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20/08/2015

Ashmat, le Breton-Afghan, repart de nouveau à Kaboul


Ce samedi 22 août, Ashmat Froz va de nouveau quitter Odile et ses amis bretons pour rejoindre Kaboul. Depuis notre rencontre pour Histoires Ordinaires il y a quatre ans, il a continué à passer six mois de l'année là-bas, bravant les risques. Mais c'est lourd, dur à vivre, de plus en plus dur.



Ashmat, le Breton-Afghan, repart de nouveau à Kaboul
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De nouveau l'avion pour Istanbul puis Kaboul. Et plus de trois mois à vivre loin d'Odile et des enfants, jusqu'aux fêtes de fin d'année. Ashmat Froz part dans trois jours reprendre son travail d'architecte de terre :  former des jeunes à l'Université Polytechnique de Kaboul ; achever le laboratoire de physique-biologie-chimie financé par la France à Hérat, la grande ville de l'ouest ; accompagner avec son association Darah les écoles de sa ville Istalif…

Depuis plus de trente ans, le Breton-Afghan n'a jamais laissé tomber son pays martyrisé par la géopolitique. Il a d'abord soutenu le commandant Massoud, son ami, assassiné en 2001, puis, sitôt après, a pris sa part dans la reconstruction. Mais où est l'Afghanistan dont rêvaient Massoud et Ashmat, jadis, lors de longues soirées dans la vallée du Panshir ?

« J'ai l'impression d'avoir beaucoup donné et je ne vois pas le bout du tunnel, lâche-t-il ; tout ce que je fais, n'est-ce pas un coup d'épée dans l'eau ? » Il y a quatre ans et auparavant, aux plus durs moments de la résistance aux talibans, on ne l'avait jamais senti aussi découragé. « Il reste 10 000 soldats américains, ils vont partir fin 2016 et rien n'est prêt. Les talibans n'ont aucun intérêt à la paix, le drapeau noir de l'État islamique est arrivé, et puis, comme dans le conflit israélo-palestinien, ça arrange un peu tout le monde : pour vendre des armes, il faut des conflits. »

De multiples actions

Ces dernières années, au fil du temps, l'impasse politique, les attentats, la corruption, le prix de cette guerre véritablement installée dans 12 des 34 provinces et qui engloutit 80 % du budget du pays, ont surtout bénéficié à « mille et un petits pouvoirs locaux » et cassé la plupart des leviers de développement ; du coup, le chômage qui frappe 40 % des jeunes y compris les diplômés, nourrit un peu plus l'insécurité. Ashmat repart cette fois encore mais « J'ai la trouille », avoue-t-il.

Malgré cela, malgré l'essoufflement qui a fini par gagner l'association Darah tombée à une centaine d'adhérents, Ashmat Froz va reprendre le week-end prochain le travail qu'il a laissé fin juin : l'Université polytechnique, Hérat, les huit écoles d'Istalif et les deux autres créées un peu plus loin, mais aussi l'école de sages-femmes et infirmières ouverte à Kaboul, le centre de technologie pour le ministère du développement rural… Les projets n'ont jamais manqué, qu'ils soient menés avec l'argent collecté par Darah ou les financements de l'Ambassade de France.

Des rêves suspendus, pas perdus

« Il y a deux ans, j'avais plein de travail, poursuit l'architecte, j'ai pu refaire ma maison à Kaboul, elle est super. Je voulais m'y installer, accueillir ma famille, mes amis. Personne ne vient. En mars dernier, j'ai refusé à Odile de venir. » La peur. Ashmat refuse même, aujourd'hui, des projets qu'on lui propose par craindre d'être trop visible. Ses rêves, donc, sont suspendus. Mais pas perdus : le pourraient-ils ?

Malgré tous les ravages de cette guerre qui n'en finit pas et qui provoque l'exode vers l'Europe et ailleurs de milliers d'Afghans (« tous les jours on sollicite mon aide », dit-il),  Ashmat Froz garde précieusement au fond de lui les signes d'espoir. Principalement, les bénéfices de l'éducation engrangés depuis 2002, treize ans maintenant. «700 000 jeunes, garçons seulement, étaient scolarisés sous les talibans, ils sont 12 millions aujourd'hui, garçons et filles. » Même s'il reste encore beaucoup de retards et de résistances à vaincre pour ces dernières, rien ne sera plus comme avant. « Il n'y a aucun risque que les talibans reprennent le pouvoir », ajoute le compagnon de Massoud. Nul doute qu'Ashmat Froz retournera toujours à Kaboul.

Michel Rouger
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