Le parlement des voisins

L’Assemblée a chaud les jours de 49-3. Drôle d’assemblée, l’époque peut virer bistre. Bien plus convaincante est la discussion entre voisins, les voisins de la rue.


​Michèle et Pierre

27/04/2023


20230427 2. Michèle et Pierre.mp3  (9.85 Mo)

Michèle et Pierre c’est la même histoire pas du tout pareille. La vie ordinaire est une vie extraordinaire, c’est banal de le dire, banal de l’écrire mais rarement faux !

Pierre est né dans la maison qu’il habite. C’est donc un voisin. Il y est né et jusqu’à treize ans, la vie roulait. Entre la rue avec les pneus qu’on pousse, le ruisseau d’écrevisses en bas des jardins et les ballons qui crèvent à cause d’un clou et qu’on regonfle à chaque fois. Pierre est un grand bricoleur, il sait tout faire. Avec Eugène, de ce côté des voisins, ces messieurs c’est sûr ont dans leur proche famille le dénommé consort Monsieur Bricolage ! Ils font des maisons, s’entraident et si l’un veut peindre, l’autre électrifie. Les Castors sont une association très connue, Pierre et Eugène sont des castors aussi sans s’être associés Loi de 1901, sauf se rendre service, c’est comme ça dans la rue. La rue date de 1949 en général. En général, car il y a quelques maisons d’avant-guerre, les pionnières, de 1935, dont une à toit plat fort singulière.

Pierre a grandi, il est allé à l’école, il rentrait en poussant du bout des pompes les cailloux. La rue était en sable et chaque maison avait sur sa façade, Eugène aussi, ou le carrossier ou le faiseur de parapluies, la moitié de la rue en propriété. Jusqu’une ligne abstraite qui divisait la rue, chacun avait sa partie. Ce qui résiste un peu quand presque tous, à la faveur des cessions, reventes, mutations etc ont dû rendre à la municipalité ce bout de lopin de leur terre entre leur façade ou leur mur et le mitan de la chaussée. Ceux qui se rappellent de ça ont une petite tendance, dont Pierre, à penser, et Eugène, que le trottoir c’est comme si c’était le leur, le bout de rue, comme si c’était leur goudron, leur bitume, leur bouche d’eau, bref leur propriété. Ça se sent d’autant et ça se voit vraiment si par exemple une voiture s’y gare, gare ! Bon, c’est cool, mais c’est remarqué à tel point que Pierre qui est né dans sa maison, natif en quelque sorte, indigène de l’indigénie, sort de son garage sa voiture entre huit heures du matin et huit heures du soir, ce qui lui assure d’être rassuré, y compris s’il n’a , ce jour-là, aucun besoin de sa voiture. Bon. On ne sait jamais ! Une course intempestive ! Un appel au secours ! Un petit fils devenu grand à aller chercher non plus à la sortie du collège mais à la médecine du travail ! Improbable mais en tout cas, la voiture dehors scelle l’appartenance cadastrale et marque un territoire. Des manies de Pierre. Plutôt drôles et d’ailleurs sur sa porte du garage un panneau menaçant est apposé, la Fourrière en mesure coercitive, pour qui, ce serait en effet bien répréhensible, oserait empiéter le bateau de garage. Ce qui énerverait n’importe qui et importunerait tout le monde !

Pierre s’en souvient des gens qui jardinent au dos des maisons et remontent, bêchage après binage, saison après saison, des seaux de cailloux pour venir combler dans la rue les nids de poules et gare aux gosses qui creusent à nouveau ou shootent dans les galets plus ronds. Même si ça donne envie aux garnements. Pierre n’en est pas un.

Sa mère meurt quand il a treize ans. Coup du destin, maladie brutale, corps et esprit, il est seul avec son père qui est seul avec lui et qui, dans les trois mois qui suivent, meurt aussi.

Voilà Pierre vraiment, mais carrément seul. Orphelin de père et de mère.

Tout a foutu le camp en un trimestre sinistré de ses treize ans. Il a dans la même rue des oncles. Deux. Pas moins et deux tantes.

Ce sont elles, ce sont eux qui prennent en charge Pierre. Il va continuer de dormir dans sa chambre, c’est ce qui est décidé. Il viendra manger en alternance chez l’un ou chez l’autre, et pour les lessives, les tantes s’organisent. Pierre est allé ensuite en pension au lycée Saint-Etienne et, à la fin de sa carrière de lignard, il est devenu formateur en lignards. Ce qui lui fait dire que pour apprendre et garder son crédit, il faut avoir été de la partie. Savoir de quoi on parle et foin de théorie.

Il passe maintenant son temps, le plus de son temps, dans son bureau, face à l’écran d’ordinateur, c’était sa chambre d’enfant où il s’est retrouvé si seul, donc, à treize ans. Michèle est sa femme, elle jardine, elle câline les roses, caresse les arbres, essaie des nouvelles plantes, tente des graines, transplante, invente, elle crée des trucs nouveaux, avec ou sans fleurs et n’a de joie que de prévoir un bon repas pour ses petits-enfants, grands à présent qui reviennent et réclament ce qu’elle faisait de si bon quand ils avaient trois, sept ou quinze ans.

Dire qu’un repas s’annonce la veille n’est pas du voyeurisme mais de l’olfactisme !

Ça sent bon les épices annoncés, les petits plats dans les grands, les fonds de sauce, les marinades, les moments de grâce autour de la table ont de ces fumets avant-coureurs auxquels, pour ma part, je résiste, non sans d’admiratives (et jalouses) interpellations ! Le poissons en poissonnades, les viandes en régalades, il y aura fête et la veille ce sont les nazes et les tarins, les pifs et les truffes qui succulent, salivent, un nez le peut-il ?

De commun entre Eugène, Colette, Michelle et Pierre, la maison secondaire !

Ils sont ici voisins d’en face et là-bas ont moins de cinq-cents mètres entre leurs maisons de Saint-Gildas de Rhuis. On pourrait dire, on pourrait croire qu’on a ici affaire à des gros riches, à des sales boursicoteurs, à des Cac 40 infoutus de redescendre sur terre sans prendre une fusée supersonique payée par un chauffeur de maxi-taxis californiens. Que non ! Ils ont eu au bon moment des années soixante-dix, Trente-Glorieuses encore, la bonne idée d’aller camper l’été dans le Morbihan, d’y rester, d’y marcher, d’y voir les premières tiges de bois sec au bord des fermes, les débuts de lotissements pointaient. Ils ont acheté des lopins pour poser la tente puis la caravane puis ils ont construit leur palais qui ressemble en tout point à leur première maison, sauf que l’iode fouette le nez et, en contre-bas, le cliquetis du port et le moulin des anémomètres cliquètent toute la nuit non sans indiquer d’où vient le zef. Les voisins de la ville sont voisins à la mer. Ils marchent sur les mêmes falaises, de moins en moins car leurs pas rapetissent entre deux cures à Dax ou à Bagnoles de l’Orne !

Michelle des fois donne des ordres, c’est au jardin, à Pierre. Oreilles à la traîne, l’ordre est tonitruant, trois ou quatre maisons le recevant de fait cinq sur cinq ! Il s’est encore trompé, a encore arraché une plante en jauge, un racinaire de réserve, une prouesse floristique d’avenir. Pierre se cantonne aux pelouses et c’est presque trop. En tout cas c’est à risques. Promis, il ne recommencera pas. Il se rappellera de la plante précieuse qui deviendra grande mais un bricoleur en atelier, un perfectionniste à l’établi exige au jardin, en toute logique, une logique d’herbes rases, combien de centimètres et des bordures au ciseau à ongles. Sur ce point, j’exagère. En salopette rouge, type Guantanamo, Pierre fait peur avec son contour précis, impeccable avec le micro-fil qui tourne. C’est le parfait perfectionniste.

Un jour qui fut ce jour d’il y a quelques années, je dus lui proposer une théorie radicale, dont il fut obligé de ne pas en redire et qui lui fit, il s’en souvient, non pas changer de paradigme mais en tout cas d’envisager de pouvoir éventuellement commencer de penser le début d’une modification. Il devait se faire entre voisins un mur et se prévoyait, depuis un certain temps, ce soubassement d’importance. Or un matin à l’aube, on dut potron-minet annoncer à Pierre que c’est ce matin et pas un autre, dans dix minutes pas plus ni moins ! Rien n’est prêt, dit-il. Regard d’affolement et crispation en sourire paniqué, Pierre demeure courtois. Pas de planches, dit-il, pas de plans, pas d’arrimage ni de mesures. En express et sans le laisser penser à ce qui lui arrivait, un caillou fit l’appui, un vieux cageot la ligne, une planche arrachée vitement devint fondatrice de fondation et force fut de constater sans huissier mais par Pierre que l’imperfectionnisme est possible. Le jour et l’heure quand le camion toupie se ramène, lui qui commande. On ne lanterne plus, on ne calcule pas, la trigonométrie se range vite fait au magasin des accessoires et les conventions déconventionnent. De cette aventure microscopique, Pierre a le souvenir. Une révolution sire, copernicienne ! Il sait depuis que c’est possible et continue ses chantiers un à un, programmés, planifiés, ébauchés, esquissés, au brouillon et au propre, gardant de quoi fournir à la prochaine surprise ses solutions de bout de fil, de cale en plastique et dont il faut ici préciser que tout trouvera son emploi, l’infinitésimale rondelle jusqu’au rondouillard bout de bambou !

Dans la même rubrique