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08/12/2016

Olivier Jobard, le photographe compagnon d'errance des migrants


Kingsley le Camerounais, Slah le Tunisien, Ahmad le Syrien ont voulu quitter la guerre, la pauvreté, la tyrannie. Le photographe Olivier Jobard était avec eux, partageant leur errance. Depuis 2003, il fait route aux côtés de ces femmes, ces hommes, ces enfants qui se jettent tête baissée sur les routes de l’espoir.


Olivier Jobard, le photographe compagnon d'errance des migrants
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Photo T Ruellan
Photo T Ruellan
1999, Sangatte, Pas-de-Calais. Les migrants s’entassent dans les campements de fortune et le centre d’accueil construit à la hâte. Olivier Jobard se mêle à eux. Le contact est facile. Il revient juste d’Afghanistan où il a pu rencontrer le commandant Massoud : « Il y avait des Tchétchènes, des Kosovars, des Afghans… Ils découvraient émerveillés mes reportages photos faits en Afghanistan, notamment dans la vallée du Panchir. »

Le courant passe. Pendant trois ans, Olivier retourne à Sangatte et c'est là que lui vient l’idée de suivre le parcours de l’un de ces migrants : « Plutôt que de raconter des morceaux de vie, je voulais faire une route entière avec eux. Etre proche pour tenter de comprendre et montrer un visage… »

Kingsley. Photo O. Jobard
Kingsley. Photo O. Jobard

Voyage clandestin à travers l'Afrique avec Kingsley

Le projet devient réalité en 2003 avec la rencontre de Kingsley au Cameroun. Il a 22 ans et veut quitter son pays. Six mois plus tard, Olivier reçoit un mail : le départ est imminent. Aussitôt, il repart au Cameroun et s'intègre au groupe. Durant six mois, il partage l'aventure de Kingsley, les dangers de son voyage clandestin à travers l’Afrique et l’océan Atlantique. De ce périple, il fera un livre "Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin", publié aux éditions Marval. Puis le photographe emprunte d'autres routes avec d'autres migrants, partageant les dénouements heureux et les espoirs déçus. Ainsi cet Equatorien rêvant des Etats-Unis et arrêté à la frontière du Honduras : « Les histoires de migrations, c’est aussi beaucoup d’échecs. » 

En 2011, li rencontre Slah en Tunisie. Slah fait partie de ces milliers de jeunes qui, dans le tourbillon de la révolution qui a chassé Ben Ali, veulent s'inventer un avenir en France.  « Contrairement à beaucoup de jeunes qui naïvement voient la France comme un El Dorado, je trouvais que sa motivation était fondée, témoigne Olivier Jobard. Il commerçait alors entre la Libye et la Tunisie : avec la fermeture de la frontière et la guerre civile, il se retrouvait sans activité et sans ressources avec cinq enfants. Partir était pour lui la seule issue. » Après maintes déconvenues, Slah devra retourner en Tunisie les mains vides...

Ahmad. Photo O. Jobard
Ahmad. Photo O. Jobard

« Au bout d’une semaine de marche dans la poussière… on se ressemble tous ! »

En juin 2015, en reportage sur l’île de Kos en Grèce, Olivier rencontre Ahmad. L’homme vient de quitter sa terre ensanglantée de Syrie avec sa femme et leurs deux enfants. Un périple de 4 000 kilomètres à travers neuf pays avant de rallier la Suède. « D’emblée, ils acceptent que je les accompagne. Ils m’intègrent de manière profondément amicale à leur groupe, d’une quinzaine de personnes pourtant terrorisées et épuisées. »

Pendant trois mois, Olivier partage leur quotidien et l’attente insoutenable d’un bateau disponible : « Il y avait toutes les religions dans le groupe : des chrétiens, des musulmans, des alaouites… Une petite Syrie ! Et tout le monde s’entendait à merveille, se jurant de ne pas se séparer et d’aller jusqu’au bout ensemble. J’ai traversé avec eux les barrages serbes ou macédoniens, côtoyé leurs péripéties, incognito au milieu du groupe, appareil photo caché dans le sac à dos. Au bout d’une semaine de marche dans la poussière… on se ressemble tous ! »

« La migration est avant tout une histoire humaine

Olivier affirme ce statut de « photojournaliste-témoin » : « Je m’efforce de raconter au plus près ce que ces personnes vivent. Durant les reportages, j’essaie d’intervenir le moins possible, de ne pas être mêlé à la décision de départ, je ne finance rien ; je me contente de suivre dès que les personnes m’ont autorisé à être avec elles. A aucun moment, je ne leur dis : "On prend cette route plutôt que celle-là." Il faut laisser du temps ; certaines pourraient être tentées de partir juste pour être suivies par un journaliste. » 

Olivier souhaite donner chair à la migration, une idée difficile à "vendre" auprès des rédactions : « La migration est avant tout une histoire humaine, de personnes, et non un phénomène de masse effrayant comme certains médias nous le montrent. Tenter de comprendre les souffrances, les difficultés pour faire émerger la force et la volonté déployées pour s’en sortir. Ce sont ces histoires humaines qui m’intéressent et qui me touchent. C’est un engagement personnel que je finance sur mes fonds propres sans aucune assurance de vendre mon reportage. Un échec n’est pas vendeur : le magazine attend la photo du migrant avec un hamburger à Times square ! »

Mais comment se quitter dès lors que l’on a partagé ce bout d’histoire ? « Pas facile ! J’ai beaucoup de mal à les quitter du jour au lendemain mais jamais je ne promets quoique que ce soit… En revanche, ce que je raconte avec mes photos, c’est bien leur histoire… Ce qui se passe ensuite entre nous… c’est autre chose. »


Tugdual Ruellan

Olivier Jobard, à travers les « Mers d’exil »

Olivier Jobard, 46 ans, est originaire de Bourgogne. Sorti de l’école Louis-Lumière en 1991, il entre comme photographe directement à l’agence Sipa Press après son stage. Mais en 2011, l’agence est rachetée par un groupe allemand Deutscher Auslands-Depeschendienst (DAPD). Fin 2012, alors que le dépôt de bilan est prononcé, il est licencié comme l’ensemble des photographes de l’équipe et poursuit son travail comme photographe indépendant. Olivier Jobard a notamment reçu le Povi Award of Excellence en 2000, le prix du World Press Photo catégorie contemporaine en 2005, un Emmy Award du documentaire en 2006, deux Visas d’or en 2004 et Magazine en 2011. Ses photos étaient exposées en 2016 au Festival Photo La Gacilly (Morbihan) sous le titre « Mers d’exil »

www.olivierjobard.com
ojobard@gmail.com

Slah retrouvant son fils qu’il n’a pas vu depuis neuf mois. Photo O. Jobard
Slah retrouvant son fils qu’il n’a pas vu depuis neuf mois. Photo O. Jobard

Que sont-ils devenus ?

 
Kingsley, le Camerounais, vit aujourd’hui à Paris. Rapidement, il a obtenu ses papiers. « Je crois, confie Olivier, que mes reportages y ont un peu contribué… » Rapidement, il a trouvé une formation puis un emploi dans la maintenance de climatiseurs. Une entreprise concurrente l’a même repéré et l’a débauché, moyennant un revenu plus important. « Je continue de le voir régulièrement. Il est autonome, en règle, paye ses impôts, s’occupe beaucoup de sa famille et envoie régulièrement de l’argent au pays. Il a même acheté une voiture à son frère pour qu’il travaille comme taxi et une machine à laver d’occasion qu’il a envoyée là-bas pour que sa mère ouvre un petit lavomatic et soit autonome… » 

Slah, le Tunisien : « Je l’ai suivi tout au long de ses péripéties en France jusqu’à son retour en Tunisie. Depuis, je n’ai plus de nouvelles de lui. »

Ahmad, le Syrien, et sa famille vivent aujourd’hui en Suède. L’accueil s’est fait d’abord dans un camp de transit, au milieu du froid, de la forêt, de la nuit qui tombe à 14h, à une demi-heure de route du premier magasin avec un bus qu’il ne faut pas rater à 15 h 17 ! Ils devaient y passer une semaine ; ils y ont passé six mois, à manger de la nourriture lyophilisée, sujets à la déprime, dans un pays totalement dépassé par cet afflux soudain de population. Régulièrement, Olivier est allé à leur rencontre, témoin de cette douloureuse intégration forcée. La vie s’est peu à peu améliorée. La famille d’Ahmad vit aujourd’hui dans un appartement. Les enfants bénéficient d’un enseignement et le moral est revenu. L’espoir du retour demeure…





1.Posté par Bouju le 09/12/2016 09:38
ces lignes, sont riches d'enseignements, de cette vérité du quotidien personnalisé, nous obligent à actualiser nos jugements de gens propres, mangeant à leur faim, ayant un job et des médecins en cas de maladie. On se sent modestement dignes, très modestement! et passablement honteux du peu que nous faisons, que je fais!

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