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03/09/2015

La précarité des jeunes menace tout notre système de solidarité

Une interview d’Antoine Dulin, auteur d'un rapport au Président de la République


Antoine Dulin a seulement 31 ans. Après avoir été délégué général des Scouts et Guides de France, il représente aujourd'hui les organisations étudiantes et mouvements de jeunesse au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Il a remis récemment un rapport au président de la République et au Gouvernement intitulé « Sécuriser les parcours d’insertion professionnelle et sociale des jeunes ». Pour lui, les jeunes, de 18 à 30 ans, sont les plus menacés par la précarité et la pauvreté. Un sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Tout notre système de solidarité est à terme, par là-même, en danger…


Cette interview mensuelle est réalisée en lien avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE. Retrouvez ci-dessous, après l'article, les thèmes sur l'exclusion analysés par nos précédents invités.

La précarité des jeunes menace tout notre système de solidarité

Vous alertez le Gouvernement et la société civile sur la pauvreté et le risque d'exclusion frappant les jeunes de 18 à 30 ans. Quels constats faites-vous ? 

Les chiffres que nous avons collectés et mis en exergue sont alarmants. On estime qu’un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 977 € par mois, soit 1,93 million de jeunes (Insee). Un jeune actif sur cinq est toujours en recherche d’emploi, trois ans après sa sortie du système éducatif (Cerep). 140.000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans diplôme (Education nationale). Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est de 23,8% soit 700.000 jeunes chômeurs. Il atteint 45% dans certains départements d’Outre-mer et dans les quartiers prioritaires (Eurostat).
70% des jeunes connaissent des difficultés d’accès au logement. 10% des jeunes de 18 à 24 ans n’ont pas de complémentaire santé. 7% des jeunes ne peuvent pas satisfaire leurs besoins de santé (Observatoire de la vie étudiante). 40% des chômeurs non indemnisables ont moins de 30 ans (Dares). 40% des appelants du 115 ont moins de 25 ans (Fnars). Le nombre de jeunes Neet (ni en études, ni en formation, ni en emploi) est estimé à près de 1,9 million. Tous ces indicateurs traduisent une situation plus que préoccupante.

Qu’espérez-vous ?

Il y a besoin, sur cette question de la  jeunesse, d'un changement de culture de toute la société. L'Etat ne peut pas tout Les adultes doivent se rendre compte que les jeunes qui constituent la jeunesse d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes que ceux d’il y a 20 ou 30 ans. L'âge moyen du premier CDI est aujourd'hui de 29 ans. Il était de 22 ans en 1995 et de 20 ans en 1975 ! Il y a donc un décalage évident autour de la question de l'insertion professionnelle. Dès les années 1970, avec les problèmes de chômage naissants, la France et les gouvernements ont fait le choix que la jeunesse soit la variable d'ajustement du marché du travail.
Aujourd'hui, 25 % des jeunes sont au chômage et bon nombre de ceux qui travaillent sont dans des situations de forte précarité, alternant périodes d'intérim, de stages, de formations avec le chômage. De plus, on a basé nos systèmes de protection sociale sur la solidarité familiale. Or, cette dernière s’effrite. Les parents, confrontés eux-mêmes à une baisse de leur pouvoir d’achat, ne peuvent plus aider leurs jeunes. Sans compter qu’ils ont aussi fort à faire avec leurs parents vieillissants…

« Il y a un risque de rupture avec le système de solidarité intergénérationnelle »

Vous rappelez que ces jeunes, confrontés aujourd’hui à cette précarité et cette pauvreté sont les adultes de demain. Quelles incidences présagez-vous pour la société tout entière ?

Je m’interroge sur la vision qu’a cette jeunesse d’aujourd’hui sur notre pacte de solidarité intergénérationnel ! N'y a-t-il pas un risque, quand ils seront dans l'emploi, qu'ils remettent en cause ce système de solidarité puisqu’ils n’auront vu aucune protection sociale ni sécurité au moment où ils étaient eux-mêmes confrontés à la précarité ? « Pourquoi devrais-je continuer à cotiser alors que j’ai été moi-même en galère pour trouver un logement, pour travailler, pour faire mes études, pour prendre en charge ma santé et que rien ne m’a aidé ? » Le risque, à terme, c'est la déconnexion et la non adhésion de notre génération et des générations qui suivent au système de protection sociale. Il y a déjà des signes : quand on voit que 75 % des jeunes entre 18 et 35 ans s'abstiennent de voter aux élections… ça pose question. On peut très vite revenir au chacun pour soi, à un système de capitalisation… Il y a un risque de rupture avec le système de solidarité intergénérationnelle.

Dans quel cadre s’inscrit votre démarche ?

En 2010, quatre jeunes étaient nommés au Conseil économique, social et environnemental pour y représenter les organisations de jeunesse et mouvements d’étudiants. C’était une première ! En trois ans, nous avons réussi à faire du Cese une assemblée qui s'est saisie des questions de la jeunesse. Me sentant particulièrement concerné par les questions de précarité et de pauvreté qui touchent plus particulièrement les jeunes, j’ai proposé en 2011, à la section des affaires sociales et de la santé du Cese, présidée par François Fondard, de travailler sur cette question.
Nous avons émis un premier rapport en juin 2012, intitulé « Droits formels, droits réels : améliorer le recours aux droits sociaux des jeunes » que nous avons remis au Gouvernement, notamment à Valérie Fourneyron qui venait d’être nommée ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative. Quelques-unes de nos recommandations ont été suivies par le Gouvernement. Vu l’augmentation constante de la pauvreté, nous avons proposé en 2014 de faire le bilan des actions mises en place par le Gouvernement et surtout d’émettre de nouvelles recommandations. Ce gouvernement a agi davantage que d'autres mais pas suffisamment face à la situation qui ne fait qu’empirer. 

La précarité des jeunes menace tout notre système de solidarité

« Que chacun s’empare de cette question »

Que préconisez-vous ?

La mise en place de la Garantie jeunes représente une avancée certaine, mais elle ne remet pas en cause le millefeuille de dispositifs à destination des jeunes. Au regard du nombre élevé de jeunes se trouvant ni en emploi ni en formation (entre 1,6 et 1,9  million), elle ne répond que partiellement aux attentes des jeunes. Nous souhaitons que le Gouvernement universalise cette garantie jeunes pour permettre à tous ceux qui en auraient besoin de pouvoir en bénéficier. La politique de jeunesse doit apporter une réponse aux difficultés d’insertion et de protection sociale des jeunes en matière de logement, de santé et de mobilité sociale.
Notre système de protection sociale doit s’adapter et prendre en compte ce nouvel âge de la vie. Il ne s’agit pas d’une charge supplémentaire mais bien d’un investissement social pour permettre à chaque jeune d’avoir confiance en l’avenir. Nous appelons à une réflexion sur la sécurisation des parcours d’insertion sociale et professionnelle des jeunes comme cela a été mené pour les parcours professionnels.

Avez-vous bon espoir que votre démarche soit suivie d’effets ?

Nous avons remis notre rapport aux ministres ainsi qu’au président de la République en mai dernier. François Hollande a fait de la jeunesse une priorité, un travail s'est engagé avec le cabinet et le Gouvernement. Nous avons vu des incidences directes, notamment dans une loi sur la question de l’aide sociale à l’enfance et le contrat jeune majeur. Nous souhaitons un « Grenelle de la jeunesse » pour que les acteurs sociaux et les jeunes puissent, dans une même dynamique, au moment où l’on va fêter les 70 ans de la Sécurité sociale, réfléchir à la manière de prendre en compte véritablement ce nouvel âge de la vie qu'est la jeunesse. Il faut arrêter de penser en termes de coût et de charge l’engagement fait en faveur des jeunes. C'est bien un investissement pour la société de demain et demain, les jeunes vous, nous le rendront. C'est aussi un appel citoyen pour que chacun s’empare de cette question.

Recueilli par Tugdual Ruellan

À lire : deux rapports

Insertion des jeunes
Sur le site du Cese, le rapport en Pdf d’Antoine Dulin, « Sécuriser les parcours d’insertion professionnelle et sociale des jeunes : bilan des recommandations et nouvelles mesures » remis au président de la République et au Gouvernement. Synthèse sur le site du CNLE

Solidarité internationale
Antoine Dulin est aussi engagé sur les questions de solidarité internationale. Il a notamment publié en 2009, avec Jean Merckaert, un rapport sur les biens mal acquis et l'évasion fiscale pour le CCFD Terre Solidaire. 
 




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