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Cinéma


Sept hivers à Téhéran

21/04/2023


Reyhaneh Jabbari est cette femme qui a plus qu’ému l’opinion démocrate mondiale avant d’être pendue par le pouvoir théocratique fou des mollahs. Un film nous fait revivre ce suspense sans suspense et cette fin sans surprise.

D’abord la forme de ce film. Le premier de la réalisatrice allemande Steffi Niederzoll qui a rencontré en Turquie un cousin de Reyhaneh qui passait clandestinement les bris et bribes de témoignages de la famille Jabbari.

Le film se construit avec ces vidéos familiales hasardeuses, ces anniversaires banals et ces grimaces adolescentes encore plus banales d’une jeune fille vivante, vibrante dans une famille perse, téhéranaise, moderne et moderniste entre la fin du dernier siècle et le début de celui-ci.

Une éducation trop européenne ! C’est ce qui sera reproché par les polices théocratiques à la mère. On voit sous toutes ces formes cette famille ordinaire dans ses moments de filmage approximatifs et amateurs – ces films qu’on n’aurait jamais dû voir. Sept hivers à Téhéran est un puzzle infiniment doux et complexe, juxtaposant les images vidéo de ce long temps, ces sept hivers, où les parents se battent pour éviter le pire. Et Reyhaneh en premier, face aux polices, broyée, niée, dans l’obscur tunnel d’une justice injuste et patriarcale.

Dans ce patchwork filmique, le plus intense n’est sans doute pas de voir Reynaheh souffler ses bougies ni danser comme une ado désinvolte mais cela montre le vivant, le joyeux, l’insouciant. Le plus intense n’est sans doute pas non plus son journal de prison lu par l’actrice iranienne en exil à Paris, Zar Amir Ebrahimi mais ses mots frappent, ciselés et nets. Non le plus puissant, c’est sa voix, ce sont ses coups de fils depuis la prison où elle va croupir sept ans, sept hivers, avant d’être pendue.

Le talion des cons !

Le talion des sans talents, le talion s’impose dans un espace, l’Iran où jamais plus qu’aujourd’hui, mais déjà en 2014, la tension sociétale n’aura été poussée à ce point. Entre une société moderne, une Perse civilisée et civilisatrice, une culture fine, élaborée, libertaire et un aplat idéologique des plus fermés et des plus torves. Sournoise idéologie faisant usage de dieu pour écraser, de la religion pour asservir, d’un culte de la personnalité pour tuer.

Comment cette tension entre l’intelligence et la bêtise est-elle encore et de plus en plus réelle ? Cent mille gardiens de la révolution veillent.

Pour cent millions d’Iraniens des villes, les plus éclairés et qui aspirent au vertige de la modernité et d’Iraniens des campagnes -grâce à Jafar Panahi, on a vu récemment le poids lourd des traditions dans l’Iran rural, crédule et superstitieux : Aucun ours, est son dernier opus à voir pour ne pas se consoler de la mort injuste de Reynaheh Jabbari.

Cette jeune fille de dix-huit ans, belle et enjouée, est assise à une terrasse. Un samedi après midi à Téhéran comme dans toutes les villes du monde, une jeune-fille parle au téléphone, assise à une terrasse de café. À quelques tables de la sienne, un homme l’écoute et vient la voir, fort et affable de ce qu’il a entendu. La jeune fille, s’adressant à une amie, faisait allusion à son école de design d’intérieur et, justement, cet homme, médecin, chirurgien esthétique -se méfier des chirurgiens esthétiques ! avait à transformer un appartement en cabinet.

La chance de sa vie, se dit Reyhaneh.

Comme l’enthousiasme de n’importe quelle jeune adulte qui pense l’ouvert grand ouvert, la vie immense et le destin joué comme un dé qui retombe à tous les coups sur sa face ensoleillée.

Rendez-vous est donné par le médecin dans l’appartement en question quelques jours après afin que la jeune femme repère, planifie, crée.

Le piège.

Piège infernal qui va prendre sept ans, sept hivers, fermer une vie définitivement. Sept hivers en prison, sept hivers pour écraser une famille. Les deux sœurs de Reyhaneh témoignent. Dignes. Pleurent. Dignement. Le père pleure sans lever les yeux. La mère pleure face à la caméra, la mère nous regarde, elle hurle, elle crie, s’élève contre le pouvoir des fous furieux, en exil désormais d’où elle continue, au nom de sa fille exécutée lâchement, à vouloir dénoncer la triple peine des femmes.

Violée. Déniée. Tuée.

Reyhaneh sent le piège qui se referme. Le verrou de la porte de l’appartement le prouve. Aussi le drap sur le canapé et l’homme visqueux. La voix de la jeune femme se bloque. Tétanisée. Elle voit sur la table de salon un couteau. Vas-y dit l’homme, poignarde-moi en lui montrant son dos. Il meurt.

Le procès s’ensuit. L’homme est un agent d’espionnage, protégé au centuple, une sorte de notable. Double protection : un homme, un notable du régime.

La balance de la Justice, sculptée sur tous les meubles de la salle du procès, ne penche que d’un côté.

Sept hivers à Téhéran est un film précis, net, documentaire sériel où les sept années défilent, les espoirs, la désespérance, l’interpellation de la communauté internationale, la fin.

Attendue. La fin la pire.

Reyhaneh dans sa prison est confrontée aux prostituées, aux délinquantes, aux toxicos, aux femmes avec lesquelles, laissant tomber ses jugements moraux, elle s’allie. Témoignent deux anciennes co-détenues. Tout est émouvant dans ce montage puissant, chaotique, dont la fin finale est connue dès le début et où,  peut-être, la musique en fait trop, mimant les reportages télés où il faut en rajouter alors qu’ici, pas besoin.

C’est un premier film, on l’a dit. Les auteurs parfois veulent en faire un peu trop. La cause ici est trop puissante pour qu’on mégotte ou chichite.

Le montage nous traverse.

La salle laisse défiler le générique long sans bouger de sa place.

Tétanisée. On prendrait un poignard si on pouvait et on le ficherait dans le dos de ce régime inepte qui s’effondrerait.

On serait une femme qui rêve.

À Téhéran. Quand ?

Gilles Cervera

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