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16/09/2025

Véronique Dave transforme notre vision du voyage

Texte : Marie-Anne Divet


En 2005, avec quelques ami.es de Namur, en Belgique, et des Pays de la Loire, Véronique Dave a créé Tamadi, une organisation de voyage solidaire basée sur l’échange avec des organisations paysannes partenaires. Après le Mali, sont venus Madagascar, la Turquie, l’Inde... Puis d’autres projets, locaux cette fois. Tout est bon chez Véronique Dave pour “permettre aux gens de se rencontrer, créer du lien”, et ainsi “proposer des alternatives pour une société plus juste”.


« J’avais besoin de donner un sens à ma vie » © Tamadi
« J’avais besoin de donner un sens à ma vie » © Tamadi
Quand à 18 ans, Véronique Dave, la jeune namuroise, décide de prendre une année sabbatique pour devenir bergère, elle ne sait pas encore que c’est en France qu’elle va ancrer ses projets. « Heureusement, avoue-t-elle en riant, je n’ai pas été reçue à l’école des bergers de Salon-de-Provence ! ».

Fini le projet de bergerie, elle "monte" à Paris et y croise son amoureux. Que faire quand on a 20 ans et l’envie très forte de faire le tour du monde ? Acheter un bateau. Deux enfants plus tard, le bateau est définitivement trop petit et les rêves classés au rayon de l’oubli.

Par les petites routes du hasard, direction Ancenis.  Vente du bateau et ouverture d’un atelier graphique. Véronique est née dans une famille d’imprimeurs, la mise en page, elle en fait son affaire avec les trois personnes qu’elle a embauchées. Tout va bien jusqu’au jour où le client le plus important crée son propre service.
« Travailler seule ne m’intéressait pas. Une salariée a repris le lieu et la clientèle. Un nouveau projet se dessinait : créer avec des copains un magazine pour les enfants de 8-12 ans, l’âge de mes filles. L’originalité, c’était que les enfants étaient les journalistes. J’assurais la mise en page. Cela  a duré deux ans de 1995 à 1997. Une belle expérience ! »

Surtout ne pas suivre les modèles néo colonialistes © Tamadi

« Toi, tu es une rebelle ! »

Elle trouve un boulot alimentaire mais c’est loin de la satisfaire.
« J’avais besoin de donner un sens à ma vie, en phase avec mes valeurs. J’avais envie de travailler dans l’international et dans la coopération. »
Elle décide de s’inscrire au Cnam en "Management de projets". Elle part  pour trois ans d’étude.
« C’était dur, je bossais, j’étais ce qu’on appelle « imprimeuse en chambre », je faisais de la composition et assurais la commercialisation. Le vendredi et le samedi, je suivais les cours à Nantes. Sans compter les devoirs à rendre, les mémoires à préparer... »
Très vite, elle sent le décalage entre ses aspirations et les objectifs de la formation.
« Ce cursus productiviste était en contradiction avec mes valeurs. Je me positionnais différemment et c’était une bataille à chaque fois pour faire passer les idées que j’avais. A l’époque, par exemple, le directeur de la formation ne savait pas ce qu’était le développement durable… sur toutes les bouches aujourd’hui ! Un jour, il m’a dit "Toi, tu es une rebelle !" Finalement, cela a été très formateur.» 
Le tourisme solidaire, une piste à explorer

Peut-être que le projet TAMADI ne serait pas né s’il n’y avait eu cette opposition à nourrir ? 
« J’avais envie de travailler dans la coopération à l’international mais certainement pas de suivre les modèles néo colonialistes qu’ont développés certaines ONG . En étudiant, j’ai pris conscience que je ne voulais pas de ce système-là. »
Elle fait un stage à Point-Afrique Voyages, coopérative de voyageurs spécialiste des voyages en Afrique de l'Ouest depuis 1996.  Elle est chargée de mettre en place un circuit au Rwanda. S’ouvre alors pour elle une piste à explorer : le tourisme solidaire. Elle en fait son mémoire avec des spécificités qui lui sont propres.
« Le voyage est le prétexte. J’adore monter des projets avec une vraie valeur sociétale ajoutée, des projets qui permettent aux gens de se rencontrer et de créer du lien, pour qu’ensemble, ils et elles proposent d’autres alternatives pour une société plus juste avec du respect pour les différences, les croyances, avec de l’égalité et de l’équité. »
C’est ainsi qu’est né Tamadi
 
On est en 2005. Véronique réunit une petite douzaine d’ami.es belges de Namur et de Français des Pays de la Loire. Ils sont quatre ou cinq à investir 500 euros chacun. C’est ainsi que nait Tamadi. Première expédition : le Mali. Un des membres du conseil d’administration est en formation et travaille dans ce pays avec l’Association des Organisations Professionnelles Paysannes qui devient la première partenaire. 
 

Elle sera suivie de bien d’autres car c’est le premier principe de Tamadi : un partenariat étroit avec des organisations paysannes impliquées dans des actions de développement rural. Ce sont eux qui accueillent les voyageurs dans leur pays.  « On est à pied d’égalité entre les voyageurs et les hôtes. Il n’y a pas de trafic d’argent. Ce sont les organisations locales qui gèrent. Au Mali, par exemple, chaque village concerné par le projet, a envoyé des jeunes pour se former, pendant 10 jours, en tant que guide. Cela a nécessité beaucoup de discussions de la part des organisations : Qu’est ce que les gens vont venir faire chez nous ? Pourquoi cela les intéresse ? On n’a rien de particulier à montrer... »

Rencontre avec les partenaires en Inde © Tamadi

Tamadi évolue

Après le Mali qui est sorti du réseau aujourd’hui pour des raisons politiques, huit pays sont inscrits au catalogue avec les associations paysannes partenaires : Madagascar avec Fekritama (2007) ; la Turquie avec Bogatepe Cev Der (2009) ; l’Inde avec Ekta Parishad et le Sahara Occidental avec la Cope-Sat (2010) ; la Tunisie avec l’Association des Jeunes de Zammour (2012) ; la Tanzanie avec Mviwata (2014) ; la Thaïlande avec NPF et le Brésil avec le Mouvement des Sans Terre (2016) ; la Sicile avec Sikanamente (2022).

Le 20 septembre 2014, les partenaires deviennent membres à part entière de l’association et de ses instances.
« C’est une relation nouvelle pour eux, ils sont amenés à prendre une part active dans le développement, de se dévoiler totalement. Il ne peut pas y avoir de rapport d’autorité ni de promesses de financement. Ce qu’ils ont gagné, ils l’ont gagné par eux-mêmes. On est sur une autre forme de liens, de mutualisation, une autre synergie. Les partenaires sont prêts à poursuivre le travail associatif, même sans voyageurs ! »
En 2015, Tamadi décide d’intégrer dans son réseau des organisations paysannes européennes. Accueil Paysan de Loire-Atlantique en France et Paysans-Artisans de Namur en Belgique rejoignent l’équipe. En 2022 ce sera le tour de Sikanamente en Sicile.

Et les voyageurs ?

« Nos voyages se construisent autour d’une volonté affichée : permettre une rencontre de qualité entre voyageurs et population locale. La rencontre est rendue possible grâce au parti pris de l’immersion :  logement chez l’habitant, repas partagés en famille, diverses rencontres avec les associations, les paysans, les artisans, utilisation des transports locaux, accompagnement par un guide local… La proximité avec le quotidien des hôtes est pour Tamadi la condition indispensable pour créer des ouvertures pour la rencontre et permettre ainsi aux échanges de dépasser les barrières culturelles et sociales.», annonce la brochure.

Deuxième grand principe de Tamadi : le voyageur n’est pas un consommateur, il est acteur de son voyage, tout comme les hôtes ne sont pas les prestataires de service. Pas question d’argent entre l’accueillant et l’accueilli : tout est géré par l’association-partenaire et chacun est rémunéré à sa juste valeur. C’est une activité complémentaire pour les paysans et les bénéfices améliorent la vie dans les villages.

Théâtre action, une image des Escales © Tamadi

Escales chez les militant.es d’ici

Un autre projet occupe beaucoup Véronique en ce moment. Il est né dans la période difficile de la COVID. Une autre proposition qui permet au petit budget de voyager autrement à proximité de chez soi.
« C’est comme un troc : je t’héberge pour deux nuits, je t’offre le petit déjeuner et le premier repas d’accueil et je te fais découvrir une belle initiative de mon territoire. En échange, je pourrais faire la même chose chez toi ou chez un autre "escalien".

Cela permet de valoriser l’endroit où on vit, mettre en lumière les acteurs de changement, explique Véronique. On peut expérimenter les déplacements « doux » comme le vélo ou les transports en commun. Mais surtout, faire des rencontres enrichissantes: souvent, les futurs hôtes pensent qu’il n’y a pas grand-chose d’original à proposer dans leur coin en terme d’initiatives et, quand ils commencent à réfléchir, ils sont étonnés par le nombre et la richesse des propositions sur leur lieu de vie ! »
Le projet est en passe d’intéresser fortement les collectifs et associations : quelle bonne idée d’aller à la rencontre d’autres organisations qui ont des initiatives proches ou différentes de celles que l’on a mis en place sur son territoire !

Encore des projets sous le coude Véronique ?

« Je suis plus une écouteuse qu’une raconteuse », a-t-elle dit au début de l’entretien. Véronique est surtout quelqu’un qui a plus d’un projet dans son sac. Le dernier en date, « Cultivons les cailloux », est une drôle d’expression qui attire la question.
« C’est un tiers-lieu qui regroupe des professionnel.les qui ont une démarche de production responsable à Ancenis. On souhaite créer du lien social par la solidarité, la coopération et la mutualisation. Il y a une boutique en autogestion, des espaces pour des ateliers, de l’accompagnement pour les porteurs de projets, du partage de compétences et bien d’autres choses encore ! »
 Et « Bawete », Véronique , cet espace où vous accompagnez la création de site web, de catalogues, d’affiches, de prospectus ? J’aime la façon dont vous en parlez.
« Bawete se prononce baouèt et me relie à mes origines wallonnes. C’est une petite ouverture par laquelle pénètre la lumière, sans filtre ! C’est aussi une petite brèche d’où il est possible d’admirer les étoiles. C’est une petite trouée pour voir le monde en grand. »
C’est tout vous cela, Véronique !



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