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02/11/2011

La Tunisie nouvelle à trois voix


Mohamed Jouili est directeur de l'Observatoire National de la Jeunesse. Noureddine Bettaïeb, journaliste et poète.
Salah Saouï, artiste imprégné de l'héritage bédouin. Trois voix sur la Tunisie devenue libre.


Mohamed Jouili
Mohamed Jouili
« Le problème identitaire touche les jeunes de tous les pays »

« 6% des jeunes étaient inscrits sur les listes électorales avant les élections. La Haute Instance, chargée de piloter les réformes et regroupant les représentants des partis, des syndicats et des associations, s'est alarmée : c'était trop peu, comme un paradoxe pour une révolution faite par les jeunes. Elle nous a commandé un  sondage. Il a été réalisé auprès de 1 250 jeunes de 18 à 29 ans, diplômés ou non, pour connaître leurs attentes sur la nouvelle Constitution.  

Les résultats nous ont surpris. Seulement 22% des jeunes interrogés avaient participé à des meetings ou des manifestations. 61% ne savaient pas que la Constitution allait être élaborée par une instance indépendante.  Mais, et c'est rassurant, ils ne sont que 2% à penser que les mosquées peuvent jouer un rôle politique. Les autres affirment qu'elles doivent être réservées au culte. 

Si on s'en tenait à ces résultats, on pourrait penser à une certaine apathie. En fait, la participation s'est manifestée d'une autre façon, surtout par les réseaux sociaux. En ce qui concerne les partis politiques, les jeunes sont partagés entre confiance et défiance. Les partis sont très centralisés et les jeunes n'y trouvent pas leur place. Ils sont 700 000 au chômage dont 200 000 diplômés.

Pour eux, le 14 janvier, c'était la révolution et le 15, ils voulaient du travail. Leur problème est socio-économique et les nouveaux élus, eux, ont en tête le pouvoir politique. Par exemple, ils n'ont pas mis en place de commissions sur ce problème crucial qu'est le chômage pour les jeunes. C'est vrai qu'il faut du temps mais il faut leur expliquer, c'est mondial et cela ne peut se résoudre avec une révolution.


La jeunesse tunisienne vit  dans une société modérée et réformiste depuis deux-cents ans, où la femme a pris sa place, où la liberté individuelle est primordiale et où s'est installée la société de consommation. Le problème des jeunes tunisiens rejoint le problème identitaire qui touche les jeunes de tous les pays. C'est quoi l'identité française, tunisienne ou autres? Une identité ou plutôt des identités qui se construisent, avec des facettes multiples. Il faudra en tenir compte.   »

Noureddine Bettaïeb
Noureddine Bettaïeb
« La Tunisie que j'aime »

« Le 14 janvier a changé ma vie. La Tunisie a ouvert une nouvelle page dans l'histoire arabo-musulmane. De Carthage jusqu'à maintenant, les civilisations se sont succédées et nous avons donné beaucoup à l'humanité. Voici maintenant le temps venu pour mon pays : il mérite la démocratie.  Le silence des citoyens a renforcé la dictature. La poésie a rompu le silence. Je peux dire oui, je peux dire non, j'ai, depuis le 14 janvier, une source d'inspiration pour des années. La dictature est partie mais les poèmes restent si le peuple veut.   »

Cette nuit  
est déserte, mère, 
Déserte… 
Comme les lamentations du vent 
dans notre village, 
Comme les lanternes éteintes, 
Déserte 
Cette nuit, 
Déserte, mère 
Comme une affliction lors d’un 
mariage… 
Comme l’odeur d’encre… 
Dans les habits délaissés de 
l’enfance, 
Déserte 
Comme le kohol dans les yeux des 
vieilles femmes, 
Comme l’odeur d’encens 
Chez ma voisine veuve.


(Extrait de « Florilège »,Anthologie de la poésie tunisienne
Union des écrivains tunisiens 2003
Traduit en français par Mohamed El Kadhi)
 

Salah Saouï, le bédouin de l'art
Salah Saouï, le bédouin de l'art
« Avec la même douleur et la même joie qu'un père » devant « le petit qui va naître »  

C'est à Douz qu'il vit, à la porte du désert. Dans le patio de sa maison, il a sorti ses oeuvres, des peaux tannés et calligraphiés. Aucune ne ressemble à une autre et la calligraphie ne peut s'y décrypter.

« Quand j'ai choisi la calligraphie de nos ancêtres, c'est par passion. Car j'aime cette forme d'écriture qui dégage de l'art. C'est la poésie de la forme qui m'impressionne. C'est ce côté naturel de notre passage dans l'histoire qui me murmure des choses et des récits des peuples qui nous ont précédés. »

Mais depuis la révolution, l'histoire l'a rattrapé. Et si Ben Ali leur a mis, à lui et au peuple tunisien, « des sens interdits dans la tête », il compte sur l'art pour se libérer. Cette révolution, il la vit, dit-il, « avec la même douleur et la même joie qu'un père qui attend un enfant. La douleur de voir sa femme dans la souffrance de l'accouchement et la joie d'accueillir le petit qui va naître. »

Le blog de Salah Souai

Marie-Anne Divet
 





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