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20/11/2023

Gérard Bricet, paysan, retraité dans un quartier populaire

Reportage : Jean-François Bourblanc avec Caroline Leduc (photos et vidéo)


Éleveur laitier à Servon-sur-Vilaine, Gérard Bricet, aujourd'hui retraité, réside dans le quartier de Bréquigny à Rennes. Très tôt, il s'engage pour l'éducation populaire. Discret et sage, il ne s'épanche pas et considère que faire, c'est mieux que dire. Témoignage.


Gérard Bricet a été pendant 40 ans paysan sur la ferme d'Olivet à Servon-sur-Vilaine (35) avant de prendre sa retraite en ville
Gérard Bricet a été pendant 40 ans paysan sur la ferme d'Olivet à Servon-sur-Vilaine (35) avant de prendre sa retraite en ville
g__bricet.m4a G. Bricet.m4a  (12.79 Mo)

Après avoir fait du soutien scolaire à la MJC "Maison de Suède", membre actif du Jardin partagé voisin, Gérard Bricet milite aujourd'hui pour une alimentation de qualité accessible à toutes et à tous. « C'est là que j'ai envie de m'investir », souligne-t-il. Il explique ainsi l'intérêt de la Sécurité sociale pour l'alimentation (SSA) : « Comme dans la sécurité sociale des soins, au départ, il y a trois piliers : l'universalité, le conventionnement et la cotisation » (voir la vidéo ci-dessous).

Depuis quelques années Gérard Bricet participe au jardin partagé de la rue de Suède.
Depuis quelques années Gérard Bricet participe au jardin partagé de la rue de Suède.

Pour une alimentation accessible à toutes et tous

Dans son quartier, Gérard Bricet est membre actif de l'association VRAC - Vers un Réseau d'Achat Commun- qui met en place des groupements d’achat dans les quartiers prioritaires. Les distributions se déroulent une fois par mois à la MJC de Bréquigny. "Côté Ouest, les gens viennent, pas ceux du côté Est. Bréquigny est coupé en deux. Alors on s'interroge aujourd'hui pour organiser une autre distribution. Mais nous faisons tout en autonomie, avec des bénévoles : "On ne peut mettre aucun salarié" », lui a rappelé Anaïs Mainfray, coordinatrice du groupement Vrac, à Rennes.

Depuis 2016, Gérard Bricet participe aux activités de la Maison de la Consommation et de l'Environnement, (MCE). « On bosse sur l'accessibilité à l'alimentation dans les quartiers populaires. On a sensibilisé les centres sociaux, des associations... Je me suis rappelé que l'éducation populaire, ça va dans les deux sens. Un jour, à la Maison des Squares, on explique à une dizaine de femmes  les différents labels dans l'alimentation, la bio, le label rouge... Elles nous ont écouté d'une oreille plus ou moins distraite. Interrogées sur « c'est quoi pour vous un vrai bon plat ? », quelques  Maghrébines répondent : un tajine. Quels plats préparez-vous pour vos enfants ?  Réponse : pizza, hamburger, kebab. On n'a pas posé la troisième question : Pourquoi ? Mais il  y a là une vraie question ! » Simplement, le coût des fruits et légumes limite les achats.

« Avec mes associés du gaec on a décidé de ne plus faire de maïs . On est passé en tout herbe et en bio »
« Avec mes associés du gaec on a décidé de ne plus faire de maïs . On est passé en tout herbe et en bio »

Investi dans deux MJC

Déjà à Servon, il s'était investi dans la MJC. « Elle marchait bien, avec un petit festival dans les fermes et d'autres lieux . » Toujours un fan de l'éducation populaire. « C'est lié à mon éducation : je suis pour les mélanges, partout. » Gérard Bricet a été plusieurs années président de la Fédération régionale des MJC de Bretagne. Aujourd'hui, il participe aux activités de la Maison de Suède. «Quand je suis arrivé en retraite, je n'avais plus de responsabilité agricole. » Il ne veut pas ressembler à tous ces responsables professionnels qui ne se décident pas à laisser la place aux jeunes, y compris quelques uns dans le réseau CIVAM où il s'est beaucoup engagé. Pourquoi avoir quitté la campagne ? Paradoxalement, il est, à son avis, plus facile de faire du vélo en ville : c'est ainsi qu'il fait la plupart de ses déplacements. Pourquoi habiter Bréquigny ? "Pour le prix du logement". Son engagement pour une meilleure alimentation dans les quartiers populaires à peut-être aussi pesé !

Vive l'herbe

Au fil de la discussion, il raconte quelques étapes de son parcours de paysan : « En 1993, sur la ferme avec mes associés du gaec, nous avons décidé de ne plus faire de maïs. On est passé en tout herbe et en bio : "Si l'on produit un peu moins, c'est pas grave, ça nous coûtera beaucoup moins cher". » Et ils l'ont fait ! Avec un passage progressif du troupeau de vaches laitières en croisement Holstein - Brune des Alpes. « Quand il y a eu la moitié du troupeau en Holstein pur, j'ai supprimé le concentré carrément. Elles ne mangeaient plus que de l'herbe, sous forme de pâturage, de foin ou d'enrubannage.  Elles ne mangeaient que ça et se portaient très bien. »

La transition a été facilitée par la création de l'Adage, premier CIVAM (1) d'Ille-et-Vilaine. «  Adage ! C'est la sagesse populaire ! »  Au départ, c'était "l'Association pour la désintensification de l'agriculture par la gestion et l'environnement". « On était dix ou quinze, en Ille-et-Vilaine. Dans les Côtes d'Armor, il y avait le Cedapa », groupe où les éleveurs échangent leurs informations techniques, économiques. « Être dans une fédération, la fédération départementale des CIVAM, ça nous a aidé . Puis on a créé le réseau agriculture durable, le RAD. »

Une victoire syndicale

La Fédération régionale des CIVAM a travaillé sur les mesures agro-environnementales et négocié avec les pouvoirs publics... suite à une grève de la faim à Trémargat (Côtes d'Armor), une grève pour obtenir un niveau de rémunération correct, et surtout une mesure par système et non pas une mesure au champ. « On a obtenu une victoire syndicale dans les années 90, avant même que l'Inra fasse ses études. En commission départementale d'orientation de l'agriculture,  le CDJA et la FDSEA demandaient une aide à l'installation pour les seuls jeunes qui s'installent avec un quota égal ou supérieur à la moyenne départementale. Tu vois l'effet de cliquet, ironise Gérard. On a apporté des comptabilités de gens en système herbe inférieurs en quota mais gagnant nettement plus que les autres. On a même présenté les comptes d'un gars qui n'a pas pu avoir sa deuxième partie de DJA (2), parce qu'il gagnait trop". Dans la foulée, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) a étudié le programme Systèmes herbagers économes  en relation avec le Cedapa.

Gérard Bricet a milité et pris des responsabilités dans les CIVAM et à la Confédération Paysanne dont il est toujours adhérent. Avec une préoccupation : agir d'abord plutôt que faire du discours. A la Confédération Paysanne, « on a défendu des éleveurs intégrés. Comme cette dame de Brécé qui produisait des dindes industrielles avec le Père Dodu". Dans le même temps, il s'engage à Vent d'Ouest. C'était  le journal syndical des Paysans travailleurs, de Loire Atlantique au départ, après de l'Ouest et après national, devenu Campagnes solidaires. « A l'époque des Paysans travailleurs, on était notamment en soutien sur les bagarres qui avaient lieu à Fougères dans les usines de chaussures. » Constant, voire parfois teigneux, il ne lâche rien : «Quand il a une idée, il n'est pas pressé », souligne Jean-Paul Renault, l'un de ses compagnons de route à la Confédération Paysanne et dans les CIVAM.
 
Grâce à un prof du lycée
 
Son éveil politique et syndical a  commencé très jeune grâce à son père, de la génération JAC, la Jeunesse Agricole Catholique (3) et au professeur de socio-culturel du lycée agricole de Dol-de-Bretagne. L'éducation populaire est chez lui une ligne rouge, comme citoyen et comme paysan, d'abord à l'Adage  « Il n'y a pas d'experts. Chacun dans sa ferme doit expérimenter par tâtonnement successif. Ce ne sont pas des techniques, c'est d'abord un état d'esprit, on s'écoute, tout le monde est expert de sa propre vie. » Pour lui l'éducation, c'est « le mélange des gens contre le corporatisme ».

Gérard Bricet, paysan, retraité dans un quartier populaire

Coups de gueule

Au cours de notre entretien, Gérard Bricet pousse parfois un coup de gueule. Très ferme, sans crier.
« Ce qui me débecte le plus à la FNSEA, c'est son corporatisme. » Pourquoi les arguments chiffrés du réseau CIVAM pour le développement de l'herbe,  depuis plus de 20 ans, ne pèsent-ils pas ? Il y a des blocages chez les paysans. Gérard Bricet précise : « C'est la mentalité de citadelle assiégée. C'est nous les paysans, "Y a que  nous qui bossent",  "Y a que nous qu'on est malheureux", "Y a que nous qui nourrissons le monde". Et le monde entier, y compris les petits africains. En fait, on les affame, mais ce n'est pas grave ! » Il est davantage dans la construction que dans le conflit. Par exemple : « Il n'allait pas se friter directement à la Chambre d'agriculture », note Jean-Paul Renault ,

Convivial, bon vivant, note Corinne Le Fustec (FR MJC), il est plutôt optimiste, il a l'intelligence du terrain. Gérard Bricet estime qu'il y a toujours des jeunes qui militent,  de tous horizons. Il cite un exemple :  « Des jeunes filles, à la Maison de Suède, ont fait un document sur les 10 commandements de jeunes filles en banlieue. » (4)  Mais il regrette des fourvoiements. « Par exemple, ça me touche particulièrement en tant qu'ancien éleveur : les végans. Ça ne tient pas debout une seconde ! Effectivement, l'élevage industriel, c'est à jeter ! Mais le côté traditionnel des basse-cours, les animaux qui récupèrent les restes et les transforment en aliment de qualité, tu peux pas jeter ça. Les herbivores qui bouffent de l'herbe, qui entretiennent une certaine biodiversité. Pour lutter contre le feu, l'élevage, c'est un moyen efficace. » 

Les 10 commandements d'une fille de quartier : "Tu pourras t'habiller comme tu souhaites", "Tu feras le sport qui te plaît"... (disponible à La Maison de Suède : mjcmaisondesuede@gmail.com)

En 2018,  dans la région de Salfit (centre ouest de la Cisjordanie) C'est la fin de la pause . Les plats sur la nappe par terre  ont été préparés par les mamans palestiniennes
En 2018, dans la région de Salfit (centre ouest de la Cisjordanie) C'est la fin de la pause . Les plats sur la nappe par terre ont été préparés par les mamans palestiniennes

"C'est horrible de se faire piquer sa terre"

Très engagé sur le terrain, comme paysan et comme citoyen, Gérard Bricet adhère à l'association France Palestine Solidarité.   « En tant que paysan, j'étais sensibilisé à cette question. Quelqu'un qui se fait piquer sa terre, je trouve ça  horrible. Je venais à des manifs à Rennes. Quand j'ai habité Rennes, je me suis un peu investi à France Palestine. ». Il précise : « Je suis allé une première fois en Palestine, 15 jours en 2016, pour cueillir des olives. Ça marque. J'y suis retourné 15 jours en 2018. Après, t'es mordu. En plus, tu connais les gens personnellement. Israël empêche les paysans d'aller sur leur terre et au bout de deux ans, comme la terre n'est pas exploitée, elle est confisquée. Ils ressortent une loi de l'empire ottoman. On y va et s'il y a des internationaux, ça limite un peu les dégâts. » Gérard Bricet devait repartir fin octobre en Palestine pour la cueillette des olives.

Texte : Jean-François Bourblanc
Photos et vidéo : Caroline Leduc


(1) Les CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agro-écologique. Ils constituent un réseau de près de 130 associations qui œuvrent depuis 60 ans pour des campagnes vivantes.

(2) La dotation jeune agriculteur (DJA) est une aide au démarrage, dont le montant peut varier en fonction des difficultés liées à la zone d’installation, à la nature du projet et aux priorités fixées dans les régions

(3) Jeunesse agricole Catholique. En 1965 la JAC se fond dans le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC)

(4) Les dix commandements d'une jeune fille de banlieue

Devant l'un des batiments de la Maison de Suède (Rennes)
Devant l'un des batiments de la Maison de Suède (Rennes)

Gérard Bricet, un homme d'action
 
Marqué par la génération de ses parents à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne), il cherche toujours a respecter la devise "voir, juger, agir"
 
1953 : Naissance et premières années dans la ferme des parents à Servon sur Vilaine
1966-1970 :  Lycée agricole Les Vergers ( Dol de Bretagne)
1973 : Service national
1974 : Aide familial sur l'exploitation des parents. Adhère aux Paysans Travailleurs (devenus Confédération Paysanne) et y milite surtout jusqu'en 1993.
1977 : Marié avec Martine, sage-femme, salariée, puis en libéral les dix dernières années. Ils ont trois enfants :
Melaine ( né en1983) Marion (1987) Agathe (1991)
1983 : Installation en gaec avec Jean-Yves Saffray) puis Christophe Saffray en 1986
1993 : Création ADAGE. Engagé dans les Civam de 1993 à 2010.
2012-2015 : Président MJC de  Servon sur Vilaine.
2007 : Deux  associés et trois salariés dans le gaec jusqu'en 2015.
2015 : Retraite et responsabilités à la Fédération régionale des MJC  Bretagne jusqu'en 2020.
2015 : vient habiter  Rennes
2017 : reprend ses engagements à la Confédération Paysanne pour la Sécurité Sociale de l'Alimentation.

Gérard Bricet explique, en vidéo, la sécurité sociale de l'alimentation.





1.Posté par michel Bouvier le 30/11/2023 19:12
Bravo pour le témoignage de Gérard !

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