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03/01/2018

Agnès Bourdon : « Je remercie la vie chaque matin »


Maman, infirmière, handicapée, militante, Agnès Bourdon témoigne dans le livre qui paraît aujourd'hui aux Editions Histoires Ordinaires : « Parents différents, comme tout le monde ». Riche de témoignages comme celui-ci, de dialogues entre parents et professionnels ainsi que de nombreuses informations pratiques, l'ouvrage rend compte du Forum citoyen organisé dans le prolongement du livre « Un parfum de victoire – Avoir un enfant quand on est en situation de handicap » paru en 2014.


Parents différents, comme tout le monde est disponible, comme Un parfum de victoire, sur la librairie d'Histoires Ordinaires. 135 pages. 5 €.

agnes_bourdon.mp3 Agnès Bourdon.mp3  (20.44 Mo)


Agnès Bourdon : « Je remercie la vie chaque matin »
Agnès Bourdon-Busin est maman de quatre garçons. Infirmière-puéricultrice de formation, elle a travaillé en réanimation pédiatrique et dans un centre de référence de la mucoviscidose. C'est en tant que parent en situation de handicap qu'elle est, avec d'autres parents, active sur la thématique de la parentalité au sein de l'Association des Paralysés de France (APF).

Ces dernières dizaines d'années, on a parlé d'insertion, d'intégration, du bien vivre ensemble. Aujourd'hui, on parle d'inclusion. Les mots changent mais de quelle réalité parle-t-on ?

Inclusion, traduction approximative de l'anglais, me rappelle trop l'école avec ce signe "inclure", comme un cercle entourant un contenu. Etre inclus, ce serait faire partie du contenu de ce cercle. Ma définition est différente. Pour moi, être inclus, c'est être le cercle, en faire partie prenante et ensemble, produire le contenu. Autre image : ce n'est pas être dans un sac, c'est être le sac, chacun avec ses idées, ses différences, ses capacités et ses capabilités et en fabriquer ensemble le contenu. 

« On peut être égal en acceptant d'être égal différemment »

Capabilité, un mot nouveau ?

Prenons l'exemple d'une personne infirme moteur cérébral. Elle a toutes les capacités pour réfléchir mais elle ne peut transmettre ses idées à cause de sa difficulté à prononcer les mots, elle n'a pas la capabilité. Mais elle le pourra si nous nous mettons à sa hauteur et prenons les moyens de comprendre sa façon de s'exprimer, sa "langue".

Si je reviens à l'inclusion, je n'ai pas trouvé le mot français correspondant. Je le cherche. Ce devrait être un mot qui bonifie ce que cela représente, en lien avec la notion d'égalité sinon cela ne veut rien dire. 

Je m'explique : j'ai mon handicap et il y a des choses que je ne peux pas faire. Prenons l'exemple de ma visite au château de Versailles. J'y suis allée valide et en situation de handicap. Le château est beau parce qu'il est comme il est. Demain, si pour m'inclure, on ouvre des portes dans les belles tapisseries pour me laisser passer, cela n'a pas de sens. Pour moi ce n'est pas cela l'inclusion. Je peux aller dans certaines pièces et les pièces où je ne peux pas aller on fait en sorte que j'y ai accès d'une autre façon.  

Je ne sais pas ce qu'aurait été ma vie sans la maladie qui a provoqué mon handicap. Elle aurait aussi été riche mais différente. Mon idée, c'est de me dire : quelles que soient  les difficultés, on peut être égal en acceptant d'être égal différemment. 

Partager les savoirs

La parentalité, comment peut-on l'exercer tout en étant différent ?

Faire du savoir ensemble. Je dirais en souriant que cette idée à germer autour de l'érythème fessier du nourrisson ! Etudiante, j'étais en stage en PMI à Grenoble. J'ai proposé d'organiser une séance autour de ce problème d'érythème. Mon idée était que ce sujet concernait toutes les mamans quelle que soit leur origine. On a d'abord discuté toutes ensemble sur la façon dont chacune, en fonction de son patrimoine culturel, de ses capacités, de son éducation, de son expérience, gérait la situation.

​Certaines faisaient des massages, d'autres utilisaient des onguents ou des recettes de grand-mère. Une maman qui n'avait qu'un seul bras a expliqué comment elle se débrouillait. A la fin de la séance, j'ai donné quelques principes mais tellement enrichis de tout ce que chacune avait apporté au pot commun ! Nous en avons fait une fiche à l'usage de toutes. 

C'est sur ce principe de partage du savoir qu'avec l'APF, nous avons monté les Etats Généraux de la Parentalité il y a quatre ans. Nous avons travaillé autour de ce que j'appelle les parentalités singulières – situation de handicap, difficultés sociales, pauvreté, manque culturel, différences de culture.

Car, avant de faire du savoir ensemble, il faut sortir des cases toutes faites, en se regardant différemment. Si on met les personnes pauvres avec les pauvres, les personnes handicapées avec les handicapés, les personnes migrantes ensemble, n'importe.... on ne fait pas de bonnes choses. Les bonnes choses, c'est quand on fait de la mixité, on apprend ensemble, on s'apprend les uns les autres à mettre un pied devant de l'autre. Cela valorise chacun·e dans ce qu'il est et c'est fondamental.

« Cela veut dire pour chacun un engagement d'inclusion dans la cité »

De nos échanges, on s'est aperçu que nous avions les mêmes besoins et donc nous avions ensemble à chercher des réponses communes identiques. Bien sûr qu'il y a des spécificités, mais les systèmes pour y répondre existent déjà. Ce qu'il faut pointer, ce sont les enjeux quels que soient le handicap ou les difficultés sociales ou culturelles. 

Cela veut dire pour chacun un engagement d'inclusion dans la cité, partie prenante de ce cercle où on se regarde chacun dans sa différence et où on  s'accompagne mutuellement. 

Quelles sont les questions qui se posent actuellement dans les groupes que vous accompagnez ?

Dans le cadre du travail sur la parentalité de l'APF, j'ai fait un tour de Bretagne pour savoir comment les gens se positionnent et se questionnent sur le sujet de la parentalité. 

Des questions émergent. La fin de l'accompagnement de la parentalité pour les professionnels, par exemple. Est-ce que la relation se termine avec la fin du protocole ? Si l'un des parents décède, est-ce que venir récupérer le fauteuil roulant, le matériel met fin à huit ans de relation ?

« La vraie question : pourquoi veut-on avoir un enfant ? »


Agnès Bourdon : « Je remercie la vie chaque matin »
Autre sujet : la question fondamentale du droit de l'enfant. On peut avoir désir d'enfant mais ce n'est pas pour autant qu'on peut en faire le choix. Pour qui le fait-on ?

On a d'un côté le droit du couple à avoir un enfant mais de l'autre, qu'en est-il du droit de l'enfant à avoir des parents qui vont assurer, qui ne seront pas promis à une mort prochaine, programmée malgré tout ? Qu'en est-il de la capabilité du parent face aux besoins de l'enfant ? 

Je veux que les parents prennent conscience de la responsabilité que c'est de rendre un enfant orphelin. Sur le plan éthique, c'est difficile pour moi. D'où l'importance de l'accompagnement comme le fait, à Nantes, le Service d'Accompagnement à la Parentalité, avec son équipe pluridisciplinaire. Il y a discussion dans tous les domaines, éthique, psychologique, médical, éducatif, afin de prendre les responsabilités en conscience.

Dans les groupes où j'interviens, il est bon de se poser ensemble la vraie question : pourquoi veut-on avoir un enfant ? Envie d'être comme les autres? Envie de se sentir femme puissamment parce qu'on est mère ? Envie parce qu'on est en couple ?

« Il ne faut pas se battre seulement pour soi »

La question pourrait aussi être : comment peut-on se sentir parent autrement ? Etre la marraine ou le parrain, la bonne fée des contes en quelque sorte... pour ce petit gamin qui joue tout seul parce que ses parents sont très occupés ou pour celui-ci qui a ses grands-parents très loin ou pour ces enfants dans la tourmente de la guerre. Il y a plein de choses à inventer pour se faire du bien en créant sa forme de parentalité. 

Y a-t-il une méthode Agnès Bourdon ?

Je n'ai jamais autant obtenu qu'en allant à la rencontre de l'autre, pas avec des "Donnez-nous des heures de compensations !", mais en expliquant la situation à partir de ce que je vis, de ce que vivent les autres qui sont comme moi. 

C'est important de créer des lieux de dialogue : deux personnes en lien sur le même problème, puis trois, quatre, sept. Sept qui vont expliquer au directeur de l'école leur difficulté de relation avec les enseignants, huit qui vont rencontrer le directeur du collège puis dix qui vont en parler à l'inspecteur puis douze qui rencontrent l'inspecteur d'académie puis le recteur qui décide que tout cela nécessite une formation pour les enseignants de l'académie de Lyon.

Le partage, cela simplifie la vie. Il ne faut pas se battre seulement pour soi. Si tu t'arrêtes de combattre parce que tu as obtenu gain de cause, je ne sais pas si tu en tires quelque chose. C’est vain. L'échange que tu fais avec les gens c'est cela qui nous fait grandir. 

« Regardons ensemble ce que chacun a fait, ce dont on est capable »



Mettons-nous ensemble autour d'une table. Nous sommes différents : directeur d'établissement, adhérents en situation de handicap, psychologue, éducateur.... Regardons ensemble ce que chacun a fait, ce dont on est capable. Chacun vient avec son problème. Un se lance et l'expose mais ne dit pas comment il l'a résolu. Les autres s'expriment sur la façon dont ils le géreraient. La personne dit quelles solutions elle a trouvées. 

Finalement chacun repart avec une malle de réponses possibles à ses questions. Revenu sur son territoire, s'il rencontre un problème similaire, il ouvrira la malle de la mutualisation des expériences. 

Toutes ces idées, ces ressources, c'est à nous, citoyens et citoyennes, de les faire connaître pour qu'elles deviennent la loi commune. C'est à nous de nous emparer de ce qui nous concerne.

« Le soir, je me dis : "C'était quoi le bonheur de la journée ?" »


Où puisez-vous toute cette énergie qui vous anime ?

Mes grands-mères ont été, pour moi, une telle source d’énergie. Elles m’ont appris, à travers leur parcours, que la vie vaut d’être vécue malgré la maladie et le handicap. Je me suis aussi enrichie de toutes les rencontres que j’ai faites dans mon travail d’infirmière puis de bénévole. 

J'ai failli mourir plusieurs fois. Je suis restreinte dans ce que je fais, je souffre tout le temps 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Je remercie la vie chaque matin parce que je suis là et je pense à tout ce que je n'ai pas encore fait. 

Le soir, je me dis : « C'était quoi le bonheur de la journée ? » Quelque fois, c'est une petite chose comme, ouvrir la porte à quelqu'un qui m'a souri. C'est une belle image que je garde en tête. Avoir réussi un gâteau, un chouette coup de fil, je bonifie un maximum ce que je vis.

Une règle, ma règle : faire de quelque chose de nocif quelque chose de positif pour soi pour rayonner avec les autres. 

Interview réalisée par Marie-Anne Divet  -  Photos de Bernard Louvel lors du Forum citoyen
 

Un mot : « Capabilité »

Ce terme, qu’on aurait pu traduire par "capa­cité" en français, mérite néanmoins les honneurs d’un néologisme car il contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par l’économiste et philosophe Amartya Sen depuis les années 1980. Son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant. 

Selon A. Sen, comme pour Martha Nussbaum, la "capabilité" désigne la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement. Les "capabilités" sont, pour ces auteurs, les enjeux véritables de la justice sociale et du bonheur humain. Elles se distinguent d’autres conceptions plus formelles, comme celles des "biens premiers" de John Rawls, en faisant le constat que les individus n’ont pas les mêmes besoins pour parvenir à accomplir le même acte : un hémiplégique n’a aucune chance de prendre le bus si celui-ci n’est pas équipé spécialement.

Après avoir rappelé ces notions partagées, M. Nussbaum se distingue en proposant une liste des capabilités qu’elle juge plus centrales que d’autres, parce qu’elles conditionnent lourdement la liberté de chacun de mener une vie digne : le droit à une vie suffisamment longue, à la santé du corps, à la liberté de se déplacer, à recevoir une éducation, à avoir les croyances qu’il souhaite, à ne se heurter à aucune discrimination raciale, ethnique ou sexiste, à avoir des loisirs, etc.

 On y retrouve ainsi, formulés plus généreusement, l’essentiel des droits humains universels. Ce faisant, M. Nussbaum introduit une hiérarchie là où A. Sen entendait maintenir la plus grande ouverture possible. Mais la démarche se défend, car, comme l’explique l’auteure, ces droits de la personne ne sont en rien une invention de l’Occident, mais une exigence plusieurs fois formulée en divers lieux et divers temps. Ce qu’elle montre, un peu trop rapidement peut-être pour clore un débat qui, périodiquement, agite l’Assemblée générale des Nations unies.

Capabilités Comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Martha Naussbaum, Climats, 2012.




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