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11/04/2019

Faustine, Anne, Elodie, Laure-Anna redonnent de la dignité aux sans-abri

Reportage : Jean-Luc Poussier


A 28 ans, Faustine Heulot possède un solide bagage dans le domaine du travail social. Tout en continuant sa formation, elle est ambassadrice pour l’association "Entourage", qui se veut une passerelle entre sans domicile fixe et habitants des quartiers, et participe activement à "Bulles solidaires " qui collecte des produits d’hygiène. Faustine, comme Anne, Elodie et Laure-Anna : la nouvelle génération de bénévoles.


Faustine a toujours eu la passion de l’engagement bénévole chevillée au corps. La faute sans aucun doute à une grand-mère catholique qui lui a inculqué des valeurs humaines de générosité et lui a montré l’exemple de l’engagement en faveur des plus démunis,  et à une maman également bénévole en milieu scolaire dans sa Mayenne natale. « La vie est toujours faite de rencontres, c’est ce qui nous fait grandir et aller de l’avant, explique Faustine, pour moi la révélation vient aussi d’une amie de maman, directrice d’une maison de quartier à Laval qui parlait de son métier avec une telle conviction et un tel plaisir que ça m’a donné envie de m’engager. »

A 28 ans, cette jeune fille souriante et chaleureuse n’a eu de cesse de mettre des actes sur ses idéaux. Après son baccalauréat, elle quitte la Mayenne pour préparer à Rennes un DUT animation sociale et socioculturelle puis signe un engagement de neuf mois au sein du service civique à Angers avant de se consacrer à l’espace jeunesse de Brissac-Quincé. Elle prépare également une licence professionnelle aux métiers du développement social en milieu urbain.  

Faustine, Anne, Elodie, Laure-Anna redonnent de la dignité aux sans-abri

Des restos du cœur d’Angers aux amitiés sociales à Rennes

En une petite dizaine d’années, elle va conjuguer, entre Angers et Rennes, formations professionnelles et engagement bénévole, ponctués de quelques voyages à l’étranger pour, explique-t-elle, prendre un peu de recul. Son engagement la mène d’abord près des Restos du cœur d’Angers puis des Amitiés sociales à Rennes.

Cette association rennaise vieille de 70 ans, crée à l’origine pour loger les apprentis et les jeunes ruraux, a fondé les foyers de jeunes travailleurs. Elle œuvre toujours en faveur de la socialisation des jeunes et au développement de leur citoyenneté en leur proposant des logements et un accompagnement. Un combat qu’elle a mené pendant quelques années avec conviction.

« Je ne conçois pas, poursuit Faustine, mon projet professionnel sans engagement bénévole en parallèle. » Simplement parce que les deux sont, à ses yeux, complémentaires. « Le travail social est très encadré, soumis à des contraintes multiples : la recherche des subventions, la prise en compte des politiques locales et nationales qui peut amener à privilégier certaines catégories de personnes pour rentrer dans le cadre imposé.

On arrive parfois à laisser pas mal de monde au bord du chemin. A l’inverse, le bénévolat, c’est le champ des possibles… »
Et dans ce domaine, les marges de manœuvre sont infinies. C’est ce qui l’a amenée à signer un contrat de bénévolat d’une année avec l’association "Entourage " fondée en 2014 par Jean Marc Potdevin : « Depuis quelques mois, je suis devenue ambassadrice avec trois autres personnes à Rennes pour créer des échanges entre personnes à la rue et riverains. »

« 3 000 personnes passent devant moi chaque jour et j’ai deux bonjours »

L’idée toute simple d’Entourage créé au niveau national depuis trois ans est de faire tomber les préjugés qui existent entre les habitants des villes et les SDF. Si les sans-abri souffrent du froid et de la faim, ils souffrent surtout de l’isolement et de la solitude. « A Paris, explique Jean Marc Potdevin, tous les matins je rencontrais des sans abri. Je me suis arrêté pour leur parler ils m’ont surtout dit leur isolement. "3 000 personnes passent devant moi chaque jour et j’ai deux bonjours", m’a dit l’un d'eux. Ce qui leur manque et qui fait leur dignité, c’est le fait qu’on leur parle, qu’on les reconnaisse qu’il y ait un peu d’attention et de considération. » 

« Comment casser cette spirale de l’isolement ?
 », s’est interrogé le fondateur d’Entourage.  En créant un réseau de relations, si possible d’égal à égal, qui redonne de la considération à chacun. » Entourage a lancé un réseau collaboratif et géolocalisé sur smartphone accessible a tous. « Ce n’est pas un réseau d’aide ni de signalement, c’est un réseau de relations. A cela s’ajoute le travail  des "ambassadeurs" qui organisent des temps d’échange entre riverains et personnes à la rue pour le moment à Lille, Lyon, Grenoble, Paris et Rennes.

Rencontres autour d'une planche à palets

« A Rennes, nous organisons depuis quelques mois des rencontres autour du jeu de palets en fin d’après midi », explique Faustine. Le palet fait partie de l’ADN de l’Ille et Vilaine et les sans domicile fixe ont toujours un jeu de palets dans leurs bagages, distraction qu’ils partagent avec les habitants des quartiers. Le jeu est un bon moyen de se rencontrer. « C’est quelque chose qui fonctionne très bien, explique Anne Bouvart, stagiaire à Entourage. Chaque rencontre a été un succès même dans des quartiers ou il y avait des tensions entre sans abri et habitants. »  

Ce fut le cas sur le mail François Mitterand ou encore Place Sainte Anne.  Ce n’est pourtant pas si simple à organiser. « Il faut un lieu ouvert parce que le plus souvent, les sans domicile fixe viennent avec leurs chiens. Nous avons fait le choix d’organiser ces rencontres sur des places publiques, à la terrasse d’un bar. Nous avons offert les consommations mais en posant des limites à la consommation de bière. On voudrait faire plus, mais nous ne sommes que 4 ambassadeurs sur Rennes et ça ne nous permet pas d’aller dans tous les quartiers. On cherche des bénévoles. »

Les personnes en situation précaire sont aussi des migrants dont le nombre a tendance à croître et les différents milieux ne se côtoient pas naturellement. L’organisation des jeux de palets à permis de tisser des liens. De leur côté les habitants des quartiers se sont bien approprié l’application sur smartphone et proposent parfois leur aide.

Faustine, Anne, Elodie, Laure-Anna redonnent de la dignité aux sans-abri

« Bulles solidaires » pour combler un manque

Anne et Faustine sont aussi dans l’association "Bulles solidaires " dont l’objectif est de collecter des produits d’hygiène corporelle auprès du grand public à destination des sans abri. « Lorsque l’on s’adresse aux plus démunis, on pense souvent aide alimentaire et moins souvent aux produits d’hygiène qui sont essentiels pour l’estime de soi, pour reprendre confiance dans ses relations avec la famille et lors de rendez vous pour retrouver un logement ou un emploi. »

Différentes boîtes de collecte ont été mises en place dans la ville de Rennes. Les bénévoles démarchent dans les supermarchés, en pharmacie et organisent des campagnes de collecte. Les produits sont ensuite distribués dans le cadre de maraudes dont s’occupe Faustine, ou par le biais des associations travaillant auprès des gens de la rue. Elodie Dibon, en charge le la communication pour Bulles solidaires estime à plus de 500 kg la collecte de Janvier.

« En réalité, explique-t-elle, toutes les associations collectent des produits d’hygiène mais, Laure-Anna Galeandro qui a lancé l’association en 2017 s’est rendu compte que c’était insuffisant. » A l’évidence, l’idée à comblé un manque a tel point que l’association a rapidement essaimé sur une vingtaine de villes françaises. En Bretagne mais aussi à Lille, Paris, Strasbourg, Lyon, Annecy, Montpellier. Bulles solidaires dispose désormais d’une cinquantaine de bénévoles sur la région rennaise et se développe rapidement ailleurs (voir la carte interactive). « Nous organisons aussi des "bulles de bien-être", rendez-vous pendant lesquels des coiffeurs, esthéticiennes, masseurs viennent gratuitement prendre en charge les personnes en situation précaire le plus souvent dans des locaux associatifs. » 

« Quand on s’engage, on reçoit autant qu’on donne »

Cette nouvelle génération de bénévoles, très jeunes et en majorité des filles, utilise beaucoup les réseaux sociaux et ne manque pas d’idées et de générosité. Elles renvoient l’image d’une jeunesse bienveillante et positive. Ce qui la  motive c’est une volonté de partager, de s’engager. « Quand on s’engage, dit Faustine, on reçoit autant qu’on donne. On croise des personnes qui ont des parcours de vie parfois étonnants. Ca permet de dédramatiser ses petits soucis. Ce sont des rencontres humaines très riches et pleines de bonne humeur. »

Actuellement en formation d’un master en intervention et développement social, Faustine voudrait aller plus loin en créant des colocations solidaires entre sans-abri et jeunes actifs. « C’est important d’avoir un toit mais il faut faire plus, développer des solidarités qui débouchent sur autre chose dans les domaine de l’emploi et des relations sociales. »

Jean-Luc Poussier

En France, selon Bulles solidaires, 8,6 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dont 2 millions d’enfants. Il y a 500.000 logements insalubres et 100.000 personnes sans abri. 35% des sans domicile fixe ont un emploi mais n’ont pas les moyens de se loger, ni de se nourrir correctement. A Rennes, le SAMU social estime à 200 personnes le nombre de sans domicile fixe.




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