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04/06/2020

Les haies de Manuel fleurissent le pays de Redon

Reportage : Tugdual Ruellan


Trouver des terres lorsqu’on est jeune paysan et que l’on affiche un projet atypique : l’affaire est une véritable gageure ! La communauté de communes du pays de Redon a acheté une ancienne exploitation, à Théhillac dans le Morbihan, il y a sept ans, qu'elle met à la disposition des porteurs de projets. Trois paysans, dont Manuel Rousseau, ont déjà pu s’y installer avec le soutien de coopératives paysannes. Tandis que dans l’espace-test, on s’initie au métier de maraîcher et que dans le verger conservatoire, fleurissent les variétés anciennes de fruitiers que l’on croyait disparues…


les_haies.mp3 Les haies.mp3  (6.1 Mo)


 Manuel Rousseau a 36 ans. Il a été le premier à venir s’installer à la ferme de Cranhouët à Théhillac :
« Mon projet, c’était de collecter des graines, les semer et de proposer à la vente des plants d’arbres et d’arbustes pour replanter des haies. Je cherchais à m’installer mais je n’entrais pas dans les cases conventionnelles ! »
Originaire de Nozay en Loire-Atlantique, Manuel se passionne vite pour l’écologie et la biodiversité. D’abord guide touristique et animateur nature, il se forme en gestion et protection de la nature, devient technicien du génie écologique et technicien de la qualité des milieux aquatiques. Avec ce solide bagage, il multiplie les expériences professionnelles alternant entre guide nature, gestion d’espaces agricoles et maraîchage bio.
 

​Portes closes au moment de l’installation

C’est dans la pépinière d’État de Guémené-Penfao, où il fait les saisons, qu’il apprend à multiplier les semences sauvages.
« Mon projet est né à ce moment-là. Je voulais produire des plants cohérents en termes de génétique et d’empreinte écologique. Le défi était d’en faire une production viable sur un territoire pour participer à la restauration écologique. Quand on plante un arbre, dont les ancêtres ont évolué depuis des centaines d’années sur le même territoire, il coévolue avec les espèces qui l’entourent et peut ainsi interagir plus rapidement avec son milieu. »
Les premières tentatives sont concluantes. Manuel fait quelques essais chez lui avec cinq mille plants et vérifie que l’activité est viable. Il monte une petite pépinière expérimentale dans le Maine-et-Loire et commence à planter des haies au sein d’une association. Les choses se compliquent au moment de l’installation :
« Je n’avais pourtant pas besoin de beaucoup de terres mais juste de points d’eau pour irriguer, de bâtiments et surtout d’un territoire engagé dans une démarche environnementale ! Les portes restaient closes. »
C’est en 2015 qu’il entend parler de la ferme expérimentale de Théhillac, petite commune morbihannaise du pays de Redon. Son projet est retenu par Cap 44, coopérative d’installation en agriculture paysanne qui accompagne la collectivité dans le choix des porteurs de projets. Et Manuel s’installe sur 1,7 hectare, juste ce dont il a besoin, pour y créer « Graine de bocage, arbres et arbustes d’Armorique ». Comme tout exploitant agricole, il signe un bail rural avec la collectivité de Redon agglomération qui lui permet de disposer des terres durant neuf ans : 
« J’ai eu carte blanche pour créer mon espace. Rapidement, j’ai monté mon laboratoire pour travailler les graines, installer des séchoirs, des réfrigérateurs, des zones de stockage, des zones de repiquage. Je récolte mes graines sur les peuplements de proximité préservés et propose noisetiers, fusains, érables, châtaigniers… La majorité de mes clients sont les communes du territoire, intéressées pour replanter des haies, redessiner le bocage et semer des variétés locales. »

Benoit Rolland, co-gérant et paysan associé. de la Ciap, coopérative d’installation en agriculture paysanne.
Benoit Rolland, co-gérant et paysan associé. de la Ciap, coopérative d’installation en agriculture paysanne.

​Le soutien et l’expertise de la Ciap

À ses côtés, Manuel sait qu’il peut compter sur l’appui de la Ciap, coopérative d’installation en agriculture paysanne. Le modèle, initié en 2012 en Loire-Atlantique, s’est depuis étendu à l’ensemble de la région des pays de la Loire :
« Créée par des paysans et organisations membres ou proches de la Confédération paysanne, alliés avec l’économie sociale et solidaire, et la société civile, la Ciap accompagne de façon professionnelle les agriculteurs-paysans, entre autres ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole, explique Benoit Rolland, co-gérant et paysan associé. Elle les aide à s’installer grâce à un accompagnement spécifique aux problématiques des territoires ruraux. Chaque année, nous accompagnons et aidons ainsi une centaine de paysans. »
Trois outils sont mis à disposition : la couveuse en maraîchage au sein d’un espace-test, pour mettre en place et gérer un plan de production sans prise de risque financier et social, le stage de paysan créatif, pour ancrer son projet localement et mobiliser les ressources du territoire au service de l’installation et enfin, la coopérative d’activité et d’emploi pour démarrer progressivement comme entrepreneur salarié ou avec un dispositif de préfinancement des premiers investissements pour prendre le temps de gagner en légitimité concrète, notamment auprès des financeurs.
« La Ciap, confie Manuel, m’apporte un soutien et un suivi de mon projet. C’est ce qui me permet de sécuriser l’investissement financier et les choix de gestion. »

Élisa Curot-Lodéon a créé les Rameaux gourmands
Élisa Curot-Lodéon a créé les Rameaux gourmands

​Élisa crée les Rameaux gourmands

En 2017, Élisa Curot-Lodéon fait un stage dans l’entreprise de Manuel Rousseau. La jeune nantaise aussi cherche à s’installer. Après avoir travaillé dans la gestion et la protection d’espaces naturels, de la faune et de la flore, elle a mis un pied dans l’agriculture et est de plus en plus attirée par le travail de la terre. Son projet de pépinière avec des variétés locales d’arbres fruitiers séduit la communauté de communes et en juillet 2018, elle signe à son tour son bail rural et lance « Les rameaux gourmands », elle aussi accompagnée par la Ciap. Elle propose aujourd’hui à la vente, en racines nues, pommiers anciens, poiriers, pruniers et, en prévision pour l’automne-hiver prochain, depuis peu, des cerisiers, plaqueminiers (kakis), figuiers, cognassiers, kiwis, vignes,pêchers et châtaigniers « Marrons de Redon ». Elle a aussi complété son catalogue en proposant fruits rouges, framboisiers, cassis et autres groseilliers. 
« Je suis confiante pour l’avenir avec une production d’arbres que je double cette année. Les clients sont enthousiastes, à la recherche d’arbres résistants, issus du terroir. C’est vrai que le démarrage est difficile : il faut être sur tous les fronts, effectuer beaucoup de démarches administratives et mener des actions pour se faire connaître, être présent sur les lieux d’animation, réussir à vendre… L’intérêt du projet de Cranhouët, c’est qu’on mutualise, on partage du matériel, on échange sur son activité et ses préoccupations. Et on n’est pas seul. On reçoit plein de visites, c’est une vraie ouverture. J’ai le sentiment d’agir de manière plus efficace pour la préservation de l’environnement que dans les postes où j’étais auparavant… »

Dominique Chauvière, président de la Mémoire fruitière des pays de Vilaine
Dominique Chauvière, président de la Mémoire fruitière des pays de Vilaine

​Le verger conservatoire de Mémoire fruitière

Élisa ne cultive que des espèces et variétés d’arbres adaptées à la Bretagne dont certaines sont originaires du pays de Redon. Les greffons, elle les prélève au cours de ses balades dans le pays ou auprès d’associations de préservation comme les Mordus de la pomme, la société horticole du pays de Redon ou le verger conservatoire de sauvegarde de Nort-sur-Erdre. Mais si elle a pu démarrer rapidement son activité, c’est aussi grâce au verger conservatoire planté à Cranhouët par La Mémoire fruitière des pays de Vilaine :
« Depuis 2007, raconte son président Dominique Chauvière, nous rassemblons amateurs et professionnels qui souhaitent contribuer au maintien du patrimoine fruitier de la région, en verger conservatoire ou en vergers individualisés. Notre but est de diffuser les connaissances et techniques en arboriculture et en protection des arbres fruitiers. Nous avons sauvegardé 380 variétés de néfliers, pommiers, poiriers, cerisiers et pêchers. Lorsque la collectivité a acheté la ferme de Cranhouët, nous avons proposé d’y installer un verger annexe pour pérenniser ces variétés et éviter ainsi un coup de feu bactérien qui viendrait anéantir tout le verger. »
Quelque sept cents pieds ont été plantés sur deux hectares, avec l’aide des enfants des écoles du secteur.

Marion Le Bihan, animatrice de la Ciap
Marion Le Bihan, animatrice de la Ciap

​L’espace-test pour s’initier au maraîchage bio

Et la ferme de Cranhouët, c’est aussi, depuis 2016, un espace-test spécifique au maraîchage bio sur trois hectares avec serres et système d’irrigation refait à neuf. Cette « couveuse en maraîchage », proposée pour s’initier au métier et tester grandeur nature son installation, a été lancée avec l’appui du lycée agricole de Saint-Herblain. La Ciap en est l’exploitant :
« C’est la possibilité offerte aux stagiaires de mettre en place et de gérer un plan de production sans prise de risque financier et social, explique Marion Le Bihan, animatrice à la Ciap. Pendant une année, correspondant à un cycle de production, ils peuvent expérimenter avant de s’installer pour de bon sur leurs terres. Les futurs paysans sont accompagnés par un professionnel aguerri qui se rend régulièrement sur le site ainsi que par des paysans maraîchers référents. C’est aussi l’occasion de se tester à la vente, et de trouver les canaux de distribution adaptés à son projet. »

Michel Pierre et Jean-François Mary de Redon agglomération présentent la ferme de Cranhouët à Théhillac (31 janvier 2020).
Michel Pierre et Jean-François Mary de Redon agglomération présentent la ferme de Cranhouët à Théhillac (31 janvier 2020).

​De la terre disponible pour d’autres paysans

Michel Pierre ne cache pas sa satisfaction en regardant le chemin parcouru sur ce vaste espace de Cranhouët.
« C’est le président de la communauté de communes de l’époque, Jean-Louis Fougère, qui a eu l’idée en 2013 d’acheter cette ferme vacante, spécialisée dans la culture de vergers de pommes à cidre et à couteau, difficilement vendable dans le cadre des reprises agricoles classiques, raconte-t-il. Mais il n’y avait pas de projet particulier. »
L’exploitation compte 27 hectares dont 12 de terres cultivables, 12 de bois et un étang de plus de 3 hectares, de beaux bâtiments et de vastes hangars agricoles. Devenu vice-président de Redon agglomération en 2014, délégué à l’insertion par l’activité économique, l’économie du secteur agricole et l’économie sociale et solidaire, Michel Pierre propose de nettoyer le site, semer du blé noir pour assainir le sol et créer un espace-test pour accueillir de jeunes paysans et leur permettre de se lancer, soutenu par le président Jean-François Mary. La ferme obtient le label bio et la collectivité lance ses appels à projets. Le projet a désormais trouvé pleinement sa place au cœur du Projet alimentaire territorial dont le but est de rapprocher producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités et consommateurs tout en développant l’agriculture locale et la qualité alimentaire.
« Un apiculteur vient de s’installer et nous attendons confirmation d’un autre pépiniériste, conclut-il, mais il reste de la terre disponible et nous sommes toujours à la recherche d’autres porteurs de projets. »
« On a besoin des collectivités quand on souhaite s’installer avec un projet innovant, en dehors des démarches conventionnelles et très formatées, confie Manuel Rousseau, qui vient de recevoir le label national « Végétal local » attestant d’un prélèvement de ses semences dans le milieu naturel du territoire. C’est vrai que nous ne fonctionnons pas toujours au même rythme et que la notion d’urgence varie entre la collectivité et l’entreprise ! Mais nous bénéficions d’une visibilité immédiate, d’une confiance a priori des banques et de quelques réseaux professionnels qui soutiennent l’agriculture paysanne. Je pense qu’au final, la collectivité s’y retrouve car nos projets coûtent moins cher et nous participons à l’embellissement du territoire. Depuis que je me suis lancé, ce sont quelque 60.000 plants de ma pépinière qui ont été replantés. Ils fleurissent, et je m'en réjouis, un peu partout dans les haies du pays de Redon… »
 
Texte et photos : Tugdual Ruellan
(photos prises en janvier 2020 lors de la visite proposée par Redon Agglomération).





 

La ferme de Cranhouët, un site en expérimentation.
La ferme de Cranhouët, un site en expérimentation.

Pour aller plus loin

Ciap, coopérative d’installation en agriculture paysanne, ICI
https://cooperer-paysdelaloire.coop/ciap/
 
Cap 44, Coopérative d'installation en agriculture paysanne, ICI
www.agriculturepaysanne.org/cap44
 
La Mémoire fruitière des pays de Vilaine, ICI
http://memoirefruitiere.fr/
 
Graine de bocage, ICI
www.grainedebocage.com
 
Les Rameaux gourmands, ICI
www.lesrameauxgourmands.fr

Les anciens bâtiments de la ferme de Cranhouët cherchent toujours un locataire...
Les anciens bâtiments de la ferme de Cranhouët cherchent toujours un locataire...




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