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23/04/2015

Au cœur de la bataille contre l'exploitation des travailleurs du Sud


Il y a deux ans, le 24 avril 2013, un immeuble abritant des ateliers de confection s'effondrait au Bangladesh, tuant 1 135 ouvriers et ouvrières. La tragédie du Rana Plaza n'a guère fait bouger pour autant les grandes marques de textile, responsables de l'exploitation des travailleurs du Sud. Elles affichent même une résistance parfois violente. Fanny Gallois, qui les a affrontées huit ans durant pour l'ONG Peuples Solidaires, en sait quelque chose.


Au cœur de la bataille contre l'exploitation des travailleurs du Sud
Elle vient de s'accorder une pause. Pour s'occuper de son enfant de 2 ans. Pour enfin pouvoir lire un roman. Pour trouver un simple moment de discussion, comme cet après-midi, dans le centre de Paris.

Fanny Gallois n'a pas eu beaucoup de temps pour elle ces huit dernières années. Il faut dire qu'elle a été bien servie pour son entrée dans la vie active. L'ONG Peuples Solidaires se bat pour « la dignité au travail », le « travail décent » : le grand sujet, ni plus ni moins, d'aujourd'hui, face au capitalisme industriel mondialisé.

La fille de journalistes, trimballée d'Argentine en Côte d'Ivoire dans son enfance, était faite pour ça mais ne le savait pas quand, au sortir du bac, elle est entrée en Droit. « Je ne voyais pas trop où ça allait m'emmener. » 

C'est au fil de ses études que l'idée a germé. Elle découvre les Droits de l'Homme puis le Droit International, deux secteurs où « il y a une marge d'interprétation, de créativité. » Elle fait un stage à la Fédération Internationale des Droits de l'Homme. Puis - nous sommes en 2006 -  elle répond à une annonce. Elle est embauchée et mieux que ça...

Des salariés accueillis à bras ouverts

« Peuples Solidaires est une  petite association militante où les salariés sont accueillis à bras ouverts. J'ai senti qu'on avait besoin de moi. Que les élus, les militants, avaient envie qu'on réfléchisse ensemble, c'est très agréable pour un premier job. » Avis à tous les employeurs...

Son travail : au sein du « réseau solidarité » qui lance notamment les « Appels Urgents » (une caractéristique de Peuples Solidaires), agir pour développer la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), comme on dit maintenant,  vis-à-vis de leurs sous-traitants des pays du Sud. Ensuite, elle devient chargée de mission sur le travail décent, puis responsable des campagnes. Toujours « la tête dans le guidon ». Elle est jeune. C'est souvent comme ça dans les ONG.

« Les salariés sont souvent jeunes car c'est exigeant en terme de vie de famille et les salaires sont bas : on ne fait pas ce métier si on veut gagner beaucoup d'argent. » En fait, les salariés deviennent eux-mêmes des militants, à des degrés divers. Au contact des responsables de l'association issus du terrain, au contact surtout des militants de là-bas.

Là-bas, « des militants prennent des risques incroyables »

« Ce qui m'a le plus marqué au cours de ces huit ans, ce sont les rencontres avec les représentants des organisations locales sur place ou quand ils viennent témoigner ici. Notre travail comporte une partie administrative parfois usante, eux te motivent. Il y a des militants qui prennent des risques incroyables, qui sacrifient leur vie de famille, des jeunes femmes qui renoncent à tout pour améliorer les droits des travailleurs : "Je n'ai pas le temps pour autre chose", disent-elles simplement.  C'est rare maintenant, chez nous, de voir des gens vivre leur militantisme aussi intensément. »

Ce facteur humain est un atout majeur dans le dur combat que mènent au quotiden Fanny Gallois et ses collègues de Peuples Solidaires ou des autres ONG pour que les multinationales occidentales reconnaissent leur responsabilité sociale. En 2013, le drame du Rana Plaza a été tel que celles-ci ont été contraintes de bouger enfin. De plate-forme en forum et proposition de loi, la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) est sur la table. Mais pour quelles avancées ?

Les mots de Fanny Gallois se chargent alors de plus en plus de passion, d'indignation. « Les entreprises freinent énormément. Elles ont des moyens mille fois plus importants que nous. On n'arrive pas à suivre le rythme des réunions stériles qu'elles imposent. » La complexité, par exemple juridique (quelle compétence entre le juge français et  son collègue bangladais), leur offre de continuelles échappatoires. Les salariés des ONG reviennent cependant sans cesse à la charge, avec leurs compétences. Les représentants patronaux peuvent se montrer alors carrément belliqueux.

Des représentants d'entreprises agressifs

« C'est très difficile de vivre des journées entières de réunions où l'on peut se faire littéralement insulter. On a plutôt en face de nous des hommes d'un certain âge alors que les salariés des ONG sont souvent des femmes jeunes. Ils gagnent de l'argent, ils se montrent suffisants. Ils attaquent sur notre compétence, notre manque de professionalisme, notre jeunesse : il peut y avoir des attaques personnelles très violentes, il faut se blinder. Cette violence, je ne l'ai connue que dans les relations avec les entreprises et c'est quasi-systématique. »

Une autre arme est la menace d'une action en justice pour diffamation. Elle peut être dissuasive : « On a conscience de prendre des risques pour l'association. » Difficile aussi de dévoiler des preuves qui peuvent mettre en péril des militants sur place. En même temps, les entreprises n'ont guère à gagner à voir étaler leur (in)conduite au tribunal sous l'œil des médias plutôt favorables aux ONG : « Leur motivation profonde, c'est le risque pour leur réputation. » 

« Ce sujet-là me motive toujours »

Pour autant, cela reste toujours David contre Goliath et seuls, finalement, les États détiennent la solution en légiférant. Chacun ou, mieux, ensemble. Vaste chantier ! En témoignent les aventures de la proposition de loi  déposée en novembre 2013 et qui ne s'arrangent pas sous le gouvernement Valls. 

Fanny Gallois ne peut cacher ses frustrations. Ses inquiétudes aussi devant des signes nouveaux : « Depuis peu, sur nos Appels Urgents ou les réseaux sociaux, on lit des choses du genre "Arrêtez de défendre les travailleurs chinois, occupez-vous des ouvriers français", c'est encore rare mais avant on n'avait rien de cela. Nous, on demande de meilleures conditions de travail partout ! Il faut être plus pédagogue... »

Et cette pause alors ? Visiblement, Fanny Gallois a toujours ses combats à l'esprit. « Ce sujet-là me motive toujours. C'est de la solidarité très concrète. » Elle y reviendra donc : « Tous les lieux où je pourrais avoir une influence m'intéressent. » Le sujet, en quelque sorte, résonne en elle comme un appel. Peut-être un appel urgent.

Michel Rouger



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