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01/12/2025

Itamar, Soul et autres activistes de la paix israélo-palestinienne

Reportage et dossier : Marie-Anne Divet


Soul Behar Tsalik et Itamar Greenberg sont objecteurs de conscience en Israël. Des "refuzniks". A 18 ans, ils ont refusé de faire leur service militaire, un choix qui leur vaut la prison, l’incompréhension et parfois l’isolement. A l'invitation du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), ils viennent de témoigner de leur lutte pour la paix en Palestine-Israël lors d'une tournée dans treize villes de France. Avec eux, sous de multiples formes, envers et contre tout, des milliers d'Israéliens et de Palestiniens se battent en ce moment pour la paix. Tour d'horizon...


Itamar et Soul le 26 novembre à Vitré (Illet-et-Vilaine)
Itamar et Soul le 26 novembre à Vitré (Illet-et-Vilaine)

 

" Merci, Elohim Dieu, de ne pas avoir fait de moi un non-juif.
Merci, Elohim, de ne pas avoir fait de moi un esclave.
Merci, Elohim, de ne pas avoir fait de moi un fasciste."

Itamar Greenberg scande, sans s'en rendre compte, ces phrases répétées des centaines fois à Bnei Brak  où il est né, la ville 100% ultra-orthodoxe de la banlieue de Tel-Aviv. Ces "craignant-Dieu"  vivent en marge de la société : ils ont leurs quartiers, leurs écoles, leurs magasins, leurs partis politiques. Leur vie entière est soumise à la loi divine. 

"La religion n'allait pas avec ma morale et mon éthique" martèle Itamar. Ni l'armée. Itamar a 19 ans et devrait en être à sa première année de service militaire sur les trois ans que tout jeune israélien doit à la patrie (deux pour les femmes). Ne pas être présent à l'appel lui a valu 197 jours de prison en mars 2025. 

Refuser de servir

Il ne veut pas, il ne peut pas "cautionner la colonisation de la Palestine et le génocide à Gaza." Il l'explique dans une tribune  d'Amnesty International :

« Je n’ai pas pris cette décision de manière soudaine, je l’ai mûrie au cours d’un long processus d’apprentissage et de prise de conscience morale. Plus j’avançais dans mes réflexions, plus j’étais convaincu que je ne pourrais pas revêtir un uniforme, symbole de meurtre et d’oppression. Ces considérations ont à voir avec le fait de refuser de servir dans le contexte de l’occupation. Mais dans mon cas, j’ai également refusé de m’enrôler parce que je ne voulais pas être impliqué dans la perpétration du génocide à Gaza. »

Tout en étudiant le droit, il informe via les réseaux sociaux et organise des actions directes de protestation comme cet essai d'incursion à la frontière de Gaza (voir la vidéo ci-dessus). Les soldats ont arrêté trois activistes, dont lui. Traduits en justice, ils ont été accusés d'avoir détruit des installations pour des millions de shekels (1 euro vaut 4 shekels). Dans sa déclaration de refus de faire son service, Itamar Greenberg écrit :


Soul
« J’ai grandi dans un foyer haredi à Bnei Brak. À l’âge de 12 ans, j’ai décidé de m’enrôler dans les FDI [Forces de défense israéliennes] pour faire partie intégrante de la société israélienne. Je ne voulais pas être un soldat, mais je voulais être un Israélien. Maintenant que j’ai 18 ans, je sais que le fait que la porte d’entrée dans la société israélienne passe par l’oppression et le meurtre d’un autre peuple est une grave injustice dans notre société. Une société juste ne peut pas être construite sur des canons de fusils ! »

Une autre voie existe, c'est la conviction de Soul

Soul Behar Tsalik est originaire de Tel-Aviv. Il est né dans une famille "libérale", ouverte. Il se rend souvent en Cisjordanie travailler avec les Palestiniens avec qui il discute beaucoup : "Je ne pouvais pas en conscience rejoindre une armée qui les oppresse."

A 18 ans, il rejoint le camp de conscription de Tel-Hashomer. Il déclare alors son refus de devenir soldat et son objection totale à la politique israélienne de guerre. Dans sa déclaration de refus de service militaire, il écrit :
"Pour attirer l’attention sur cette situation et rester fidèle à mes valeurs humanistes, j’ai choisi de refuser de m’enrôler dans Tsahal (NDLR : armée de l'Etat d'Israël). J’espère que mon refus influencera les autres et encouragera les gens à chercher des alternatives à l’effusion de sang et à œuvrer pour la paix." 

Condamné trois fois, il assume :
"On dit non pour nous, mais aussi pour montrer qu’une autre voie existe."


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Le soutien de Mesarvot

En Israël, quand deux adultes se rencontrent, la première question est : "Où est-ce que tu as servi à l'armée ?". Le service militaire est l'identité, la définition de soi et marque la position dans la société. C'est un outil de promotion sociale très important. 

A 18 ans, les jeunes entrent dans les Forces de défense israéliennes (FDI). Ils vont servir trois ans pour les garçons, deux ans pour les filles. Il existe une commission d'objection de conscience qui examine la légitimité des raisons de refus par pacifisme. Les seul.e.s qui ne passent pas cette commission sont ceux et celles qui s'affirment contre la politique d'occupation des territoires palestiniens. Comme Itamar et Soul, ils sont envoyés en prison.

Tous les deux sont militants de Mesarvot, organisation qui soutient les objecteurs de conscience depuis 2015. Elle rend publics les cas de jeunes qui refusent de servir dans les FDI et encourage le débat public sur le sujet. Elle leur apporte un soutien juridique. 

Mesarvot a soutenu Aiden Katri, la première femme transgenre à avoir été emprisonnée pour avoir refusé de s'engager dans l'armée en 2016, Noa Gur Golan, qui a été attaquée avec sa mère en 2017 dans le tabloïd de droite, Israel Hayom pour son refus ainsi que Maya Brand-Feigenbaum et Adam Rafaelov en 2019, tous deux emprisonnés à plusieurs reprises pour avoir refusé d'être stationnés dans les territoires occupés. Mesarvot a également soutenu les cas de Tal Mitnick et Sofia Orr, les premiers jeunes à avoir refusé de s'enrôler dans les Forces de défense israéliennes après le début de la guerre de Gaza en octobre 2023 et qui ont appelé à un cessez-le-feu immédiat ainsi qu'à un embargo international sur les armes à destination d'Israël.

Mesarvot fait partie du Bloc anti-occupation, une alliance d'organisations israéliennes et palestiniennes qui militent contre l'occupation israélienne de la Palestine. En 2022, Mesarvot a organisé une manifestation à Tel-Aviv pour déplorer le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh par l'armée israélienne alors qu'elle effectuait un reportage en Cisjordanie. Le groupe participe également à des actions de solidarité en Cisjordanie. En février 2023, des militants de Mesarvot se sont joints aux manifestations contre l'expulsion des Palestiniens de leurs maisons à Masafer Yatta, zone semi-désertique située dans le sud-est du district d'Hébron, en Cisjordanie.

 
Pour en savoir plus

Nous refusons. Dire non à l'armée en Israël, le livre du photographe Martin Barzilai. Itamar est l'un des quinze refuzniks photographiés. Publié par Libertalia en partenariat avec le média Orient XXI  et Amnesty International. Chaque page combine un portrait et un témoignage à la première personne. « Je travaille sur le sujet depuis 2008, explique le photographe. Un premier tome, Refuzniks, est sorti en 2017. Ce second volume se concentre sur le choc du 7 Octobre. »

Le podcast de France 24 : Ils disent non au service militaire : "Je ne justifierai jamais ce qu'Israël fait à Gaza" publié en janvier 2024 par Assiya Hamza. Le 26 décembre 2023, le premier objecteur de conscience a été emprisonné pour refus de faire son service militaire.

Un article de l’Express de Nathalie Hamou : "Empêcher un prochain 7 octobre" : comment le deuil unit familles israéliennes et palestiniennes. Chaque année, pour commémorer les victimes du conflit israélo-palestinien, des parents endeuillés se retrouvent pour dialoguer.  Un article de Luc Bronner dans le Monde du 28 novembre 2025 : « Il n’y a plus de rencontre possible » : le difficile dialogue entre militants pacifistes israéliens et palestiniens. 

Un podcast de France Inter avec Jean-Pierre Filiu qui explique en quoi résumer les revendications nationales des Palestiniens à l’hyper violence du Hamas, ce serait oublier qu'il a toujours existé une troisième voie, celle du pacifisme national, dont cet épisode dresse l'histoire.

Les armées de la Paix
En Israël, les partisans de la paix se sentent de plus en plus isolés. 21%  des Israéliens croient encore en la possibilité d'une coexistence pacifique, un chiffre en baisse de 14 points depuis le printemps 2023. Souvent considérés comme des traîtres, les pacifistes peinent à se faire entendre dans une société traumatisée par les attaques du 7 octobre 2023.

Parmi les militant.e.s pacifistes, on trouve des groupes comme La Paix maintenant, créé en 1978 par trois cents officiers de réserve de l'armée israélienne, Rabbins pour les droits de l'Homme actifs en Israël et en Palestine depuis 1988,   Women wage peace, femmes palestiniennes et israéliennes dans le combat, Friends of Roots, une association qui permet la rencontre entre colons et palestiniens qui vivent en Cisjordanie, Forum des Familles endeuillées, né en 1995 et qui regroupe aujourd’hui plus de 600 familles d'Israéliens et de Palestiniens ayant perdu un proche dans le conflit, Neve shalom/Wahat as salam (Village de la Paix), fondé en 1972, seul village judéo-arabe d’Israël où les enfants sont co-éduqués en hébreu et en arabe, New Profile, association féministe israélienne fondée en 1998, qui lutte contre la militarisation de la société israélienne et soutient les refus de service militaire.

Ce sont aussi les artistes comme System Ali, les rappeurs juifs et arabes de Jaffa. Important aussi de souligner les projets artistiques communs comme l’Arab-Hebrew Theatre de Jaffa, fondé en 1990, le West-Eastern Divan Orchestra (1999), incluant des artistes venant d’Israël et des Etats arabes voisins, Rana, une chorale féminine arabo-juive unique, et enfin le film documentaire No Other Land (2025), coproduit par deux Israéliens et deux Palestiniens et qui montre les exactions des colons israéliens avec l'aide de l'armée contre des villages de Cisjordanie.

Les mouvements sont nombreux et tentent de réunir les Israéliens et les Palestiniens. Est-ce seulement une question de solidarité entre militant.e.s des deux côtés du mur ? N'est-il pas plutôt question de luttes communes, l'écologie, le coût de la vie, la place des femmes..., une lutte qui nous concerne tous et toutes ? Avec  la forte envie de bâtir une autre histoire.
 
De la lutte contre l'occupation à celle, ensemble, pour l'égalité et la justice
Le dossier et l'analyse de la Ligue des Droits de l'Homme




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