final, les chaises !
Peinturlure ou plutôt graffiture, s’agissant de ces dernières, les chaises, en famille. Bravo dit
l’artiste que son compagnon musicien, auteur de la belle musique joueuse du film,
accompagne ou, c’est selon, tolère dans ce bateau-foutoir.
Bateau-lavoir ?
Palais idéal du Facteur pas Cheval ? Nous ne sommes pas à Hauterives.
Maison de Ben Vautier ? On l’a vu passer son temps à longueur de jour et de nuit à déplacer
tous les panneaux, les affiches, les tableaux chaque jour, de dehors à dedans, de haut vers le
bas, des façades aux arbres chaque jour de sa vie Route de Saint-Pancrace au-dessus de
Nice.
Ici, chez Zéhavite, c’est Toulouse ou ses abords.
Toulouse et sa pression démographique, la plus forte des villes de France, qui condamne les
petits quartiers façon village, les bords de ville façon cité ouvrière et vieille boutique
d’enfance avec la saumure et les seaux d’anchois qui traînaient dans l’épicerie israélienne
dont quelques images archivées témoignent, parsemant le film. Les vieilles jarres ne risquent
plus de traîner dans les lotissements standards ni les rues siamoises aux étages mous,
balcons et loggias, qui se ressemblent au-dessus et en dessous de la Loire, sans âme ou si
peu.
L’artiste résiste.
L’artiste chiffonne, griffonne. L’artiste fait œuvre totale, s’immisce, s’inocule la maison (ou
c’est l’inverse), devient ses peaux, sa respiration. Zéhavite est puissante. Larges épaules nues
ou bras tatoués quand on les voit. Elle hante la maison pour que sa maison soit moins
hantée.
Quoi faire quand on est seul et qu’on ne dort pas.
Zéhavite a la solution : peindre. S’attaquer à un mur s’il en reste un, qu’il devienne tableau,
ville, monde, fresque, aventure.
Elle résiste sans résistance. Voit arriver les bulls depuis sa fenêtre et les énormes griffes
machiniques et dévoreuses. Elle voit s’écrouler, mur après mur, la maison d’â côté, réduite
en deux coups de bulldozer à pot, être détruite. Vies, histoires, anthropologies,
transmissions anéanties. En deux jours, un quartier devient une plaine de pierres grises.
Champs de batailles pour les fantômes.
Zéhavite peut se résigner. Dire à Heddy, le compagnon musicien, ok, on fout le camp. Elle
peut dire d’accord, je préfère que mon œuvre, la maison, devienne rien.
Rien au lieu d’une maison tableau. Rien en lieu et place d’une maison expo, d’un musée
vernaculaire, d’une caverne pariétale moderne.
Gaston Chaissac, le rustique moderne, le Picasso en sabots, en rirait jaune dans sa tombe si
on écoutait aux portes des tombes dans le cimetière de Vix en Vendée.
Robert Tatin se retournerait dix-mille fois dans son mausolée frapadingue de Cossé-le-
Vivien, en Mayenne.
Sabrina Cohen filme comme on écoute. Elle prend le temps. Elle revient durant trois ans.
Tous les changements de saison sont prétexte, et les humeurs de Zéhavite. Le suspense est
de plus en plus grand, mais la maison, cet antre placentaire est si doux que même l’adversité
semble anesthésiée. Tant de couleurs. Tant de douleurs. La cinéaste attend de ses mots. De
ses silences. Ceux de l’artiste, qui prend la lumière, ni plus ni moins que ses chambres,
fenêtres, y compris les persiennes. Gros plan de bouche. De regard. L’artiste, en vieille punk
israélienne, en sait quelque chose des maisons qu’on abat, des enveloppes qu’on arrache,
des mères qui foutent le camp et laissent leur fille en plan. Elle avait seize ou dix-sept ans.
Comme si c’était aujourd’hui.
Voilà que ça recommence.
Elle accepte. Elle dirait oui à l’avis de démolition. Oui à l’expulsion. Aux menaces d’huissiers
et de promoteurs.
Et puis, avec la même rage douce, elle dit non.
Ils restent. Elle reste. Les enfants garderont leurs chambres.
Ils sont vieux, et alors, c’est leurs chambres non ?
Il faut voir les mains de Zéhavite qui froissent les imprimés administratifs. On les voit déjà,
ces boules échevelées de papier, ces hérissons d’absurdité devenir papillons aux murs,
mobiles au plafond, araignées sublimes !
Heddy gardera la seule pièce vide, avec celles des enfants, où les guitares sont nombreuses,
accrochées l’une à côté de l’autre comme une accumulation d’Arman.
Et le reste ? Une œuvre totale.
Des figures grimacent. Des poupées acrobates tournent sur elles-mêmes. Des couleurs, des
jaillissements, des dégoulinures. Des figures défigurées, des visages dévisagés, du jardin au
grenier, des allées aux salles de bain. Le château est de couleurs, la maison une œuvre en
soi.
De colliers, de pin’s, de pan’s et de poun’s, tout ce qui peut recouvrir recouvre, tout ce qui
peut vêtir vêt, tout ce qui peut emballer emballe. La maison nous emballe ! Afrique ou
Bouddha, le syncrétisme de l’art brut est ici chez lui !
Quand l’artiste touche les murs, elle dit que c’est sa peau.
On la croit.
On pourrait trouver cette maison de Zéhavite dans le fabuleux ensemble composé par Bruno
Montpied intitulé Le gazouillis des éléphants* ! La maison Cohen-Boubaker pourrait y
justement occuper cinq ou si pages dans ce village-livre où se retrouvent des maisons à
visiter ou des invisitables, car Montpied les collectionne depuis longtemps. Certaines ont été
rasées par les lotisseurs ou cédées par des héritiers las.
Beau premier film de Sabrina Cohen qu’on a connue artiste complète, musicienne ou
parleuse. Joli docu, à réclamer dans toutes les salles. Produit par Zéro de conduite qui
accompagne, produit, crée en Bretagne. Un trésor !
Le Gazouillis des éléphants, Bruno Montpied, éditions du Sandre, 907 pages, 39€
Ma maison mon A/Entre, de Sabrina Cohen
Une maison.
Qu’est-ce qu’une maison ? Une enveloppe nous dit l’artiste que filme Sabrina Cohen.
L’artiste se nomme Zéhavite Cohen-Boubaker. Rien ne rejoint l’artiste et la cinéaste
autrement que leur nom, l’origine bien sûr, et l’amitié puissante qui donne naissance à ce
documentaire.
L’artiste n’est pas née sous ce toit. Elle y vit depuis tant de décennies qu’elle y a dessiné,
découpé, entretenu, peinturluré, exposé, explosé, recouvrant tout, on a dit tout, du sol aux
plafonds, plafonds compris, les murs, les portes, les cloisons, les miroirs, les armoires, les
placards, les couloirs, la table et, désormais, finish du film avant cut-final, les chaises !
Peinturlure ou plutôt graffiture, s’agissant de ces dernières, les chaises, en famille. Bravo dit
l’artiste que son compagnon musicien, auteur de la belle musique joueuse du film,
accompagne ou, c’est selon, tolère dans ce bateau-foutoir.
Bateau-lavoir ?
Palais idéal du Facteur pas Cheval ? Nous ne sommes pas à Hauterives.
Maison de Ben Vautier ? On l’a vu passer son temps à longueur de jour et de nuit à déplacer
tous les panneaux, les affiches, les tableaux chaque jour, de dehors à dedans, de haut vers le
bas, des façades aux arbres chaque jour de sa vie Route de Saint-Pancrace au-dessus de
Nice.
Ici, chez Zéhavite, c’est Toulouse ou ses abords.
Toulouse et sa pression démographique, la plus forte des villes de France, qui condamne les
petits quartiers façon village, les bords de ville façon cité ouvrière et vieille boutique
d’enfance avec la saumure et les seaux d’anchois qui traînaient dans l’épicerie israélienne
dont quelques images archivées témoignent, parsemant le film. Les vieilles jarres ne risquent
plus de traîner dans les lotissements standards ni les rues siamoises aux étages mous,
balcons et loggias, qui se ressemblent au-dessus et en dessous de la Loire, sans âme ou si
peu.
L’artiste résiste.
L’artiste chiffonne, griffonne. L’artiste fait œuvre totale, s’immisce, s’inocule la maison (ou
c’est l’inverse), devient ses peaux, sa respiration. Zéhavite est puissante. Larges épaules nues
ou bras tatoués quand on les voit. Elle hante la maison pour que sa maison soit moins
hantée.
Quoi faire quand on est seul et qu’on ne dort pas.
Zéhavite a la solution : peindre. S’attaquer à un mur s’il en reste un, qu’il devienne tableau,
ville, monde, fresque, aventure.
Elle résiste sans résistance. Voit arriver les bulls depuis sa fenêtre et les énormes griffes
machiniques et dévoreuses. Elle voit s’écrouler, mur après mur, la maison d’â côté, réduite
en deux coups de bulldozer à pot, être détruite. Vies, histoires, anthropologies,
transmissions anéanties. En deux jours, un quartier devient une plaine de pierres grises.
Champs de batailles pour les fantômes.
Zéhavite peut se résigner. Dire à Heddy, le compagnon musicien, ok, on fout le camp. Elle
peut dire d’accord, je préfère que mon œuvre, la maison, devienne rien.
Rien au lieu d’une maison tableau. Rien en lieu et place d’une maison expo, d’un musée
vernaculaire, d’une caverne pariétale moderne.
Gaston Chaissac, le rustique moderne, le Picasso en sabots, en rirait jaune dans sa tombe si
on écoutait aux portes des tombes dans le cimetière de Vix en Vendée.
Robert Tatin se retournerait dix-mille fois dans son mausolée frapadingue de Cossé-le-
Vivien, en Mayenne.
Sabrina Cohen filme comme on écoute. Elle prend le temps. Elle revient durant trois ans.
Tous les changements de saison sont prétexte, et les humeurs de Zéhavite. Le suspense est
de plus en plus grand, mais la maison, cet antre placentaire est si doux que même l’adversité
semble anesthésiée. Tant de couleurs. Tant de douleurs. La cinéaste attend de ses mots. De
ses silences. Ceux de l’artiste, qui prend la lumière, ni plus ni moins que ses chambres,
fenêtres, y compris les persiennes. Gros plan de bouche. De regard. L’artiste, en vieille punk
israélienne, en sait quelque chose des maisons qu’on abat, des enveloppes qu’on arrache,
des mères qui foutent le camp et laissent leur fille en plan. Elle avait seize ou dix-sept ans.
Comme si c’était aujourd’hui.
Voilà que ça recommence.
Elle accepte. Elle dirait oui à l’avis de démolition. Oui à l’expulsion. Aux menaces d’huissiers
et de promoteurs.
Et puis, avec la même rage douce, elle dit non.
Ils restent. Elle reste. Les enfants garderont leurs chambres.
Ils sont vieux, et alors, c’est leurs chambres non ?
Il faut voir les mains de Zéhavite qui froissent les imprimés administratifs. On les voit déjà,
ces boules échevelées de papier, ces hérissons d’absurdité devenir papillons aux murs,
mobiles au plafond, araignées sublimes !
Heddy gardera la seule pièce vide, avec celles des enfants, où les guitares sont nombreuses,
accrochées l’une à côté de l’autre comme une accumulation d’Arman.
Et le reste ? Une œuvre totale.
Des figures grimacent. Des poupées acrobates tournent sur elles-mêmes. Des couleurs, des
jaillissements, des dégoulinures. Des figures défigurées, des visages dévisagés, du jardin au
grenier, des allées aux salles de bain. Le château est de couleurs, la maison une œuvre en
soi.
De colliers, de pin’s, de pan’s et de poun’s, tout ce qui peut recouvrir recouvre, tout ce qui
peut vêtir vêt, tout ce qui peut emballer emballe. La maison nous emballe ! Afrique ou
Bouddha, le syncrétisme de l’art brut est ici chez lui !
Quand l’artiste touche les murs, elle dit que c’est sa peau.
On la croit.
On pourrait trouver cette maison de Zéhavite dans le fabuleux ensemble composé par Bruno
Montpied intitulé Le gazouillis des éléphants* ! La maison Cohen-Boubaker pourrait y
justement occuper cinq ou si pages dans ce village-livre où se retrouvent des maisons à
visiter ou des invisitables, car Montpied les collectionne depuis longtemps. Certaines ont été
rasées par les lotisseurs ou cédées par des héritiers las.
Beau premier film de Sabrina Cohen qu’on a connue artiste complète, musicienne ou
parleuse. Joli docu, à réclamer dans toutes les salles. Produit par Zéro de conduite qui
accompagne, produit, crée en Bretagne. Un trésor !
Gilles Cervera
Le Gazouillis des éléphants, Bruno Montpied, éditions du Sandre, 907 pages, 39€




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