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26/05/2011

Wasim, le Palestinien, lutte avec des associations juives


Wasim, comme Shireen, est arabe israélien et se bat contre la négation de l'histoire palestinienne. 30 ans, psychologue, il milite avec plusieurs organisations pacifistes d'origine juive.



Il a donné rendez-vous à la Tour de l'Horloge, bien sûr. Sous la tour construite il y a un siècle par les Ottomans bat en effet la mémoire de Jaffa, cette mémoire plurielle que les autorités juives veulent à tout prix effacer. Dans la vieille cité de 3500 ans, bien des peuples sont passés. Sans remonter si loin, il fut un temps, dit Wasim Biroumi «où Juifs et Arabes empaquetaient ensemble des oranges pour le monde entier»...

Wasim, le Palestinien, lutte avec des associations juives

« C'est l'Histoire que l'on m'a enseignée »

Wasim, 30 ans, psychologue, veut travailler les esprits. Il est venu avec un dossier en main, chargé de faits et de photos pour prouver. Parcourant le passé par les ruelles et les places, il s'est souvent arrêté. Le voilà, lui l'Arabe, devant une plaque célébrant « La bataille historique de Jaffa » de 1948, la victoire des insurgés sionistes et l'exode palestinien. Puis une autre : la bombe juive du 8 juin 1947 qui lança la guerre d'indépendance. « C'est l'Histoire que l'on m'a enseignée », lâche-t-il.

Des hauteurs de Jaffa, nous regardons Tel Aviv. Sur le paysage de buildings se superpose l'image des orangeraies de jadis. « Il y a eu jusqu'à 120 000 Palestiniens autrefois à Jaffa : il en reste 4 000.» Et Wassim de s'enfoncer à nouveau dans l'histoire. 
 
1881, l'arrivée de jeunes juifs d'Europe de l'Est et les Palestiniens réaliseront trop tard : «Tu commences à habiter avec moi et maintenant tu veux la maison ! » 1917, la déclaration de Balfour; puis les manifestations et les tués de 1921 ;  les morts d'Hébron de 1929 ; le plan de partition de 1947 ; la guerre de 1948 ; la loi de 1950 qui spolie les propriétaires : « Ceux qui ont eu le malheur d'être absent de chez eux deux semaines en 1948 ont perdu leur maison, leurs orangers, leurs vergers.» 

L'injustice du présent aggrave la nostalgie

«Désormais, ajoute-t-il, ils doivent au contraire payer un loyer.» L'injustice du présent aggrave la nostalgie. Beaucoup d'Arabes de Jaffa construisent illégalement, ne pouvant obtenir de permis que dans leur "ghetto" d'Ajami. Il y a peu, Wasim Biroumi y louait un logement mais le loyer est passé en quatre ans de 1 400 à 3 000 shekels (de 300 à 600 € environ) alors il est parti se loger avec sa femme et son tout jeune bébé à 20 km de là dans sa belle-famille. 
 
L'injustice du présent s'affiche, éclatante sous le soleil. Nous traversons Andromeda Hill, une immense résidence de luxe donnant sur la mer, prisée des Juifs de la diaspora et où, dit la publicité, « Vous n'entendez que les vagues. » Le chemin qui la traverse a été sécurisé, fermé, illégalement : « Le Comité de Jaffa a obtenu qu'on rouvre le passage », indique Wasim dans un sourire. Il y a comme ça, parfois, de petites victoires.
 

Wasim, le Palestinien, lutte avec des associations juives

« Aucun des deux peuples ne va jeter l'autre à la mer »

Pour autant, Wasim refuse de répondre aux multiples discriminations par des actions violentes. Il est plutôt à contre-courant : «Depuis une dizaine d'années, les jeunes sont devenus de plus en plus radicaux ; les Juifs sont devenus des ennemis, c'est armée contre armée.»

Lui, au contraire, travaille à des actions communes. Il a participé  au lancement d'une coordination juifs-arabes sur le modèle de l'Irlande du Nord pour maîtriser les manifestations. En cas de dérapages, Wassim appelle un collègue juif pour calmer les tensions : «C'est la seule solution durable, aucun des deux peuples ne va jeter l'autre  à la mer ». 
 
Pour l'indispensable reconstruction de la mémoire, Wasim travaille avec Zochrot, une ONG fondée par le juif Eitan Bronstein pour lutter contre le déni du Palestinien et la «catastrophe», la Nakba, de 1948. Il travaille aussi avec les soldats de "Breaking the silence" qui dénoncent les exactions de l'armée ; ou encore avec l'ONG Machsom Watch, l'association de ces femmes israéliennes qui vont chaque semaine parcourir les quelque 400 checkpoints pour décrire les brimades imposées aux Palestiniens.

« Agir en douceur »

Wasim Biroumi milite ainsi depuis neuf ans. « Ma femme est dans des associations féminines et est beaucoup plus engagée ! », glisse-t-il. Pour lui, le déclic est venu à l'Université. « J'avais 21 ans, je me suis dit : "Pourquoi toutes ces gifles ? Pas moyen de sortir avec une juive ? Pas moyen de louer une maison ? Pourquoi l'arabe en troisième langue seulement derrière l'hébreu et l'anglais? 
 
Un jour, poursuit-il, j'ai été arrêté à l'aéroport quatre heures… Sur la carte d'identité, il faut donner le prénom du grand-père, l'arabe ne peut pas aller n'importe où, des métiers lui sont interdits... » Mais il préfère « agir en douceur ». Le psychologue va ouvrir sans doute un jour son cabinet, quitter la clinique où on ne lui donne pas de juifs à soigner et il continuera à parler à tous, sans crainte. «Parler protège», sourit-il.
 
Michel Rouger
 
Présentations en français de Zochrot




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