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28/11/2012

Il combat le monstre de Brocéliande


En bordure de la forêt mythique de Brocéliande, à Gaël, en Bretagne, gisent 300 000 tonnes de déchets déversés depuis 30 ans par 65 communes des alentours. Un projet vise à doubler cette poubelle géante. Depuis huit ans, des habitants guerroient et proposent d'autres réponses à ce défi de notre temps. Jean Guillouët est en première ligne.


Il combat le monstre de Brocéliande
Le monstre, depuis la route qui mène vers Paimpont, au lieu dit "Le Point-Clos", ne se voit guère. Il est planqué sous un tapis de verdure. Pourtant, ses 300 000 tonnes vivent. Elles pissent des lixiviats qui s'infiltrent dans le schiste et glissent vers les rivières. Elles lâchent des gaz par les naseaux qui pointent de loin en loin, des gaz qu'on laisse s'échapper, sans les brûler, à cause de la forêt toute proche.

Jean Guillouët revient souvent là : « Il y avait une carrière, dit-il, on a d'abord bouché le trou puis on a continué, ajouté aux déchets ménagers des déchets industriels, des déchets hospitaliers.  » Et la bête, peu à peu, s'est installée sur ce promontoire où les eaux se partagent, les unes vers l'Oust, les autres vers le Meu puis la Vilaine. Connaîtra-t-on jamais les dégâts sanitaires de ce laissez-faire initial ? Jean Guillouët et ses amis ont demandé en vain une étude épidémiologique à cause de cancers suspects : champ d'étude trop petit, leur a-t-on répondu... 

Le monstre double de volume

En gros, laissons le monstre dormir. Mais on n'en est plus là, de toutes façons. En revenant à Gaël, il y a une dizaine d'années, Jean Guillouët ne se doutait pas de ce qui l'attendait ! Il avait quitté le pays pour les études, pour le travail. Il avait bourlingué en Amérique du Sud et autre contrées lointaines. Son travail d'agent commercial le faisait toujours sillonner la France et la Belgique. Alors, quand l'affaire a éclaté, il avait emmagasiné quelques idées. 

L'affaire ? Début 2004, le SMICTOM Centre Ouest Ille-et-Vilaine, syndicat mixte regroupant 65 communes soit quelque 100 000 habitants, décide que le monstre doit doubler de volume. On va créer : 1, une unité de Tri Mécano Biologique associé à un système de compostage permettant de traiter annuellement 20 000 tonnes d'ordures ménagères et 5 000 tonnes de "déchets industriels banals" ; 2, un centre de stockage des déchets non dangereux d'une capacité de 300 000 m3 soit 236 000 tonnes, au rythme de 25 000 tonnes par an.

Il combat le monstre de Brocéliande

Six ans de combat et des victoires... fragiles

La décision, sitôt prise, provoque une vive réaction parmi les habitants de Gaël et de ses voisines, Concoret et Muel. Deux associations, Sauvegarde de Brocéliande et Assure, lancent une guérilla. Jean Guillouët est au premier rang. Les militants planchent sur le dossier des nuits durant ; font du porte à porte ; lancent un libelle "Le dossier n'est Point-Clos, la gazette qui déterre les infos" ; organisent pétitions et manifs ; attaquent devant les tribunaux...

Le 7 décembre 2005, un cortège de voitures vient déposer 15 000 signatures à la préfecture ; le 10, la foule se presse à la fête de soutien ; puis France Inter et Arte débarquent ; Danielle Mitterrand et sa Fondation apportent leur soutien, etc. La guérilla juridique, surtout, se poursuit, et au bout de six ans, en mars 2010, victoire : le tribunal administratif annule permis de construire et autorisations d'exploiter.

« Poubel'land »

Entre-temps, aux municipales de 2008, la mairie a changé de mains. La nouvelle municipalité est clairement contre le projet. Jean Guillouët en est, il se bat désormais avec sa casquette d'élu. Mais, en 2011,  le SMICTOM, qui « n'a pas de plan B », comme dit Jean Guillouët, relance le dossier. L'enquête publique est favorable. Il est à craindre aujourd'hui que Gaël va devenir pour de bon le « Poubel'land » dénoncé dans la gazette des opposants.
 
Alors qu'on peut faire autrement ! Jean Guillouët et ses amis ont tenté mille choses pour convaincre. « On a tendu la main, on ne se bat pas contre des ennemis ; nous avons ouvert le débat, des centaines de personnes se sont informées. » Ils ont fait venir des experts notamment l'alsacien Dany Dietman, le père de la "pesée embarquée", Jean-Claude Pierre, fondateur d' « Eaux et Rivières » et du réseau « Cohérence » et bien d'autres encore.

Il combat le monstre de Brocéliande

« Nous expliquons, petit à petit ça fait son chemin »

Car la première réponse est là : « Inciter à produire moins de déchets. » Couplée à une seconde : « Traiter le plus localement possible pour responsabiliser les citoyens : c'est trop facile de déposer ses déchets dans le champ du voisin. » Et Jean Guillouët de citer les exemples de Saint-Philbert-de-Bouaine, en Vendée, où l'on collecte le fermentescible pour faire un compost de grande qualité, et des communes du syndicat des Landes de Lanvaux, en Loire-Atlantique, qui ont étudié et proposé chacune des terrains et créé plusieurs décharges, acceptant à tour de rôle leur part de déchets !

« Nous expliquons, petit à petit ça fait son chemin ; les mentalités, j'en suis persuadé, changent », estime Jean Guillouët. Même au sein du SMICTOM qui s'est intéressé à la mise en place de la "levée" (moins on sort la poubelle, moins on paye). Mais le temps de la conviction est plus lent que celui de l'industrie et des lobbies.

La France, « l'élève le plus mauvais d'Europe »

La filière du déchets apporte des emplois aux familles du coin, ceux notamment du collecteur Théhault, de Saint-Méen-Le-Grand. Elle est surtout très puissante. « Maintenant que l'Europe a mis un moratoire sur les usines d'incinération, les usines TMB (comme celle en projet à Gaël) poussent comme des champigons, accuse Jean Guillouët, alors que le "compost gris" qui en sort est très décrié à cause des métaux lourds qui demeurent ; sans parler e l'absence de débouché, et pour cause... »

Pas étonnant, donc, que la France soit « l'élève le plus mauvais d' Europe » pour la réduction des déchets : l'objectif en Ille-et-Vilaine est de baisser de 10% d'ici 2020, bien loin de l'exemple mondial, la Nouvelle-Zélande qui prévoit d'atteindre alors... zéro déchets. « Il faut lutter contre le suremballage, arrêter le tout jetable, pénaliser la grande distribution, remettre le vrac au goût du jour, on doit tous être acteurs », lance Jean Guillouët avec une rage contenue.

Il combat le monstre de Brocéliande

« Poubel'land » contre Arboretum

Il n'a pas toujours dit ça. Autrefois, avoue-t-il, « J'étais à fond dans la société de consommation, mes expériences m'ont amené à avoir un autre regard, c'est un chemin de vie. »  Un chemin qui l'amène à participer à bien d'autres choses.

La question des déchets, pour l'élu Jean Guillouët, s'inscrit dans une action d'ensemble, très politique mais sans carte de parti. Il participe à une Cigale, au groupe local NEF et au CPIE, le Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement de Brocéliande ; il a encadré des jeunes,  l'été dernier, pour réhabiliter un sentier ; il s'active pour le marché tournant mis en place avec Mauron et Concoret dans le cadre d'un plan commun de développement. 

Et il s'est engagé à fond dans le dossier de l'Arboretum du Point-Clos, un lieu d'histoire et de mémoire envahi aujourd'hui par la végétation. Comme pour tous les jeunes de Gaël, il a été pour Jean Guillouët un terrain d'aventures et de découvertes. Demain, valorisé, il peut devenir un pôle d'attraction important pour Gaël. Mais le monstre est là, en face, de l'autre côté de la route...  

Michel Rouger
 
 
POUR ALLER PLUS LOIN

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L'étonnant Arboretum du général allemand

Comment faire cohabiter un véritable complexe de traitement de déchets et un parc forestier où le public de la région et d'ailleurs pourrait s'aventurer dans les étranges chemins créés ici par l'Histoire ? Les élus de Gaël et des communes voisines veulent absolument le valoriser et cela constitue l'une des multiples raisons de leur opposition au centre géant situé aussi au Point-Clos, de l'autre côté de la route.

L'histoire du lieu, illustrée par le Mémorial que l'on découvre à l'entrée, est étonnante. Terrain d'aviation avant la Seconde Guerre Mondiale, il a été utilisé par l'armée allemande durant le conflit. Quelque 3 000 personnes y travaillaient. Les ruines des multiples équipements, dont un casino, sont enfouies dans la végétation. Émergent aussi des arbres rares. Le général commandant le camp, Alfred Hienz, avait créé un véritable arboretum, faisant venir des essences par avion. On peut découvrir cette histoire ici




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