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03/12/2020

Magali, le combat inachevé d'une maman aveugle


Ses yeux l’avaient abandonnée à l’âge de 2 ans. Aujourd’hui, c’est la vie qui vient de l’abandonner. Magali Guigot avait 44 ans, un mari et une adorable Clara. Avec Magali, Histoires Ordinaires a exploré durant dix ans le monde méconnu de la parentalité en situation de handicap, publié des livres et des blogs, organisé un forum-citoyen. D’autres projets allaient suivre. Magali va les accompagner de là où elle est : quelque part en nous.


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"Tu t’es adaptée et nous on s’est adaptées à toi"

Magali, c’était un petit bout de bonne femme, énergique et entrepreneuse. Première rencontre au printemps 2010 : le Centre d’informations des Femmes (CIDFF) a mis en place un système de marrainage pour accompagner les femmes en recherche d’emploi. Magali Guigot est sur la liste. En situation de handicap visuel, elle se rebelle contre les institutions qui ne lui proposent que des emplois aidés de standardiste. Elle, ce qu’elle veut depuis toujours, c’est travailler avec les jeunes enfants. On n’a pas de peine à imaginer les yeux interrogatifs des interlocuteurs et interlocutrices devant sa demande. Impensable ! Travailler avec des petits alors qu’elle ne voit pas ! 

Elle réussit à convaincre. Deux stages dont un de trois semaines dans la crèche de la commune où elle habite. Pas de problèmes notent les rapports. Sauf quelques aménagements - dont un ordinateur adapté pour communiquer les bilans de la journée aux parents – il n’y a pas de problèmes. Au contraire, comme le lui dit sa collègue :
« Tu t’es adaptée et nous on s’est adaptées à toi. Tu apportes un plus, tu perçois des choses que nous n’entendons pas. Les petits, ils viennent facilement te voir. »

"Une personne non voyante raisonne avec d’autres sens"

C’est ce que Edith Thoueille, fondatrice et directrice du Service d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (SAPPH), appelle le bilinguisme relationnel :
« Une personne non voyante a un autre système de représentation qui est tout aussi valable que le mien. Elle sait raisonner avec d’autres sens. Une maman handicapée de la vue a des mimiques, des sourires, un codage d’émotions – elle peut perdre la vue mais pas le regard. Et il est fabuleux de voir la façon dont son bébé la regarde, se love dans ses bras pour voir son visage ou lance les bras vers elle pour essayer de la toucher. »
Ce n’est pas à la crèche que Magali va travailler mais près de la petite fille qu’elle met au monde : Clara. Dans une vidéo qui paraîtra sur Histoires Ordinaires en 2011, Magali parle des difficultés qu’elle a eu à donner la vie :
« Entendre qu’on n’y arrive pas parce qu’on ne voit pas, c’est très dur et injuste. Il faut qu’on soit comme les autres mais mieux. Si on n’est pas mieux on est jugé. Il faut combattre cette façon de voir les choses négatives. »

Clara "a des points de repère qu’un autre bébé n’a peut-être pas"

Heureusement, elle téléphone à Edith Thoueille qu’elle a entendue dans une émission des "Maternelles". Elle la rassure :
« Vous verrez quand vous aurez votre bébé, vous serez différente. Vous vous métamorphoserez, vous vous direz : "oui, je suis capable de le faire". »
Et très vite, Magali sait faire : elle ne quitte pas une pièce sans dire à son bébé qu’elle va « lui préparer son biberon, étendre la lessive ou chercher à l’étage les cartons d’invitation » qu’elle fabrique avec des gommettes pour annoncer le baptême. Elle lui chante des chansons et l’entoure de jouets sonores pour la sentir vivre dans la maison.
« Je ne lui apprends pas, c’est le fait du handicap qu’elle apprend. Elle a des points de repère qu’un autre bébé n’a peut-être pas. Elle touche beaucoup les objets qui l’entourent avec le jeu des mains et émet des sons que j’entends, comme si elle savait que j’en ai besoin. »

"Parfum de victoire" : un livre-enquête avec d'autres parents

Un jour arrive où Magali, Clara, poussette, couches et biberon embarquent pour le SAPPH de Paris afin rencontrer Edith Thoueille et Martine Vermillard, les premières à avoir ouvert leur PMI aux parents en situation de handicap visuel. Magali a préparé un stock de questions. Elle rencontre la psychologue, l’éducatrice de jeunes enfants et Yasmina qui lui apprend l’art du portage. Les deux jeunes femmes ne voient pas mais ont les mêmes convictions :
« Valide ou non, on est parent avant tout et on a les mêmes problèmes que les autres. Un jour, Dolto a dit "vous êtes les meilleurs parents pour vos enfants puisqu’ils n’en ont pas d’autres !" C’est vrai, ils ne peuvent pas trouver mieux nos enfants que nous-mêmes ! »
Comment trouver à Rennes un lieu de conseil et de rencontres comme le SAPPH ? La recherche se révèle vite infructueuse et malgré une table ronde organisée avec le Planning Familial et le CIDFF, Magali n’a pas trouvé la réponse à sa question. Avec l’équipe d’Histoires Ordinaires, se dessine un projet : pourquoi ne pas aller interviewer les parents, grands-parents, célibataires en situation de handicap et leur demander comment ils s’y prennent ?

De cette enquête journalistique naîtra un livre DVD «  Un parfum de victoire – avoir un enfant quand on est en situation de handicap ». En 2016, il donnera lieu à un forum citoyen et sera récompensé de deux prix :le prix Handi-Livres et le prix OCIRP- Handicap. 

Lors de la sortie de "Deux petites notes" à Rennes, Magali ( g.) présentant l'usage du braille
Lors de la sortie de "Deux petites notes" à Rennes, Magali ( g.) présentant l'usage du braille

Les difficultés "apportent de nouvelles réponses utiles à tout le monde"

Magali le dit souvent :
« C’est une richesse d’apprendre des autres mais je pense que je peux aussi en donner un petit peu. Je peux échanger de la richesse avec d’autres adultes et d’autres enfants. »
Cette richesse, elle la partagera en 2016 avec d’autres parents en situation de handicap et des professionnel.les  lors du forum-citoyen sur la parentalité. Du livre qui suivra « Parents différents, comme tout le monde », Magali dira :
« Nous ne sommes pas différents, nous avons les mêmes problèmes que tout le monde, les mêmes questions posées par nos enfants que nous devons résoudre. C’est vrai que nous devons aussi apporter des choses différentes du fait de notre handicap. Nous sommes face à certaines difficultés, les résoudre c’est apporter de nouvelles réponses utiles à tout le monde. »

Clara a grandi. La crèche, puis l’école. Avec son amie Marie-Annick, une institutrice en retraite, elles réfléchissent à l’accompagnement de sa scolarité. La lecture, c’est important pour Magali. Marie-Annick et elle inventent des outils pour lui permettre de suivre l’apprentissage. Les garder pour soi, il n’en est pas question ! Ces idées sont à transmettre au service de tout le monde, au service surtout des parents et grands-parents éloignés de la lecture.
  
C’est ainsi que nous nous lançons dans un nouvel ouvrage, « Deux petites notes » : un livre, un CD  et le livret en braille. Clara regarde avec attention les images colorées par Claire, l’illustratrice, pendant que maman Magali lit à côté d’elle l’histoire inventée par Odile, à l’aide du livret en braille.

A la bibliothèque, Magali lit "Deux petites notes" aux enfants

Les Champs Libres à Rennes. En cet fin d’après-midi, la bibliothécaire, a convié petits et grands à la lecture de « Deux petites notes ». Les enfants font une ligne sage devant les parents attentifs. Magali raconte avec ses doigts qui suivent avec agilité les lignes du livret en braille. Que disent les mots du livre ? Que chacun.e a dans le cœur sa propre mélodie.

Aujourd’hui, Magali n’est plus là pour raconter l’histoire. Elle est partie pour le pays de l’envers du décor, c’est le chanteur Julos Beaucarne qui l’appelle comme cela, ce pays dont on ne revient pas.  

Magali a laissé en chacun et chacune d’entre nous un peu de sa mélodie pour qu’on n’oublie pas ses combats pour le respect et la dignité.

Marie-Anne Divet

Un reportage de France 3 Bretagne


Une soirée d'échanges intenses autour de deux livres


Deux amies d'Histoires Ordinaires à l'honneur

Lundi 20 janvier 2020, lors des vœux du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine, Anne-Françoise Courteille, vice présidente en charge des solidarités, a remis la médaille de l'innovation sociale à Magali Guigot et Carine Jumel qui ont été très actives dans la réalisation de l'ouvrage "Parents différents comme tout le monde" et qui poursuivent leur combat en faveur des parents, comme elles, en situation de handicap.




1.Posté par Marchand le 04/12/2020 15:07
Magali était une grande dame, avec un coeur tellement beau, pur. J ai appris beaucoup avec elle. Merci mon amie, ma soeur de coeur. Sois heureuse et en paix.

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