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30/06/2022

Patrick fait des plantes sauvages des alternatives aux pesticides

Texte et photos : Tugdual Ruellan


Patrick Goater, 54 ans, est producteur d’extraits fermentés dans les Côtes d’Armor. Avec Eric Petiot, il prouve que les plantes peuvent venir au secours des plantes et que les alternatives biologiques aux pesticides sont dans la nature… à portée de main.


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Patrick fait des plantes sauvages des alternatives aux pesticides
Voilà plusieurs heures que Patrick sillonne les petits sentiers de Quemper-Guezennec, non loin de Paimpol dans les Côtes d’Armor. Il connaît les fossés et les sous-bois comme sa poche. Il a attendu que les brumes de la nuit se dissipent, il a guetté le lever du jour pour enfin collecter les précieux végétaux. Elles sont là sous notre nez, tapies dans le feuillage, masquant un vieux mur, s’épanouissant à l’ombre du chêne… Il y a la fougère, la luzerne, la consoude, la prêle, le pissenlit… Il y a la reine, l’ortie, crainte parce qu’elle pique, détruite parce qu’elle envahit et qui pourtant, ne cesse de nous émerveiller par sa capacité à prévenir de nombreuses maladies et attaques d'insectes. Avec sa serpe, d’un geste précis, tel le cueilleur de la nuit des temps, Patrick collecte  les plantes. Aujourd’hui, c'est grande marée. Il poussera la balade jusqu’à la plage pour y cueillir, à la serpe, les laminaires fraîches.

L’importation de produits artisanaux après la biologie

Les Goater sont connus dans les communes autour du Menez Bré, dans les Côtes d’Armor. Du côté maternel, la famille a ses origines autour de Ploumilliau. Mais, tant du côté de son père que celui de sa mère, les origines sont paysannes. Patrick vit depuis 1992 dans le petit village de Kervalgon à Quemper-Guezennec. Très tôt, il a choisi la biologie et l’écologie pour se former. Il met rapidement un terme à ses études rennaises, refusant la vivisection. Alors, en 2008, parce qu’il a le goût des voyages et des rencontres, il s’installe comme importateur et pratique la vente directe de produits artisanaux avec l’Inde et le Maroc.
 
J’ai toujours aimé le voyage. Comme un Marco Polo, je ramenais des produits d’artisanat que je revendais à mon retour. De quoi vivre et me payer un autre voyage. J’ai pratiqué cette activité pendant une vingtaine d’années. J’ai développé une forme de commerce équitable, rémunérant correctement l’artisan. Avec le taux de change, je faisais un bénéfice ce qui me permettait de chercher des produits que l’on ne trouve nulle part ailleurs. De beaux vêtements, des chaussures, de l’artisanat… Je dessinais de nouveaux modèles et passais des commandes. Jamais, je n’ai marchandé. J’ai toujours payé plus que le prix demandé, souvent 50 % plus cher que le cours local.

Des légumes cultivés dans du sable salé

Patrick choisit de ne travailler que six mois de l’année, pratiquant la vente d’abord en magasin puis sur les marchés. Le temps de « non travail », il le consacre à la réflexion, la méditation, le voyage. En Inde, il retrouve régulièrement son maître de yoga, un homme qui vit simplement de la terre qu’il cultive, surnommé « le servant des paysans ». Pendant trois ans et demi, il partage son quotidien, en pleine forêt. Il y a juste une rivière, une vache, un feu et… le silence. Il s’initie alors aux pratiques agricoles biologiques et découvre, dans le Kerala, à deux cent mètres de la mer, l’influence des micro-organismes efficaces (EM). Grâce à eux et des composts de matière organique bien fermentée, nommés « bokashis », il parvient à cultiver toutes sortes de légumes biologiques. L’ancienne cocoteraie est pourtant reconnue comme totalement inculte, emplie de… sable salé !
 
En Inde, il retrouve régulièrement Amma, qu’il connaît depuis 1997. L’indienne généreuse, surnommée "la mère des cœurs", fait le tour du monde depuis 1975 pour étreindre, consoler ceux qui souffrent et délivrer un "simple message de paix et d'amour". Pendant près de quatre ans, il vit dans sa proximité, réalise avec elle quatorze voyages à travers les grandes villes du monde et s’initie à la métaphysique, cette quête rationnelle dont l’objet « vise la connaissance de l'être, de la nature et de la matière, des causes de l'univers et des principes premiers de la connaissance. »

Purin d’ortie, les plantes au secours des plantes
 
Puis, l’envie de changer lui prend et aussi, le désir de retrouver la terre bretonne. C’est le livre de Bernard Bertrand, Eric Petiot et Jean-Paul Collaert, « Purin d’ortie et compagnie, les plantes au secours des plantes » (éditions de Terran, 2007), qui le relie soudain à son goût premier pour la biologie et l’écologie. Un grand succès de librairie vendu à 150.000 exemplaires !
 
C’est comme une « fulgurance » qui a jailli ! Tout pour moi était contenu dans ce livre, tout ce en quoi je croyais intimement pour le respect de la terre. Les plantes pouvaient traiter la plupart de nos problèmes au jardin et en agriculture sans employer le moindre produit chimique. C’est décidé : j’allais me lancer comme producteur d’extraits fermentés.

La guerre de l’ortie éclate

Mais Patrick ne le sait pas encore. Il a mis le pied dans un terrain miné, sous haute surveillance de l’État et des lobbies de l’agrochimie. La nouvelle loi d’orientation agricole (LOA) de janvier 2006 fait l’amalgame entre tous les produits phytopharmaceutiques, y compris naturels, relançant ce que l’on a nommé la « Guerre de l’ortie » née quatre ans plus tôt. Le nouveau texte affiche une intention délibérément répressive menaçant de deux mois de prison ferme et 75 000 € d’amende « celui qui vend ou donne un produit non homologué, en détient des bidons ou en diffuse la recette. » Des citoyens s’indignent, crient au scandale et créent le collectif Ortie & Compagnie. Eric Petiot, qui mène des recherches et expérimentations avec l’Inra, est dénoncé. Le tribunal l’accuse de « former les paysans à des techniques non autorisées ». Pour le défendre, l’Association pour la promotion des préparations naturelles peu préoccupantes voit le jour et parvient à supprimer la menace de la prison. Peu de temps après, les députés votent, dans le cadre de la loi sur l’eau, un amendement, dit du « purin d’Ortie ». La nécessaire professionnalisation de la démarche peut alors être amorcée.
 
Le 21 juillet 2014, le Sénat adopte, après le vote à l’assemblée nationale, l’amendement PNPP (Préparations naturelles peu préoccupantes) classant ainsi les préparations naturelles qui ne revendiquent aucune action phytopharmaceutique en produits « biostimulants », les excluant de la catégorie des « pesticides » dans laquelle ils étaient injustement catalogués. Tisanes comme infusions de camomille ou décoctions d’ail, purins d’ortie, de prêle ou de consoude mais aussi, huile de neem, argile, vinaigre blanc, sucre, sont enfin reconnus et étiquetés « biostimulants », toutes ces préparations naturelles qui favorisent la croissance des plantes et les aident à mieux résister à certaines maladies, aux insectes et aux stress climatiques. De plus, deux lois européennes, prévalant sur les lois françaises, autorisent la production d’extraits fermentés. 

Des protocoles d’application vérifiés scientifiquement

  Dans le livre "Purin d'ortie et compagnie", il y a les coordonnées des auteurs. Patrick leur écrit, se met à nu, présente avec beaucoup de sincérité, son parcours, ses envies, ses recherches, ses motivations. Eric Petiot lui répond et lui dit : « Il faut que l’on se rencontre ! » Patrick n’hésite pas, parcourt les mille kilomètres qui les séparent pour rejoindre Eric au Crozet dans le Jura, non loin de Genève. Il assiste à sa formation et le discours le conforte dans son choix.
 
Ça a commencé ainsi. J’ai découvert un apport complet en agrobiologie et en phytothérapie agricole. La recherche métaphysique nous unit. Eric a le côté scientifique, j’ai cette capacité à synthétiser et à vulgariser des données scientifiques. Nous sommes très complémentaires. Je me lance alors dans la production d’extraits fermentés de plantes avec ce principe de rendre ce que je prends à la nature en distillant mes connaissances gratuitement à toute personne intéressée par l’usage de ces extraits fermentés.
En 2008, entrant en résistance, Patrick crée son entreprise qu’il nomme, en accord avec Eric Petiot et les deux autres auteurs, « Purin d’ortie et compagnie ». Il devient alors le troisième producteur en France mais le premier à mesurer, à produire des extraits fermentés en anaérobie, sans oxygène. Il élabore des protocoles d’application, basés sur les théories développées par Eric Petiot, d’abord deux, aujourd’hui, trente.

Au bout de cinq ans, il commence à générer un revenu. Son activité s’organise autour de la production des produits nécessaires à la phytothérapie agricole, extraits fermentés de plantes, décoctions, infusions, macérations huileuses et aussi, le conseil gracieux aux agriculteurs, l'aide à la compréhension de la phytothérapie agricole appliquée et la formation de professionnels de l'agriculture.
Un extrait fermenté, c’est comme du vin. Ça se prépare, ça se respecte, ça se fabrique avec un très grand soin et le contrôle de plusieurs paramètres. Nous formons les professionnels, jardiniers et agriculteurs en les incitant à travailler avec un PH-mètre Redox et un conductimètre. Je ne fais aucune publicité. Tout est du bouche à oreille. Les voisins voient le résultat et m’appellent l’année suivante !
Parmi les clients, des exploitants de grandes cultures
 
Et la demande ne cesse de croître. Ses clients (ses « patients », comme il se plaît à les nommer) sont des paysans, des maraîchers, des arboriculteurs, des viticulteurs de toute la France. Parmi eux, il y a une vingtaine de producteurs de grands crus de Champagne, une trentaine de grands crus de Bourgogne, d’autres en Anjou et en région nantaise. Il y a aussi des exploitants de grandes cultures, quatre à cinq cents hectares ! Il expédie même des palettes d’extraits fermentés à la Guadeloupe, à La Réunion, en Espagne, en Belgique, en Italie…
 
En quinze ans, j’ai assisté à un revirement à 180° des professionnels. Nous formons entre 1500 et 2000 paysans chaque année. J’ai connu une progression de 50 % de mon activité, chaque année pendant six ans. Aujourd’hui, je ralentis la production et préfère travailler seul, consacrer du temps à l’écriture et à la recherche. Tous nos produits sont utilisables en agriculture biologique. C’est une autonomie retrouvée, une liberté. C’est un sol qui retrouve toute sa vivacité et son énergie.

Pour aller plus loin…
En 2020, Eric Petiot et Patrick Goater ont co-écrit un nouvel ouvrage « Les alternatives biologiques aux pesticides » (éditions Terran). Ils y présentent la manière de prendre soin d’un jardin et de cultures grâce aux extraits fermentés mais aussi, aux huiles essentielles, tisanes, macérations, micro-organismes efficaces… Ce sont 15 traitements préventifs et plus de 130 traitements curatifs contre les ravageurs et les maladies, pour les fruits et légumes, céréales, vignes, plantes à parfum, aromatiques et médicinales). Tous deux y ont mis l’état de toute leur connaissance actuelle et de leurs expériences pour que "tous ensemble, nous puissions diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires, faire revivre nos sols et nos plantes, sans utilisation d'intrants chimiques de synhèse."

Le site de Patrick Goater : www.purindortie-bretagne.com





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