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05/01/2021

Ces jeunes éco-constructeurs ne craignent pas la crise


Deux filles et trois garçons, moyenne d'âge 27 ans. Tous les cinq, à l'issue d'une formation à l'éco-construction, ont constitué le collectif "La Meule, bâtir éthique", pour entreprendre en mode coopératif et marier projet professionnel et projet de vie. La crise ne leur fait pas peur, au contraire : c'est le moment idéal, pensent-ils, pour traduire en actions leurs convictions écologiques.


Nous devions nous rejoindre sur un de leurs chantiers, près de Plancoët dans les Côtes d'Armor, mais le reporter étant exposé au risque sanitaire, nous sommes convenus d'une interview à distance. C'est donc chacun chez soi, devant son écran, que Morganne, Max, Julia, Pierre-Jean et Ludwig ont raconté, un samedi de décembre, la belle et récente histoire de "La Meule, bâtir éthique", entreprise d'éco-construction.
voix_002_la_meule_batir_ethique.mp3 Voix 002 la meule bâtir éthique.mp3  (21.76 Mo)


Cinq parcours à la recherche d'un travail ayant du sens

Le parcours de vie des cinq jeunes néo-entrepreneurs a des points communs : un bon niveau d'études générales (bac+2 à bac + 5), une orientation professionnelle approximative débouchant sur des premières expériences insatisfaisantes ; un moment de ressourcement et d'expérimentation par le voyage ; la recherche d'un travail qui a du sens et aboutit à des résultats concrets, visibles, utiles. Et aussi un certain attachement à la Bretagne. Pas étonnant qu'ils se soient rencontrés et accordés sur la réalisation d'un projet professionnel commun. 

Morgane a 24 ans. Elle a fait une école d'architecture en France et en Bulgarie.
"Mais l'approche était trop conceptuelle, trop artistique, trop soumise aux contraintes des matériaux.  Et puis je voulais du concret".  
Elle laisse tomber au bout de trois ans et enchaîne les petits boulots. Et puis un jour :  
"J'ai eu la chance de suivre la formation de menuiserie navale dispensée par l'association du père Jaouen à Brest. Yves, un formateur, m'a aidée à me recentrer, à aller au bout de mes projets..."
Julia a 29 ans. Après le bac, elle a entrepris des études d'animation socio-culturelle (DUT carrières sociales) poursuivies par une licence et un master en économie sociale. Ses premières expériences professionnelles sont enrichissantes, aux Restos du cœur en France, dans un "centre de liaison et de transfert en économie sociale" au Québec.
"Mais c'était trop intellectuel, éloigné de la réalité ; trop de bureau, trop de temps passé devant l'ordinateur..."
Alors Julia a aménagé son temps de travail pour aider une amie qui construisait sa maison en paille. En revenant en France elle fait, pendant six mois, un tour de Bretagne des chantiers participatifs :
"J'ai découvert différentes techniques et j'ai confirmé ma volonté de totalement me réorienter". 
Pierre-Jean, 25 ans, vient de Saint-Etienne. Enfant il voulait être sapeur pompier, un métier sportif et où on est utile. Alors pourquoi pas la "prévention des risques professionnels". Il prépare un DUT et une licence pro mais il ne s’épanouit pas dans l'emploi qu'il trouve en fin d'études :
"Trop de paperasse !".  Alors, sac au dos, je suis parti à la découverte de l'Amérique du Sud. J'ai enchaîné des missions de volontaire. Ainsi, en faisant plein des petits boulots j'ai ouvert mon regard sur des modes de vie alternatifs qui émergent là bas... Cela m'a rapproché des métiers manuels..."
Max, 22 ans,  le plus jeune du groupe, a rapidement interrompu la préparation d'une licence droit et économie à Paris.
"J'en avais marre ; je ne voyais vraiment pas à quoi me mènerait ce genre d'études... Alors je me suis donné une année de transition. J'ai postulé dans le bâtiment et trouvé sans mal un emploi sur un chantier de construction en ossature bois, paille et enduit terre. Le patron avait fait sa formation en éco-construction dans le sud de la France. Il m'a parlé d'Eclis en Bretagne."
Ludwig, 36 ans, est le plus âgé de la bande des cinq. Il cumule la plus longue expérience de travail. Lui aussi a vite abandonné la profession à laquelle il s'était préparé après le bac en obtenant un BTS action commerciale. Les métiers de la vente n'ont aucun intérêt pour lui. Alors, lui aussi part découvrir le monde ; le voyage va durer quatre ans :
" J'ai vécu en l'Irlande, en Australie, parcouru l'Europe dans tous les sens. Comme je parlais bien anglais, quand j'avais besoin d'argent, je travaillais en restauration. Sur la base de cette expérience, j'ai ouvert un restaurant bio proposant des produits du terroir à Ploubalay, dans les Côtes d'Armor (j'y avais été en pension à 12 ans) . J'ai appelé le restaurant "La commune". Je venais de lire un livre sur Louise Michel. Alors bien sûr on m'a pris pour un illuminé... Moi J'avais envie de faire quelque chose de mes mains... et ça a duré 15 ans."
Ludwig s'est consacré à nourrir sainement les gens, l'idée lui vient maintenant de contribuer à les mieux loger.
"J'avais de grosses lacunes de connaissances et de savoir faire que j'ai cherché à combler en préparant un CAP de menuisier à l'AFPA de Saint-Malo. Mais je n'aimais pas la pédagogie : on formate les gens pour être les maillons d'une chaîne... Produire pour produire, pas de sens au travail, pas de logique. Tout le contraire de ce que nous propose la SCIC Eclis.

La SCIC Eclis, une écloserie de projets

C'est à Dinan, dans la promotion 2019/20 de la formation d’ouvrier en éco-construction réalisée par la SCIC Eclis, qu'ils se sont rencontrés. La pédagogie, le cadre institutionnel et les valeurs coopératives font de ce centre de formation pas comme les autres, une vraie écloserie de projets.

Etre admis pour suivre cette formation est finalement assez simple. Pas de test de connaissances, il faut surtout prouver sa motivation et son engagement à travailler dans des entreprises pratiquant l'éco-construction. 
Il faut prouver qu'on ne débarque pas là par hasard, en touristes, pour passer le temps. Il est préférable d'avoir déjà fait des chantiers participatifs ou une période de mise en situation professionnelle proposée par Pôle emploi. Si on est seulement allé entasser quelques bottes de paille sur un chantier l'été, on risque d'avoir une image un peu trop romantique du métier. Le quotidien de l'artisan éco-constructeur n'est pas toujours aussi rose."

Un chantier-école et chez les artisans de la SCIC

A l'image des anciens stagiaires qui les ont informé.e.s, les cinq sont des promoteurs convainquants de la formation proposée par Eclis. Et chacun d'en tirer le bilan :
" La formation est très englobante. Elle permet de voir énormément de choses, du coup, on n'a pas le temps de tout approfondir mais elle a l'avantage de nous donner une compréhension générale du bâtiment... et par rapport aux artisans conventionnels on a des connaissances spécifiques en thermique du bâtiment, la gestion de la vapeur d'eau... On nous apprend les qualités spécifiques et complémentaires des matériaux naturels et locaux : le bois, la terre, la paille, la chaux... Quand on arrive sur un chantier, on peut demander au client ce qu'il veut comme confort thermique et lui proposer des solutions plus globales, en évitant d'isoler un aspect ou un autre.
 Nul doute, ces futurs artisans savent valoriser les principes et avantages de l'éco-construction mais sauront-ils être crédibles au plan technique ?
"L'apprentissage pratique que nous avons suivi s'appuie sur un chantier école au sein du centre et quatre périodes en entreprises, chez des artisans fondateurs et membres de la SCIC Eclis. Nous avons été mis en situation de travail et avons construit nos compétences en cherchant les solutions aux problèmes rencontrés.

En fin de formation, les filles proposent de créer une entreprise

Chacun d'entre eux pensait qu'il devrait d'abord confirmer ses compétences comme salarié. Aucun n'envisageait vraiment de se lancer directement à son compte. Mais c'était sans compter sur la dynamique du groupe !
 “ Humainement, quelque chose de très fort s'est passé en terme relationnel entre les douze stagiaires et le formateur, souligne Max.  On venait de tous les horizons et une famille très forte s'est formée autour de plein d'envies communes, d'un besoin de partage, ajoute Jean Paul. Le projet de s'organiser collectivement est arrivé quand on a senti la fin de la formation. On avait peur de perdre notre lien en partant chacun de notre coté. On serait resté potes mais on aurait perdu cette dynamique que l'on avait acquise dans le groupe 
Ludwig se rappelle :
"C'est à la fin de la formation que les filles lancent l'idée. Elles sont jeunes, organisées, lucides avec une volonté de faire, une certaine maturité, ça m'a plu tout de suite. Elles exprimaient une volonté d'entreprendre avec une certaine logique et une éthique... Et puis on avait tous besoin de bosser et je ne me voyais pas retourner chez un patron."
  Morgane précise : 
"On passe le diplôme vers le 20 juin... On n’a pas le temps de finir la bière de fin de diplôme qu'on a déjà notre premier entretien client. Nous pensions laisser passer l'été pour murir le projet mais des gens sont venus vers nous... c'était pas concevable de les laisser partir ailleurs.
Tous les deux, ils vont réaliser le premier petit chantier, très accessible, qui s'est bien passé. Cinq autres vont se succéder, impliquant toute l'équipe. 

Un esprit coopératif et autogestionnaire.


En même temps qu'ils réalisent leurs premiers chantiers, les cinq mènent une réflexion approfondie sur le modèle d'entreprise qu'ils veulent gérer ensemble et la forme juridique la plus appropriée. Ils optent pour le statut individuel d'auto-entrepreneurs et créent ensemble un GIE (groupement d'intérêt économique). Ce statut juridique souple et simple à mettre en œuvre, va leur servir à commercialiser ensemble les chantiers sous une marque commune et à mutualiser les moyens (un camion, du matériel). Pour le reste, chacun a le statut de travailleur indépendant et assure son administratif et sa comptabilité.
"L'avantage de cette formule est que nous restons chacun autonome et ne sommes pas dans une relation de subordination à l'entreprise. Nous ne sommes pas obligés de nous imposer les mêmes charges ou rythmes de travail. Cela permet de faire des allers-retours, d'interrompre son activité après un chantier et revenir... 
Cette souplesse est aussi très utile au projet collectif, notamment en phase de lancement.
"Au départ on ne savait pas combien on serait... Cela permettait d'ouvrir à d'autres,  d'accueillir transitoirement selon les besoins de compétences sur chaque chantier. Si par moment il n'y a pas de travail pour les cinq, l'un ou l'autre peut se faire employer chez un artisan, ce qui est utile aussi pour se former... Et pourquoi pas se consacrer passagèrement à une autre activité.
 La base du contrat c'est la solidarité, l'écoute, l'entraide, pour le bien être de chacun. Le  modèle de gouvernance est d'inspiration autogestionnaire. Les associés se réunissent une fois par mois. Ils ont tous le même pouvoir et partagent les tâches d'animation.
"On a pris le temps de définir notre contrat de GIE. Il fait  25 pages... on a été vigilant à partir de nos expériences précédentes et ce que l'on avait entendu." 
"On a le projet d'évoluer sous forme de société coopérative quand on aura stabilisé l'activité. Si on l'avait fait immédiatement il aurait fallu constituer un capital de départ et aussi assurer rapidement un résultat positif . On a préféré monter en puissance progressivement et se donner le temps de faire évoluer notre cadre de travail. " 

Créer une entreprise en ce moment, c'est un peu fou...

 La remarque les fait sourire :
"On n'a pas entendu de gens nous dire "vous allez vous casser la figure". Au contraire, les professionnels nous ont encouragés. Sur la Côte d'Emeraude et à Plancoët, il n'y a pas beaucoup d'artisans formés à  l'éco-construction et ils sont débordés. Et puis le confinement va entraîner un puissant mouvement d'exode urbain et la demande en éco-construction va exploser ."
Ce n'est pas seulement une autre manière d'entreprendre et de travailler qui motive les cinq ami.e.s, mais avant tout la manière dont ils pourront concrétiser leurs convictions écologiques en proposant une autre manière de bâtir. Ne l'oublions pas : leur réorientation est d'abord motivée par une recherche de sens.
" Le bâtiment conventionnel est le second responsable de l'effet de serre et le premier en terme de déchets non recyclables... Faire chacun des petits gestes au quotidien c'est bien mais totalement insuffisant. C'est au travers de notre vie professionnelle et d'une transformation de l'économie et des techniques que l'on peut changer les choses en profondeur."
 
En éco-construction, on procède à l'analyse et à la réalisation du bâti dans sa globalité, en fonction des besoins des habitants et des contraintes de l'environnement et des matériaux disponibles localement. On propose des matériaux différents au regard de leur bilan carbone et de l'énergie grise dépensée pour les produire. On anticipe le vieillissement du bâti et la fin de vie des matériaux qui doivent être bio dégradables. Ainsi la terre des maison en bauges... on peut la réutiliser dans des enduits. 
Ils veulent aussi créer un autre rapport entre l'artisan ou l'ouvrier constructeur et le client bâtisseur.
" Les gens qui  font appel à nous sont souvent engagés, militants, convaincus et de toutes façons ils sont ouverts... Ils n'attendent pas seulement un service mais veulent être acteurs, apprendre. Nous proposons à ceux qui le veulent de participer au chantier, de rechercher eux même les matériaux (la terre, le bois de récupération...). Ils peuvent participer au chantier, aider au montage de l'échafaudage, déblayer les gravats et aussi apprendre à faire avec nous et ensuite devenir autonome pour étendre, entretenir la construction. Cela a l'avantage aussi d'ajuster au mieux le montant du devis à leurs moyens.

"Eviter de s'auto-opprimer"

" On a démarré fort, souligne Pierre-Jean. Avec l'hiver, l'activité s'est ralentie. Heureusement car ça libère du temps pour préparer la suite, notamment organiser notre communication pour se faire connaître. C'est aussi l'occasion de continuer à se former. On a passé une certification RGE nécessaire pour les chantiers recevant des primes de l'Etat. Nous avons de belles perspectives de chantiers pour le printemps".
Pour Max, l'objectif économique n'est pas encore totalement atteint. Il aimerait dégager un revenu de 1 500 € par mois.
" On n'aspire pas à plus, la vie n'est pas très chère ici et notre mode de vie est assez sobre... Au mois d'octobre nous étions autour de 1 400."
En conclusion, Julia insiste sur un principe qui pour elle est à la fois éthique et politique.
" On veut respecter un équilibre personnel et un rythme de vie. Travailler 4 jours par semaine est un objectif. L'autogestion c'est aussi éviter de s'auto-opprimer, avoir le respect du travailleur, veiller aux conditions de travail... Le bâtiment, écolo ou pas, est un métier physiquement très dur, il faut être vigilant pour tenir dans la durée... On a tendance à produire beaucoup quand il le faut, mais le collectif doit aussi faire attention à la santé et à l'équilibre de chacun de ses membres."

Interview : Alain JAUNAULT

Photos : "La meule bâtir éthique"
 
POUR EN SAVOIR PLUS






1.Posté par Garnier le 30/01/2021 13:19
Suis impressionnée par la réflexion approfondie dans tous les domaines qu’il s’agisse d’écologie au sens large, d’économie, de solidarité, de santé, et j’en passe.... je ne suis pas sure... et même je suis certaine que jamais une entreprise en création n’a envisagé aussi largement les tenants et les aboutissants de leur activité... le mot Bravo est faible. Merci de me faire croire à l’avenir !€

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