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16/10/2015

Ses films, depuis trente ans, construisent un autre monde


Six de ses films vont passer en continu lors du colloque national « Un autre monde se construit », à Rennes, du 26 au 28 octobre. Six sur quelque... 300. Tous consacrés au développement durable, soutenable, en tous domaines. Jean-Yves Dagnet se définit comme un « médiateur de la complexité ». Dit comme ça, ça paraît un peu compliqué, en fait c'est très simple.


Combien de films précisément ? Il ne sait plus très bien. Disons « entre 300 et 400 ». L'homme est trop occupé. Cet après-midi par exemple. Au milieu des films, bouquins, documents qui habitent la mansarde du pavillon familial aménagée en bureau, une belle histoire en cours de finition émerge : « Les 50 ans du Mené ». 

Cette histoire pionnière du Mené, c'est un peu la sienne. En 1974, l'étonnant sociologue-maire-curé Paul Houée, défricheur d'idées dans ce coin de centre Bretagne en perdition, publie Quel avenir pour les ruraux ? A Fougères, le fils de paysan Jean-Yves Dagnet, qui tente laborieusement de faire fructifier son DUT de gestion au bureau des Douanes, perçoit l'espoir que porte ce livre. Il se trouve aussi que l'instituteur de son village, Monsieur Bigot, lui a inculqué à 7 ans la passion de l'image. Alors, quand les Douanes ont la bonne idée de le licencier en 1981, Jean-Yves Dagnet part en formation lourde et se donne un nouveau métier : réalisateur photo et vidéo spécialisé dans le développement rural.

Deux beaux outils de promotion rurale brisés

Il y a là un héritage à faire fructifier. L'émancipation des ruraux par l'image est née en Bretagne dans les années 60 avec la Télé Promotion Rurale (vidéo ci-contre). Un organisme géré par la profession agricole a pris le relais : l'INPAR, l'Institut national de promotion agricole et rurale. Le jeune réalisateur y entre aussitôt, il va y rester plus de 13 ans. 

Il glisse sa caméra dans « Les coulisses de la modernisation » (les paysans surendettés qui craquent) ; la pointe vers « L' avenir au pluriel » de l'agriculture (on est en 1991 : 25 ans après, la question reste entière...) Il explore « Les nouvelles relations ville-campagne », confronte aussi les questions et solutions d'ici à celles d'ailleurs, laboure des expériences au Maroc, en Bulgarie, Russie.

Fin 1997, l'INPAR ferme, les caisses sont vides. Jean-Yves Dagnet embraye au Cedag, autre tête chercheuse où le documentaire est encore davantage un support pour la concertation : « Quelles techniques utiliser, dit-il, pour que des gens ayant des regards différents agissent ensemble, ruraux et urbains par exemple ? » Et cela, que l'on vive en France, Maroc, Sénégal, Côte d'Ivoire, théâtres de ses reportages. Mais, au bout de cinq ans cette fois, le Cedag meurt à son tour. Le monde agricole sait casser ses meilleurs outils.

« Il y a une très grande paupérisation du métier »

Depuis douze ans donc, maintenant, le « médiateur de la complexité » comme il aime se définir, doit bosser malgré lui en indépendant. « Je suis intermittent non choisi ! » Une situation où on bosse sans intermittence pour décrocher des contrats. « Il y a une très grande paupérisation du métier », résume-t-il. Engrenage bien connu ici comme ailleurs : pour survivre, des gens cassent les prix et trop de clients, même publics, jouent ce jeu en acceptant une baisse de qualité, d'autant plus que les budgets rétrécissent depuis cinq ans. En bref, « les prix peuvent varier de 1 à 4. »

Jean-Yves Dagnet le répète avec passion : « Faire un tel film c'est au minimum 30 % de travail d'investigation, d'enquête, de documentation. L'exigence ne porte pas que sur la qualité de l'image, également sur le contenu : le film ne doit pas vieillir en huit jours ! »   Un film de 5 mn sur le camembert AOC réalisé en 1992 a tenu vingt ans : « C'est moi qui leur ai demandé d'arrêter... »

En reportage sur la précarité énergétique
En reportage sur la précarité énergétique

Seul mais en équipe

Le réalisateur médiateur travaille donc pendant le « chômage », grâce à l'Assedic, pour garder la qualité professionnelle de jadis, essayant aussi de reconstruire, pour cela même, un travail d'équipe. Pour la production elle-même, c'est avec Toot !. Pour l'économie sociale et l'agriculure, la scop Oxymore ; pour l'urbanisme, l'aménagement, l'Agenda 21, le développement durable, plutôt Idea Recherche. Et pour les politiques publiques le cabinet Epices.

Le professionnalisme est un engagement qui va de pair avec la passion qui depuis plus de trente ans maintenant l'emmène sans discontinuer sur les questions de développement soutenable dans l'agriculture, l'économie sociale, l'environnement, l'urbanisme, la participation citoyenne. En gardant une totale indépendance : un vrai sport tant les enjeux sont lourds.

« Faire émerger l'intelligence des gens »

« Pour l'expo "Le Grand Espoir", je me suis fait engu... des deux bords », s'amuse-t-il. Pas étonnant : tout le "modèle agricole breton" né après guerre réinterrogé par l'histoire et les débats d'aujourd'hui ! L'exposition  organisée en 2012 par l'Ecomusée de Rennes (54 000 visiteurs) posait les questions au niveau du quotidien des gens et c'est cela que Jean-Yves Dagnet aime faire aussi.

« J'aime faire émerger l'intelligence des gens », dit-il. Un autre film qui m'a marqué c'est "Mieux logé mieux dans ma vie" en 2009 pour les Compagnons Bâtisseurs. Il s'agissait d'accompagner la réhabilitation avec les gens eux-mêmes d'un habitat indigne. Il a fallu le faire de façon très pudique, montrer à la caméra ce qu'on ne voit pas. »

(Ci-contre le film "Mieux logé mieux dans ma vie" dans une version YouTube de 25 mn).

Dans le Mené
Dans le Mené

Le Mené, le symbole

Et l'on revient au grand moment de cette semaine. Le 23 octobre, dans la salle du Mené où quelque 300 personnes vont revivre une révolution de 50 ans considérée comme la première opération de développement local en France par le grand expert de la question Georges Gontcharoff. Lancée le 12 août 1965, elle mobilisa des milliers de personnes pendant des mois pour fonder un avenir qui, en 2015, fait par exemple du Mené un « territoire à énergie positive ».

Sous la pression d'une demande comme d'habitude tardive, Jean-Yves Dagnet a puisé dans ses archives et réalisé un 13 mn à partir de trois heures d'enregistrements qui devraient ensuite nourrir un 52 mn ou un webdocumentaire pour promouvoir cet exemple unique de démocratie participative.

Dans l'immédiat, six de ses films vont être projetés en continu lors du colloque national des Convivialistes, du 26 au 28 octobre. Programme du colloque : « Un autre monde se construit ». On comprend que Jean-Yves Dagnet y participe. Ce programme semble être toute sa vie.

Michel Rouger



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