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02/02/2022

A la rencontre de Joséphine Bacon, la grande poète innue

Texte et image : Marie-Anne Divet


C’est du Canada, dans le nord de la Belle Province, que nous arrive Joséphine Bacon, grande figure de la poésie innue. Elle semble si fragile comme l’est son peuple après des décennies d’assimilation. Mais sa voix est ferme pour lutter contre l’oubli et la disparition de la culture de ses ancêtres, la sienne qu’elle sait transformer en une poésie de mots simples et limpides.


A la rencontre de Joséphine Bacon, la grande poète innue
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« On n’avait pas besoin d’avoir le mot poème ou poésie dans notre langue, parce qu’on était poètes, juste à vivre en harmonie avec l’eau, avec la terre. »
C’est de là que jaillit la voix de Joséphine Bacon, là où elle retrouve la voix des aînés, du plus profond de la terre de ses ancêtres innus.

Joséphine Bacon naît en 1947 dans la communauté innue Pessamit. Elle vit en nomade avec ses parents dans le Nutshimit, l’intérieur des terres de son peuple. Elle a 5 ans. Elle est emmenée de force au pensionnat. Elle y perd son identité d’innue.

Déracinée, loin de la terre de ses aînés, elle débarque à Montréal en novembre 1968, à la recherche d’un travail.  Elle survit, de petits boulots en petits boulots. Dans l’ouest de la ville où « se trouvaient tous les Indiens », elle rencontre un couple, étudiants à l’université McGill. Ils la mettent en contact avec les anthropologues, Rémi Savard, Sylvie Vincent et José Mailhot.

A la rencontre de Joséphine Bacon, la grande poète innue
L’assistante de recherche de Sylvie Vincent va sur le terrain. Elle réapprend la langue du Nutshimit.
« La langue n’est pas pareille comme quand tu es sédentaire et que tu vis dans la réserve. J’ai pu me réapproprier le Nutshimit, même si je ne l’ai pas vécu, je me le suis réapproprié avec les mots des aînés qui m’amenaient avec eux dans leurs récits. »
« La poésie est venue me chercher. J’écrivais sur des petits bouts de papiers. Ils finissaient tout le temps par se ramasser à la poubelle quand je faisais le ménage de ma sacoche. »
En 2008, elle rencontre la poète d’origine bretonne Laure Morali. Lors d’un long séjour chez les Innus, explique Joséphine Bacon, Laure a fait un rêve : jumeler des poètes québécois à des personnes des premières nations.
« Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle le réalise. “Tu étais dans le Nutshimit, et quand on rêve dans le Nutshimit, il faut faire en sorte que cela se passe.” C’est alors qu’elle m’a demandé d’y participer. Elle a été la pierre fondatrice d’un pont entre les anciennes nations du Québec et les nouvelles populations. La poésie nous a permis de nous parler. »
Les poèmes de Joséphine Bacon conduisent nos pas dans les pas des aînés, ceux du Nutshimit bien sûr mais aussi les nôtres qui sont nos racines.
« Le territoire ne t’appartient pas, tu appartiens au territoire. Tu es attentif à ses vents, à ses bruits et le Nutshimit va te prendre dans ses bras et te protéger. Le Nutshimit va s’infuser en toi, et alors tu vas pouvoir te connecter à tes rêves. »  

Un regard, une voix
 Vidéo de 12'30 en six parties :
 
- Je n'ai pas la démarche féline
 
- Orpheline de mon identité
 
- J'ai réappris les mots
 
- Il n'y a pas de possessif pour la terre
 
- Des mots simples pour répondre
 
- Je m'appelle humain

 

Pour aller plus loin

A la rencontre de Joséphine Bacon, la grande poète innue
Le documentaire "Je m'appelle humain. Réalisé par Kim O’Bomsawin, sorti en septembre 2020 au Canada, il nous propose de suivre Joséphine Bacon dans les rues de Montréal, où elle vit depuis les années 1960 et sur la terre de ses ancêtres, dans le Nushimit, sur la Côte-Nord, près de Baie-Comeau. En suivant le regard de Joséphine sur l'horizon, on comprend où elle puise sa force et son inspiration. Dans sa langue, "innu" veut dire "humain". Le documentaire a reçu le Prix collégial du cinéma québécois en mars 2021.

Dans le guide d'accompagnement, proposé par Maison 4:3, une compagnie de distribution 100% québécoise, vous trouverez des informations sur Joséphine Bacon et sa bibliographie, la présentation des peuples autochtones et les thématiques abordés dans le film (les pensionnats, la culture, la langue...). Le guide est bourré de ressources (livres, sites de référence, documentaires...)

Ses livres. Joséphine Bacon est éditée aux Editions Mémoire d'encrier. "Penser l’autre autrement, l’autre au pluriel, en ouvrant de multiples fenêtres sur le monde, ceci de manière décomplexée (...) diffuser et promouvoir une pensée et un espace de la diversité, mettant en circulation les littératures de la diversité, les valeurs du vivre-ensemble et en confrontant l’histoire, le racisme et les inégalités", ce sont les propositions de cette maison d'éditions basée à Montréal et fondée par Rodney Saint-Eloi en mars 2003.

Retrouvez le peuple innu sur la plate forme BED

Et plus largement sur les Amérindiens
 
Un film drôle de 5minutes sur les clichés qui collent à la peau des Amérindiens : Où sont tes plumes

Le portrait de la réalisatrice emblématique abénaki Alanis Obomsawine et son film Mère de tant d'enfants

Le film Wapikoni : escale à Kitcisakik qui raconte le Wapikoni mobile, la plus belle expérience de formation de jeunes amérindiens à l’audiovisuel.
 






1.Posté par Catherine Mens-Pellen le 04/02/2022 14:01
Merci pour cette belle découverte de Joséphine Bacon.
Totalement d'actualité sur notre place dans la nature ( ses propos rejoignent ce qui disaient les zadistes de Notre Dame des Landes : nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend" , sur la langue et les rêves, sur notre spécificité : je m'appelle "humain", loin, loin, très loin de nos nouveaux statuts de QRcode.

Petite proposition pour amplifier la force de ces paroles : remplacer l'emballage musical style New age par une musique en lien direct avec le contenu : par exemple des chants Inuit
dont la richesse musicale n'est plus à démonter.

2.Posté par Véronique JOUANNIC le 05/02/2022 19:08
Ecouter rien que la voix de Joséphine Bacon nous parler dans sa langue natale innue" le Nutshimit" et entendre ses sons gutturaux venus du plus profond des âges puis faire sienne cette chaleur, cette quête humaine qu'elle développe tout au long de cet entretien, tel fut ce plaisir d'écouter cette femme innue. Elle nous fait découvrir combien nous sommes avant tout attachés à la terre, notre environnement et combien sans le substrat dont nous sommes faits nous périssons de l'intérieur.

Oui une femme telle qu'elle est, nous relie comme elle le dit si bien, à nos ancêtres porteurs de la mémoire, à notre identité première celle de vivre avec les éléments, celle de vivre du vent, de l'air, d'une gerbe d'eau et cela nous fait du bien !

Aussi UN GRAND MERCI à Marie-Anne Divet pour ce dialogue, ces "Histoires ordinaires" qui nous relient à l'humain.

Une poète écrivant sous le nom d'Anne Bihoreau

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