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16/04/2020

Les "10 paradoxes" de la crise du Covid-19


A l'initiative de Jean-Yves Dagnet, membre de la rédaction d'Histoires Ordinaires, Jean-Luc Léger, président du Conseil Economique Social et Environnemental Régional (Ceser) de Normandie, analyse ici les "paradoxes" de la crise sanitaire.


Les "10 paradoxes" de la crise du Covid-19
« La catastrophe du Coronavirus, explique-t-il en préalable,  produit une crise systémique et est le révélateur d’une myopie collective qui se traduit par une vision à court terme de la plupart des acteurs collectifs (politiques, économiques et sociaux) et une grande partie de la  population qui ne témoignent pas d’une volonté d’anticiper et de prévoir les conséquences pour demain et ainsi d’innover. 

D’abord la myopie. Les Etats et les organisations internationales comme l’OMS, n’ont pas vu venir le Coronavirus. N’ont pas vu ou n’ont pas voulu voir. Pas seulement pour des raisons de propagande politique, comme pour la Chine mais aussi parce que nous sommes empreints de cette idéologie cartésienne de la domination de l’homme sur la nature. Or, l’hypothèse d’un virus décimant la population planétaire était inéluctable comme en 1918 – 1919 ou comme les grandes épidémies de la peste ou du choléra. Nous refusions d’en imaginer l’échéance et par conséquent, la possibilité. 

Concernant la crise systémique, une précision, ce n’est pas le virus qui en est la cause. Il en est le vecteur, simplement le vecteur. Qu’on le souhaite ou non, la transformation économique, sociale et environnementale que cette crise systémique engendrera, sera de même nature, de même importance que la fin du servage au 14ème siècle, à la suite des effets dramatiques de la grande peste. 

Nul doute que les chercheurs et le personnel soignant nous sauveront et qu’un vaccin sera découvert. Nul doute que nous n’aurons plus peur, à terme de ce virus. Mais d’autres émergeront, soyons-en maintenant persuadés. 

Dans les semaines qui viennent, le combat est contre le virus. Dans les mois à venir, le combat sera contre la crise systémique. 

Dix paradoxes... et des propositions

Identifions les 10 paradoxes qui nous permettront d’agir. 

Premier des paradoxes. Le repli sur soi et l'anticipation. Oui, il faut se confiner, fermer les frontières pour se sauver et sauver les autres, ceci à très, très, court terme. Mais il faut également anticiper l'après ; le temps de l’irresponsabilité de l’imprévision ou du « on verra plus tard » doit être révolu.

Deuxième paradoxe. L'économie plonge, la solution est systémique. Il faut anticiper une relance mais il faut également considérer que les questions sociales, environnementales seront les vecteurs principaux de cette relance. Ceci veut dire que paradoxalement, nous ne parviendrons à relancer l’économie que si cette fois, nous prenons les problèmes à l’endroit, à savoir : produire ce qui est utile et non produire pour produire ; le travail et l’emploi doivent être revisités ainsi que l’activité humaine, dans son ensemble. L’approche, pour résumer, doit être systémique. 

Troisième paradoxe. Les pleins pouvoirs dans l’urgence, la démocratie comme remède. Les quasi pleins pouvoirs, par les lois d'urgence sanitaire, ont été attribués au gouvernement et aux exécutifs des collectivités territoriales. Mais le retour à la normale ne pourra s'exercer que par une démocratie contributive plus présente, plus forte, associant tout autant les élus des assemblées délibératives que les citoyens eux-mêmes, permettant une mise en mouvement des territoires avec tout ce qui les compose : les habitants en tout premier lieu, les acteurs collectifs : collectivités publiques, entreprises et associations ; mais aussi, leurs cultures, les modes de relations sociales, les niveaux de qualifications de la population, et leurs géographies physiques ; nous ne pourrons sortir de la crise systémique qu’en facilitant les initiatives des territoires. 

Quatrième paradoxe. La proximité et l’ouverture sur les autres. Le confinement et la fermeture des frontières conduisent à plus d'achats de produits nationaux. Faciliter les initiatives des territoires laisserait penser au morcellement et à l’archipélisation de la France. Pour sortir de la crise systémique, il faudra par la suite s'ouvrir à plus de coopérations : internationales, transnationales et entre les territoires français : c’est tout l’intérêt de la mise en mouvement des territoires. Acheter Français, c’est revenir à l’intérêt de la proximité. Mais la proximité s’enrichit des échanges avec les autres. 

Cinquième paradoxe. Puisque tout se vend, revenons à nos valeurs. Nous voulons mettre de la valeur marchande sur tout, y compris sur l’immatériel, sur les biens communs. Dans le même temps nous minimisons, voire nous rejetons la référence aux valeurs de ce qui nous est commun. Nous nous refusons aussi à les hiérarchiser au nom d’une liberté d’opinion qui voudrait que la parole de chacun a le même poids, que l’on soit décideur ou personne seule, acteur collectif ou individu, dispensateur de savoirs ou ignorant, etc. Mais pour sortir de la crise systémique, il nous faudra faire preuve de responsabilité et reconnaître ces valeurs qui nous sont communes, les partager et les hiérarchiser dans les domaines aussi divers que l’économie, la vie sociale des citoyens, la culture, l’environnement, les solidarités, etc. 

Sixième paradoxe. L’innovation contre les déterminismes. Nous nous référons à l’histoire de nos territoires et des personnes qui ont agi. Et nous avons raison. Mais trop souvent, la référence à l’histoire conduit à la croyance de déterminismes, de l’immuable, de quelque chose qui dépasse l’action humaine. Combien de fois ai-je entendu des personnes, y compris des élus locaux, dire « Chez nous, ça a toujours été comme ça, on n’y peut rien ». Pour cela, il faut innover. Innover c’est d’abord considérer que nous voulons agir, non pas sur la nature, mais sur le futur en le transformant, en dépassant les déterminismes.  

Septième paradoxe. Moins d’argent pour plus d’initiatives. A tous les niveaux, il va y avoir des réajustements budgétaires : au niveau de l’Etat, des collectivités territoriales, des entreprises et des associations. Des drames humains vont se révéler. Sortir de la crise systémique sera alors de reconnaître la valeur inestimable des personnes, des organisations de toute nature, solidaires, qui prendront des initiatives, comme actuellement pour aider les personnes âgées, handicapées, isolées. Ce sera de reconnaître que le service public n’est pas étroitement lié à la puissance publique comme pendant les 30 glorieuses. La mise en mouvement des territoires pourra alors prendre tout son sens et les élus locaux deviendront moins des gestionnaires de services et beaucoup plus des animateurs de leurs territoires. 

Huitième paradoxe. Nos sociétés de mouvements doivent devenir proactives. L’expression « nous sommes dans un monde qui bouge » est connue de tous, c’est même devenu un slogan. Il faut passer d’un monde qui bouge à une société en capacité d’être réactive dans un premier temps puis proactive, ce qu’elle n’est pas. Le Coronavirus nous le démontre cruellement. Mais pour cela, il nous faut à nouveau croire en nos normes et les respecter. Les normes, en référence aux valeurs, ne figent pas une société, elles définissent des jalons qui permettent d’aller de l’avant, les normes, avec les valeurs sont la boussole de la société. 

Neuvième paradoxe. Passer de l’homme providentiel à la mise en mouvement des territoires. Pour sortir de la crise systémique, le recours à l’homme providentiel ou à la femme providentielle, sera la tentation. Le désir du retour au confort risque d’être le plus grand danger. La mise en mouvement des territoires permettra les initiatives, l’attente veine de la parole protectrice sera alors inutile. 

Dixième paradoxe. Des projets forts avec beaucoup d’humilité. Pour sortir de la crise systémique, il faudra des projets politiques, économiques, sociaux, environnementaux, culturels, etc., structurés, articulés entre eux, construits tout autant par les gouvernants que par les gouvernés selon des logiques ascendantes. Pour y parvenir, le mythe de la domination de l’homme sur la nature devra être classé dans les grandes inepties de la pensée humaine, par conséquent, il faudra concevoir et mettre en œuvre ces projets avec beaucoup, beaucoup, beaucoup d’humilité. 

Ces paradoxes veulent exprimer que le tout économique, l'enfermement sur soi, le moins de démocratie, l’unique au détriment de l’unité, la décision du haut vers le bas, etc., ne feront qu’entretenir la crise systémique tout autant sanitaire, culturelle, écologique, sociale, qu'économique. Les mesures prises en ce moment ne peuvent être que de court terme. Le long terme est à concevoir dès maintenant. »

Jean-Luc Léger

(L'intertitre est de la rédaction)



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