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19/03/2013

Soazig, 24 ans, offre son savoir aux petites entrepreneures du Sud


Brillante étudiante en gestion, Soazig Barthélémy n'est pas du genre à finir chez Goldman Sachs et autres prédateurs de l'économie réelle. Ni à s'égarer dans le charity business. Au sein de sa grande école de commerce, l'ESCP Europe, elle a créé une mini-ONG qui aide les femmes du Sud à gérer leur petite entreprise. Premières expériences au Cambodge, au Pérou et au Sénégal.


Soazig, 24 ans, offre son savoir aux petites entrepreneures du Sud
2011, New-York, au siège de l'ONU. Soazig Barthélémy, 22 ans, conduit une délégation d'étudiants de l'ESCP Europe, la bicentenaire grande école de commerce qui accueille aujourd'hui quelque 4 000 étudiants à Paris, Londres, Berlin, Madrid et Turin. Depuis l'année précédente, Soazig préside l'association Call ON'U, qui rassemble une centaine d'étudiants mordus de diplomatie sur les cinq campus. À New-York, au milieu de 4 000 jeunes de la Planète venus mimer cinq jours durant les diplomates onusiens, Soazig est amenée à débattre du statut de la femme au nom de la délégation indienne. L'étincelle.

« J'ai découvert pas mal de choses », confie-t-elle modestement ce midi, à Paris, en s'accordant un peu de temps entre l'ESCP, son départ dans quelques jours en Argentine et les mille tâches de son ONG Women Take the Micro. Celle-ci a été lancée sitôt après l'expérience new-yorkaise. « Je me suis dit :  "Nous avons acquis des savoirs, en cours ou en stage, pour gérer une entreprise, nous pouvons les faire passer auprès des femmes défavorisées dans le monde." »

Soazig a le soutien de l'École. Après avoir contourné quelques obstacles, elle parvient à mobiliser une demi-douzaine d'étudiant(e)s avec elle. Dès la fin 2011, le projet Women Take the Micro tient la route. L'objectif n'est pas de "prendre le micro" même si les femmes seront invités à s'exprimer sur tout ce qui les touche ; l'essentiel est d'appuyer techniquement, côtés gestion et commercial, des petites entreprises lancées par des femmes grâce à la microfinance dont le fameux microcrédit.

Soazig, 24 ans, offre son savoir aux petites entrepreneures du Sud

Au Cambodge : « Au bout d'une semaine elle avait tout assimilé »

En quelque mois, l'équipe  trouve des financeurs pour quelque 26 000 €, ajoute plus de 10 000 € sur des fonds personnels, démarche les organismes de microfinance, multiplie les réunions et retient une soixantaine de femmes au Cambodge, au Pérou puis au Sénégal. En juillet 2012, Soazig s'envole pour le Cambodge avec deux collègues après avoir suivi quelque trente cours de khmers.
 
Durant quatre mois, ils accompagnent des cultivatrices de riz ou de maïs, des éleveuses de poulets ou de cochons, une conductrice de taxi... Ils  partagent leurs savoirs et découvrent d'autres modes de vie. Il y a ce couple, lui taxi elle rizicultrice : « Il poussait sa femme à se lancer, il avait une vision moderne de l'avenir du pays.  » Il y a cette femme, mère de trois gamins et sa petite épicerie. « On lui a apporté un capital de départ, elle savait vendre, on a insisté sur la gestion :  au bout d'une semaine elle avait tout assimilé ; aujourd'hui, l'aîné va à l'école, elle peut même lui payer des cours d'anglais privés, tout s'enchaîne et pour elle c'est une grande fierté. »

À Dakar
À Dakar

« Nous ne voulons pas lmposer nos schémas culturels »

La raison d'être de WTM est bien celle-là : ne pas donner, former. Ne pas offrir le poisson, apprendre à pêcher, selon le fameux proverbe. En toute modestie. « Nous ne voulons pas lmposer nos schémas culturels » En allant sur trois continents, Soazig et ses amis ont d'ailleurs voulu multiplier les contextes pour savoir s'adapter, apprendre. Après le Cambodge, là voilà partie deux mois au Sénégal avec deux équipières.

« Les mentaltés sont tout-à-fait différentes, les Sénégalaises ont par exemple la culture du crédit », souligne-t-elle. Les célèbres tontines. Mais ce qui pêche, si l'on ose dire, là encore c'est la gestion... et davantage encore. En rencontrant Khady Samb, à Dakar, « nous ne nous attendions pas du tout à ça ! », sourit Soazig. Khady, qui vend des kits d'aphrodisiaques, ne sait ni lire ni écrire, elle s'exprime uniquement en wolof. 

Pour son commerce, elle mémorise tout, dans la limite du possible : les chiffres jusqu'à 100 seulement. Alors, après s'être documentées, les trois étudiantes entreprennent de lui enseigner quelques bases. Khady bûche le soir. « Elle a appris très très vite ; il fallait voir sa fierté quand elle a fait son premier budget, avec des traits hésitants, génial. ».

Soazig, 24 ans, offre son savoir aux petites entrepreneures du Sud

« Une quête de sens »

Ce midi, tout en ayant déjà l'esprit à Buenos Aires où elle part pour six mois dans le cadre de son cursus, la future cadre songe à l'avenir de WTM, sa première entreprise en quelque sorte. « On va continuer bien sûr, c'est extrêmement enrichissant. Plein de lieux communs sont tombés, il y a d'autres manières de déchiffrer la situation de la femme, il est  intéressant de voir comment les entreprises marchent là-bas. C'est gagnant-gagnant.  »

Avec la petit équipe fondatrice de WTM, elle va donc organiser des missions, faire du recrutement auprès des étudiants, chercher des entreprises-sponsors. En visant toujours les femmes entrepreneures défavorisées des pays du Sud.  Elle-même, diplômes en poche, se voit travailler sur l'économie du développement et les politiques publiques à mettre en place. Le "court termisme" actuel ne lui convient guère. En attendant, chaque jour, elle continue de consacrer des heures à WTM. « C'est quelque chose d'assez personnel, une quête de sens, d'utilité »...

Michel Rouger

Photos Marie-Anne Divet









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