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04/06/2015

Le regard d'un non musulman : « Un vrai climat de fraternité »


Loïc Richard, membre du conseil d'administration du Centre culturel Avicenne à Rennes, pose ici son regard sur deux années vécues avec l' équipe du centre. Militant depuis toujours dans le domaine syndical et social, lui-même a été marqué par le christianime social. Aujourd'hui, au Comité consultatif Laïcité auquel il participe en tant que personne qualifiée, il avance l'idée d'une spiritualité pluraliste, humaniste. Ces lignes sont extraites d'un texte remis aux membres du Comité.


« Je fais part ici de mes observations d’acteur non musulman engagé dans des initiatives concrètes menées avec des acteurs musulmans de terrain dans ce centre culturel rennais. Voici  mes observations et réflexions après deux années au Centre Avicenne. 

- LE CHOIX DÉLIBÉRÉ DU DÉBAT

La plupart des fidèles musulmans, comme d’ailleurs beaucoup de défenseurs de la laïcité, affirment le caractère purement personnel et privé de la foi. Le centre Avicenne s’est engagé dans une voie différente.

Conforté par des intellectuels musulmans tels que le philosophe Abdennour Bidar (lire sa « Lettre ouverte au monde musulman ») et son appel à un « Islam éclairé », ou l’Imam de Bordeaux Tareq Oubrou qui soutient qu’ « il faut adapter l’Islam à la réalité française », le centre Avicenne a décidé de structurer en son sein un débat permanent sur tous les sujets y compris religieux. 
Le concept tout simple de « Thé Citoyen » a paru correspondre aux attentes. Depuis la rentrée 2014, Il est organisé mensuellement et 60 personnes en moyenne, musulmans et non musulmans, ont participé à des échanges tout à fait libres y compris sur les sujets sensibles du moment.

Le besoin d’un temps long est nécessaire pour arriver à un vrai dialogue. Chez les non musulmans, les peurs de l’autre comme les préjugés sont forts et certaines interventions peuvent parfois être perçues comme donneuses de leçons colonialistes. Les musulmans, quant à eux,  moins habitués à ce type d’échanges, peuvent donner l’impression de ne pas trop vouloir se poser de questions ou de rester davantage sur la réserve ou la défensive. Les deux parties ont besoin de temps pour comprendre qu’elles ont bien des codes différents de pensées et de réflexes.

Des questions croisées reviennent souvent dans la bouche des jeunes. En voici quelques-unes : 
Pourquoi la presse française parle si peu de l’invasion de l’Irak par les occidentaux comme vivier de recrutement pour Daesch ? 
Pourquoi  y avait-il essentiellement des blancs à la manifestation du 11 janvier ? 
Pourquoi nous demandez-vous de nous justifier ? 
Pourquoi, cette islamophobie délirante autour des idées du Front National alors qu’on est venus chercher nos parents pour travailler ici ?
Nos parents n’ont-ils pas fait toujours profil bas depuis qu’ils sont là ? 

Pourquoi, nous les jeunes colorés nés en France, nous sentons-nous discriminés pour le boulot ? 
Imaginez-vous notre réaction quand nous découvrons que l’employeur nous a embauchés parce qu’on faisait partie des quota de la diversité ?

D’accord, nous ne voulons pas jouer les victimes et certains d’entre nous sont prêts à prendre des responsabilités citoyennes, mais reconnaissez-vous qu’ « on ne nous voit pas beaucoup sur les photos ? »

- SUR LA LAÏCITÉ

L’idée de séparation du profane et du religieux est acceptée par les musulmans qui soulignent que dans les textes sacrés le droit est toujours supérieur à l’appartenance à la communauté spirituelle. Pour autant, le concept ne leur semble pas aussi décisif que la mise en œuvre de la devise républicaine de Liberté, Égalité, Fraternité, pour penser les problèmes du moment.

 La séparation de l’Église et de l’Etat ne parle guère à une religion aussi inorganisée que la leur et les musulmans d’Afrique du Nord soulignent qu’ils ont été d’ailleurs ignorés par la loi de 1905. Le financement du culte, par contre, est un sujet important et les décisions prises à Rennes par la municipalité sont très appréciées et évitent le financement du culte par les pays étrangers.

Dans la perception musulmane, l’affirmation de la laïcité  a pour but  de mettre le phare sur la question du voile et la manifestation des signes identitaires. A Avicenne, la question du voile, de même que celle de la mixité hommes-femmes, est abordée prudemment, sous l’angle de comprendre ce que ces signes provoquent comme peurs chez l’autre.

A notre niveau local, notre idée est que ce sont les actions citoyennes menées en commun qui peuvent être décisives pour les rapprochements, à partir de choses très simples comme des collectes communes pour les Restaurants du Cœur ou le don du sang jusqu’à  la grande fête de la Fraternité prévue le dimanche 7 juin aux Gayeulles avec couscous géant et largement ouverte à tous les Rennais.
 
Je peux témoigner que le vivre ensemble sur la longue durée permet un vrai climat de fraternité où la couleur de la peau est complètement oubliée et les différences vestimentaires bien minorées. L’essentiel est que chacun ne se considère pas comme seul détenteur de la vérité. A Avicenne, nous disons souvent :  « C’est des Deux côtés qu’il faut évoluer. Nous voulons aller au-delà du respect mutuel qui est acquis entre nous, nous souhaitons nous interpeller et nous enrichir de nos différences. » 

TROIS AUTRES QUESTIONS À EXPLORER

 Le débat est engagé également sur des questions plus théoriques et concernant de près les sujets religieux. On peut en citer trois qui paraissent indispensables à explorer en commun pour vaincre les incompréhensions

1) Le Centre Avicenne organise des conférences à visée formation historique pour faire connaitre à tous, musulmans comme non musulmans, les longues périodes où l’Islam a montré son dynamisme et son inventivité dans des domaines comme la médecine et les sciences. Les discours simplistes sur le retard causé selon qu’on a ou non étudié la Révolution française sont parfois caricaturaux.

2) Dans les échanges de fond, affleurent souvent les différents points de vue des religions sur l’analyse de leurs propres textes sacrés, de leur exégèse, de l’analyse possible ou non dans leur contexte avec un esprit scientifique. Quelle interprétation de ces textes est–elle possible sans contester leur caractère de « révélation » ? Comment les différentes religions peuvent-elles se réformer ou se moderniser ?

3)   Quand un imam comme Tareq Obrou dit qu’il faut prendre en compte l’esprit critique de la mentalité française lié à la philosophie des Lumières, il joue son rôle d’interface entre les cultures d’Orient et d’Occident. Tout un espace est à explorer dans cette voie de meilleure compréhension réciproque des cultures et des mentalités... en évitant de tomber dans le conflit des civlisations.

Des avancées réelles dans ces  domaines peuvent concerner  tous les citoyens, laïcs aussi bien que croyants.

NOUS CHOISISSONS LA VOIE DE L’OPTIMISME

Notre analyse est que nous vivons à Avicenne une expérimentation riche mais atypique par rapport aux 2370 mosquées en France.

Nous montrons par l’action concrète de terrain que des avancées sont possibles mais nous savons que, comme toutes les expérimentations, la nôtre est fragile. Notre responsabilité est de la renforcer d’une part par une participation plus nombreuse de citoyens rennais et d’autre part par une meilleure communication sur nos réalisations.

Nous sommes prêts également à favoriser partout la reproductibilité de nos actions. Nous choisissons la voie de l’optimisme mais nous sommes conscients que nous nous situons dans une bataille politique d’ensemble où beaucoup de vents sont contraires. 

L’apport des musulmans eux-mêmes est décisif dans cette évolution, celui des citoyens de base en entreprise, en famille à l’école, dans les associations, comme celui des intellectuels musulmans. Dans une ville comme Rennes nous avons aussi besoin de l’engagement de tous ceux qui ont déjà un poids dans la cité  pour que d’autres talents puissent y être mieux reconnus dans leur diversité, y compris dans leur expression publique.

Loïc Richard





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