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16/02/2017

Avec Françoise Sarnowski, lire devient facile


Ils sont empêché-e-s de lire parce que leurs yeux ne peuvent pas, parce que l'école ne les a pas aidés, parce que l'âge venant, l'énergie manque pour s'enfiler un gros bouquin. Pas question pour Françoise Sarnowski, l'ancienne bibliothécaire, d'accepter cela. Avec son association « Les chemins de lecture », elle ouvre des espaces pour eux dans les bibliothèques. Aujourd'hui, elle les appelle à voter pour le premier prix littéraire « Facile à lire Bretagne ».


Avec Françoise Sarnowski, lire devient facile
2017_02_16_francoise_sarnowski.mp3 2017 02 16 Françoise Sarnowski.mp3  (15.44 Mo)


C'est dans les années 2000 que Françoise Sarnowski découvre le monde du handicap et de l'illettrisme. La bibliothécaire arrive alors de la région parisienne. Elle vient d'être recrutée à Saint-Jacques-de-la-Lande, à proximité de Rennes, pour faire la programmation d'un nouvel équipement multimédia de 1500 m², la future médiathèque Lucien Herr. 

« Dès le début, cela m'a paru évident que le multimédia allait permettre l'accès à la lecture à de nombreuses personnes qui ne peuvent pas ou ne savent pas lire. » Le Pôle Borgès devient un lieu d'expérimentation et une pépinière qui teste des outils par rapport à la déficience visuelle. « Il y a quinze ans, c'était très novateur. En Bretagne, aucune bibliothèque n'avait de services adaptés au handicap, c'était même impensable pour les moyennes et petites bibliothèques. »

Le Pôle s'équipe de livres sonores au format DAISY, de livres tactiles, en gros caractères, et organise des séances d'initiation et de perfectionnement à l'utilisation de logiciels adaptés. Il s'ouvre aux dyslexiques, aux illettrés, à tous ceux et celles qui sont éloignés de la lecture. 

Cette expérience menée en équipe, Françoise Sarnowski la transfère  aux Champs Libres, équipement multimédia de la métropole rennaise où elle entre en 2008. Cadre dans cette grosse structure, souvent prise par les réunions, elle n'a  plus guère le temps d'aller sur le terrain.  « Je sentais que j'avais quelque chose à faire dans une autre dimension. » En 2011, elle quitte vingt-neuf ans de fonction publique et crée  "Bibliopass".

Ouvrir des chemins de lecture

Intervenante en formation continue de manière occasionnelle, Françoise Sarnowski transforme cette compétence avec la création de Bibliopass. Cette petite société qu'elle gère seule est « un cabinet de formations et de conseil en accessibilité avec pour objectifs d'ouvrir les chemins de lecture ». La France est son territoire : elle tient un stand sur l'accessibilité dans les salons du livre, elle anime des sessions de formation, elle accompagne des projets. Elle pose sa valise pleine de livres dans les prisons, les foyers médicalisés, les maisons de retraite, les bibliothèques....

Extrait d'une séance "D'Icare à Titi et Gainsbourg", animée par Françoise Sarnowski le 14 février 2014, à la bibliothèque de Betton.

« Ils arrivent par petits groupes de 4, avec leurs accompagnateurs. Ils viennent de 3 ESAT différents. Bonjour Gérard ! Bonjour Annie ! On s'est déjà vus, vous vous souvenez ? ! sourire ! je leur prends la main, je touche la main de ceux dont les bras ne sont pas mobiles. Nous nous asseyons en cercle. "Comment vous vous sentez aujourd'hui ?" (la semaine dernière, on avait parlé des émotions). "Heureuse, Hasna ? génial !". "Bien, Pascale ?". OK.

Je commence à raconter l'histoire d'Icare : la reine, le minotaure, le labyrinthe....

Chacun s'approprie la légende au premier ou au second degré. On s'en fiche. Seule compte l'émotion que procure cette belle histoire. "C'est triste !" dit Annie. Elle le répétera encore en partant, une heure après "c'était triste hein, il tombe dans la mer..."

Maintenant qu'ils se sont imprégnés de l'histoire, ils peuvent apprécier le magnifique livre d'artiste Fragments d'Icarie, un texte de Daniel Kay, des gravures de Maya Mémin.

Nous enchaînons avec un quiz sur les personnages de légende qui volent : et là, pour que chacun joue et trouve, j'ai mêlé Pégase à Titi, à Iron man et à Saint-Exupéry ! On est surpris souvent de découvrir qui connaît quoi...  

Le jeu d'écoute musical réunit aussi tout le monde, l'ambiance bat son plein, certains s'essaient à chanter

Nous terminons par une écoute dans le noir (enfin, la pénombre) : quelques poèmes pour espérer. Je relis deux fois "Et un sourire" d'Eluard, poème que j'ai choisi parce que c'est ce que je ressens face à eux, l'envie de leur dire que la nuit n'est jamais complète, qu'il y a toujours une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée...une main tendue, une main ouverte...la vie à se partager...
 »

Ce travail de terrain, Françoise Sarnowski s'en sert pour alimenter le contenu des formations qu'elle organise à la demande des bibliothèques sur toute la France : l'accueil du handicap mental, des personnes déficientes visuelles, des publics migrants, le Facile à lire, lecture et dyslexie...

Des outils pour « Amener le meilleur à la portée de tous »

Ce leitmotiv du maire de Saint-Jacques, Françoise Sarnowski l'a fait sien. « Le taux de fréquentation des bibliothèques françaises est de 18 %. Qui sont les 82 % restants ? Ceux et celles qui renoncent à lire parce que les livres sont trop longs, trop complexes. » 

Pour approfondir sa réflexion, Françoise Sarnowski s'appuie sur le travail réalisé avec les militants d'ATD Quart monde sur l'accès à la culture. «  Ils disent : "On veut que ce soit facile à trouver, on veut des livres simples mais pas pour les enfants, des romans-photos, des petits formats de livres faciles à feuilleter, des histoires vécues." Ils disent aussi combien c'est difficile de s'y retrouver, il faudrait des panneaux, voir la couverture des livres... » 

« Attention ! Des livres simples ne veut pas dire simplistes », ajoute Françoise Sarnowski. Cela interroge le début de la chaîne, à savoir les auteurs et les éditeurs. « La Belgique est assez en avance  avec la publication de livres conçus dès le départ comme facile à lire. Une maison d'éditions comme La traversée a demandé aux auteurs d'écrire des romans simples. 

Le comité éditorial est composé d'apprenants. Les livres sont lus et corrigés par eux : ils disent "On ne comprend pas, c'est quoi ce mot, c'est trop long...." C'est une grande leçon pour les auteurs que d'apprendre à écrire simple. Pour les apprenants c'est un soulagement : "Enfin, j'ai fini un livre". C'est l'idée d'aller au bout de quelque chose. »

Des pays du Nord à la Bretagne, les espaces Facile à lire

« L'espace Facile à lire a été la concrétisation de ce que nous avions réfléchi avec ATD Quart Monde. L'espace répond à tout cela, on ne s'occupe plus de classification, on met côte à côte un album, un roman, un conte. On ne s'occupe pas de savoir si c'est pour un adulte ou un enfant. Les livres sont présentés de face, c'est l'œil qui fait le choix. »

Le modèle vient des pays scandinaves : les  "easy to read square" existent depuis une vingtaine d'années. Ils ont fait grimper à 80% le taux de fréquentation. En France, la Bretagne est pionnière grâce à Françoise Sarnowski :  « L'opération est partie du Finistère avec le Pacte Avenir Bretagne. Il y a eu de l'argent pour équiper cinq bibliothèques municipales, un centre de réadaptation et  les sept  bibliothèques de prison de la Région. J'ai sélectionné en 2014 une centaine de livres avec le soutien de la DRAC et des bibliothèques désignées comme pilotes. »  

Aujourd'hui, des malles avec des livres adaptés circulent. La création d'espaces se poursuit. Deux modules "Espace facile à lire" sont  empruntables pour démarrer un projet et tisser les liens avec les partenaires pour garantir sa réussite. 

Avec Françoise Sarnowski, lire devient facile

Un Prix littéraire, enfin !

Les espaces Facile à lire, c'est une première étape. Mais "pourquoi ne pas aller plus loin ?" se disent Françoise Sarnowski et son amie Mélanie, bibliothécaire. Pourquoi ne pas créer un prix littéraire ? Quel défi pour des gens qui n'aiment pas lire ou qui sont empêchés de lire !

La DRAC dit oui à cette première édition. Les treize bibliothèques engagées dans le projet des espaces Facile à lire sont partantes. Huit livres sont choisis pour concourir « soit parce qu'ils sont courts soit pour leur faculté de médiation, ce sont des livres autour duquel on va pouvoir discuter. » 

 "Les chemins de lecture ", l'association que Françoise Sarnowski a aussi créée, assurera l'animation, un auteur ou un illustrateur étant invité dans chaque bibliothèque. « Dans le concret ce n'est pas simple. A Betton, par exemple, les personnes qui viennent à l'espace sont des personnes âgées dépendantes qui viennent de l'EHPAD et un groupe de personnes alzheimer.

Comment va-t-on faire pour qu'ils votent ? On ne peut pas présenter les huit livres d'un coup. Si on étale un peu sur plusieurs séances, comment vont-ils se souvenir ? On est en train de réfléchir à un système où on recueillerait leur avis sitôt après la présentation avec des cœurs pour mesurer le degré d'intérêt pour l'ouvrage. Il y aura une trace pour eux-mêmes avec la fiche correspondante pour qu'ils puissent se dire "Tiens, ce livre-là, je l'avais aimé" »

« Le handicap mental ou la grande vieillesse nous font peur »

Les bibliothèques deviennent pivot, fédératrices d'un réseau de partenaires. « Cela s'adresse à tout le monde avec bien sûr une priorité aux gens qui ne lisent pas. Chacun peut penser à son voisin, à la vieille tante qui ne sort plus de chez elle. Pourquoi ne pas parrainer quelqu'un... Il n'y pas que  les structures ou les associations, chacun peut être le relai de l'autre. »

Françoise Sarnowski pêche dans sa bibliothèque les huit livres en compétition. Ses doigts caressent les pages, elle est attentive et essaie une fois de plus de voir ce qui, pour le moment, est invisible aux yeux de ceux et celles qui sont empêché-es de lire. « Le prix, c'est pouvoir voter pour des gens qui ont une mauvaise image d'eux-mêmes, qui ne se sentent pas capables d'évaluer un livre, certains n'ont pas le droit de voter parce qu'ils sont sous tutelle. Proposer le bulletin de vote, c'est restaurer leur dignité, choisir un livre et dire « C'est celui-ci que je préfère". »

« Ce que j'ai appris avec ATD, c' est qu'il ne faut pas faire pour les gens mais avec. On est parfois sur un positionnement idéologique : on dit qu'on veut faire pour un public en difficulté mais dans le fond on n'a pas très envie parce qu'on ne sait pas comment réagir. C'est tabou. Le handicap mental ou la grande vieillesse nous font peur. C'est normal d'avoir cette gêne. Regardez les yeux de cette vieille femme et vous allez voir les yeux de la jeune fille qu'elle était. Si vous parlez avec elle, vous allez les voir pétiller et vous allez retrouver la personne derrière l'apparence du handicap ou de la vieillesse. »

Marie-Anne Divet




1.Posté par Trubert le 16/02/2017 20:12
Superbe initiative qu il faudrait faire connaître auprès des centres sociaux . Je vais en parler et cela va ds le sens d une plus grande accessibilité
Bravo

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