Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
16/10/2023

Véronique Chable réhabilite les semences anciennes, sa passion

Reportage : Jean-Yves Dagnet


Véronique Chable est issue d’une famille d’agriculteurs du nord de la Sarthe. « J’ai connu l’agriculture paysanne avec mon grand-père, l’agriculture intensive avec mon père et la biodynamie avec mon frère » résume-t-elle avant d’expliquer qu’elle a fait un pas de côté en devenant chercheuse. Rien de bien original ? Sauf qu’à l’époque où la plupart de ses collègues travaillaient sur des semences nouvelles, dites hybrides, Véronique a choisi de s’intéresser aux semences anciennes oubliées dans les frigos parce que jugées non rentables. Un choix à rebours de l’histoire ?


v_chable.mp3 V Chable.mp3  (21.23 Mo)

 "Aujourd’hui on parle beaucoup d’agroécologie, d’agriculture bio mais on ne change pas la façon d’organiser le monde autour, il faut toujours faire de la quantité, faire de la standardisation », répond-elle d’emblée. « La biodiversité est au cœur des écosystèmes et comprendre comment fonctionnent les semences paysannes, c’est comprendre comment fonctionne un écosystème. La diversité c’est la source du vivant. Il a besoin de diversité, tout l’inverse de l’uniformisation que nous avons connue à partir des années 60".

Les utilisateurs de semences anciennes échangent leur savoir-faire
Les utilisateurs de semences anciennes échangent leur savoir-faire

Un parcours associant conviction, persévérance et patience

Les 30 glorieuses, c’est pourtant l’époque où elle s’engage dans un cursus d’ingénieur agronome 
« Quand j’ai fait ma prépa dans les années 70, j’ai commencé par acheter des bouquins sur l’agriculture biologique, et quand je les passais à mon grand-père, il me disait que pour lui, c’était ça l’agriculture.  Je savais que j’allais travailler sur le bio un jour ou l’autre mais il a fallu être un peu patiente car il n’y avait pas grand-chose. »
En attendant, elle va travailler au CERAFEL (le Comité Régional Agricole de Fruits et Légumes) dont le président est Alexis Gourvennec. Ses orientations en matière d’agriculture étaient à l’opposé des logiques du bio. 
« Je suis arrivée en 1983, j’étais censée leur faire des variétés de biotechnologie mais à l’époque les hybrides n’étaient pas totalement fixées, les premières hybrides de choux-fleurs sont arrivées en1989, donc c’est une espèce qui était restée en variété de population naturelle très longtemps, il restait de l’hétérogénéité.  Il y a eu un tuilage entre la fin des dernières variétés de populations au champ et le début de nos activités avec les paysans bio bretons. » 
En 1999, elle passe le concours pour intégrer l’INRA. « Ils avaient imaginé pour moi une tout autre carrière autour du colza ». Pas vraiment les travaux qu’elle souhaitait mener. « Mais à l’époque il y avait un rapport (le rapport Riquois de 1997) qui démontrait que l’INRA ne travaillait pas assez sur la bio, donc il fallait des volontaires et c’est là que j’ai proposé de réfléchir sur les variétés pour la bio ».

Expérimenter différentes variétés de semences biologiques
Expérimenter différentes variétés de semences biologiques

La nature a besoin de diversité, l'homogénéité ne fait que l’appauvrir

Sa démarche prend le contre-pied de la logique qui a été celle de son père :  toujours produire plus avec des semences certifiées, des engrais et des pesticides.  Elle rappelle que le développement agricole s’est, en France comme dans tous les pays industrialisés, caractérisé par la rationalisation. Celle des races avec la Holstein, celle des champs avec le remembrement par exemple. Pour les semences, seules les variétés stables et homogènes uniformisées avec la sélection de lignée pure ou Hybrides F1 et répertoriées dans un catalogue officiel peuvent être commercialisées. Des semences productives, conçues pour être diffusées largement quel que soit le type de sol mais nécessitant des apports d’engrais et de pesticides importants pour compenser  leur fragilité.
« Tout le contraire des semences anciennes, certes moins productives mais beaucoup plus résistantes car adaptées aux sols et aux microclimats spécifiques de chaque territoire dans lesquels elles sont cultivées et dans lesquels, au fil du temps, elles ont su évoluer, en s’adaptant par exemple naturellement à la raréfaction de l’eau. »
Des semences traditionnelles sélectionnées depuis la nuit des temps par les agriculteurs avant l’arrivée des semences hybrides et encore utilisées dans certaines fermes par des agriculteurs organisés en réseau. En effet, si la loi ne reconnaît que les variétés stables et homogènes, la production de semences non inscrites au catalogue n’est pas illégale mais leur vente est interdite. Les utilisateurs de semences anciennes s’échangent donc leur savoir-faire et leurs semences selon le principe du "don contre don". C’est avec eux que Véronique va mettre en place des collaborations, en développant les méthodes de la recherche participative. 

Les semences sont à la source de l'alimentation
Les semences sont à la source de l'alimentation

Sortir les semences oubliées dans les frigos pour ramener de la diversité

Alors que le catalogue des semences certifiées regroupe 30 000 à 40 000 variétés, toutes espèces confondues, il existe dans le monde entier des millions de variétés de semences, conservées soit chez des paysans soit dans des congélateurs.
« Au départ, l’un des objectifs de la congélation était de préserver un capital génétique pour de potentiels croisements à venir, destinés à renforcer en laboratoire certaines caractéristiques des semences commercialisées. Nous, notre rôle va être de travailler avec les semences en les remettant directement dans le sol. »
Il faut des moyens et des sites pour les multiplier. Et c’est là que des réseaux comme Kolkhose, qui continuent à utiliser et améliorer leurs propres semences anciennes, vont jouer un rôle essentiel. Ils mettent à disposition des parcelles d’essais pour tester, échanger et multiplier les semences proposées par les équipes de Véronique.
« J’avais affaire à des gens motivés qui connaissaient bien les principes de la bio. Ils avaient le savoir-faire et des variétés dans leurs champs. »
A l’opposé de la privatisation du vivant appliquée par les firmes qui déposent des brevets, la méthode, basée sur la recherche participative, fonctionne sur la co-construction et le partage de connaissances. 
« C’est du bien commun ! parce que réintroduire de la diversité est incontournable pour préserver les équilibres naturels et parce que les semences sont à la source de l’alimentation et donc de la santé. »

Le pot de terre contre le pot de fer

Cette orientation à contre-courant n’a pas été de tout repos.
« J’ai été convoquée plusieurs fois chez le directeur car nous remettions en cause les fondements scientifiques des "Trente glorieuses". J’ai même eu droit à un rapport de plusieurs pages sur mon incompétence scientifique mais je l’ai vécu comme un défi et j’en ai fait un jeu. »
Pas ou peu soutenue à ses débuts, Véronique a dû trouver des appuis ailleurs.
« Avec Isabelle Goldringer, une collègue de Paris engagée dans la même réflexion, nous nous sommes tournées vers l’Europe, ensemble nous avons déposé des dossiers pour des démarches d’expérimentation dans le domaine des semences anciennes. »
Elle quitte alors le centre d’amélioration des plantes pour un département "mieux nommé", celui des sciences pour l’action et le développement. « C’est grâce aux projets européens que nous avons pu avancer et vérifier nos intuitions. » Elles travaillent sur les semences des choux, des sarrasins, des blés, des maïs, des lentilles …
« Il faut savoir par exemple qu’il n’existe actuellement dans le catalogue qu’une seule variété de lentilles commercialisée en bio alors qu’on en dénombre plusieurs centaines dans nos réserves. Seront-elles aussi productives que les semences hybrides ? La comparaison est difficile car les valeurs, qu’elles soient nutritionnelles ou autres ne sont pas les mêmes ; en maïs par exemple, nous sommes à 80 % de la productivité des hybrides mais avec des plantes qui consomment beaucoup moins d’eau. Aujourd’hui, ce sont les paysans qui mettent au point les variétés résistantes au changement climatique ! »

congrès mondial de l'agriculture biologique
congrès mondial de l'agriculture biologique

Dans le sens de l’histoire

« Notre objectif est de recréer des écosystèmes ou le vivant retrouve sa place, c’est la plante qui fait le sol.  Alors que les semences homogènes l’appauvrissent. L’association d’espèces plus rustiques stimule la vie microbienne et enrichit le sol. Notre travail répond à la nécessaire adaptation au réchauffement climatique. Nous recréons  des écosystèmes avec des variétés moins exigeantes en eau, comme le millet, le sorgho ou le chanvre par exemple. »
Pour vulgariser auprès du grand public tout ce qui se fait au niveau européen en matière de semences paysannes, elle vient, en partenariat avec plusieurs associations et avec le soutien de la ville, de créer un centre de ressource dans l’ancienne ferme de la Vieuville à la périphérie de Rennes.  En 2021 - en plein Covid - dans la même ville, elle était l’une des chevilles ouvrières de l’organisation, pour la première fois en France, du congrès mondial de l’agriculture biologique. Après l’ombre, la lumière.

Jean-Yves Dagnet




Nouveau commentaire :


Dans la même rubrique
1 2

L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

Et neuf autres ouvrages disponibles