La chanson de Roland
Il est des contes pour enfants. Il est des adultes qui racontent.
Le brave bossu est récompensé, la malheureuse orpheline, sauvée, le méchant, cruellement
puni, et les sœurs généreuses épousent de bons princes…
Par ces lignes et ces trois points de suspension, se clôt le beau récit initiatique d’Elisabeth
Lotrian.
Un livre de Bretagne.
Un livre des Bretagnes. De douleurs et de douceurs, de deuil et de seuil.
Écrit aux seuils des fermes, entre Kergus Izella et Kergus Huella, sur les pierres polies par les
passages successifs de générations de sabots, les signes de la main de la grand-mère tant
que la voiture qui repart à la ville est en vue. Ou les seuils de grand-père, les bras encombrés
de brassées de légumes. On ne part pas de ces royaumes sans quelque chose à manger. Et,
seuil ultime, la mort d’un enfant.
Trois points de suspension finissent le livre d’Elisabeth Lotrian. Ils ouvrent aux suites, et
notamment à d’autres Bretagnes que l’autrice habite.
Recommençons par son début.
Le récit coule entre phrases simples et scansion de chansons. Des citations issues des
transmissions bretonnantes, cantiques ou gwerziou, ou tout aussi bien les refrains que les
radios populaires ont repris et qui, bien avant playlist et YouTube, ont rythmé la vie des
gens. Depuis C’est aujourd’hui dimanche/ Tiens ma jolie maman, les roses blanches à faire
chialer les années cinquante aux plus vernaculaires comptines, toutouig lala, va mabig/Da
vamm a zo aman, koantig, si intime et si doux, jusqu’au plus brutaliste Contravention/Allez,
allez/Pas de discussion/Allez, allez/Exécution/Allez, allez/J’connais le métier qui signe le
régalien du paternel ou au sacré, le cantique Jezuz pegen bras’ve/Plijadur an ene/Pa vez e
graz Doue/Hag en e garantez (bis).
Le livre est un livre de vies.
Vies vaillantes, vibrantes, d’enfance puisées au puits dans ma mémoire. Une mère malade,
douloureuse mère qui se meurt sans mourir de la mort de son fils.
Ç’aurait pu s’intituler la chanson de Roland mais le titre était déjà pris ! La mort de Roland
hante ici et sans cor ni olifant la vaste dévastation d’une famille trimballée de gendarmerie
en gendarmerie selon les mutations du père et la maladie d’un enfant. Un contre-nature
dont toutes les colères découlent, les débordements dont l’alcool en trop et les
enfermements psychiatriques à suivre.
Car ce n’était pas une anémie.
C’était une leucémie.
La mère ne s’en relève pas et le père non plus, même si son chef, le colonel, fait revenir le
corps du petit Roland de Rennes à Brest dans un convoi militaire passablement illégal.
Peu importe ici le légal ou l’illégal. La mort d’un enfant est un scandale. Roland aura son
sanctuaire au bon endroit, pen-ar-bed, en breton dans le texte. Les prières seront dites
autour de lui dans la salle à manger finistérienne, au bout du monde, où les draps sont
tendus, piqués de roses jaunes à peine écloses. Le chant qui s’élève forge un chagrin de tous
les diables.
Roland reposait, mains jointes et doigts croisés, comme endormi. Ses joues étaient encore
gonflées par les traitements, mais ses cheveux avaient commencé à repousser.
La mort isole, surtout quand elle survient ainsi. Au fond, un enfant est peut-être davantage
prêt à mourir que les adultes qui l’entourent et, plus impuissante encore, la fratrie fauchée
par ce bloc noir.
L’autrice avance au plus vrai et au plus efficace, empruntant au populaire sa rime intérieure :
Pauvre Roland.
Pauvre maman.
Pauvre papa.
Chacun pleure cette pauvreté de soi qui prouve le dénuement absolu face à la fin et face à
soi.
Suit le sauve qui peut.
L’autrice, étudiante, vole les bouquins. Elle est la fille du gendarme et elle vole ! Plus maline
qu’eux, elle ne se fera rattraper ni par la patrouille ni par son père.
Elle le cherche sans le trouver en piquant les bouquins et cherche sa mère sans la soigner en
devenant, devinez ce qu’elle peut faire, psychologue ! Ses stages en psychiatrie tournent
autour des mères internées et dans ces recherches de réponses qui ne viennent de toute
façon pas.
Les petits sabots de Loguivy d’Elisabeth Lotrian est un premier livre qui touche à cœur.
Entre Rennes à l’âge adulte où les couples se font et se défont non sans se défoncer et
Loguivy-Plougras, lequel bourg, si vous suivez sur la carte est posé entre Guingamp et
Morlaix. Les petits sabots ont la forme exacte des souvenirs de l’autrice. De bois, pointe à la
retrousse, solide aux tourments. Ils tiennent le vent et la pluie, chaussons chauds de feutre à
l’intérieur, ils franchissent le passé de royaume et les présents à secousses.
Chaussons ces petits sabots au plus vite et courons au pâturage de Landouzen qui était
suffisamment éloigné de Kergus pour qu’on y reste quelques heures avec les bêtes.
Kergus, le royaume !
Kergus, mon antidote à l’enfermement qui était notre lot à la gendarmerie et à l’école.
Kergus est un hameau du Bas-Léon, posé sur le versant sud d’une vallée boisée, où murmure
la Doëna, petite rivière qui se jette plus loin dans l’aber Wrac’h.
Avec les petits sabots d’Elisabeth Lotrian, le lecteur saute les haies, vie, mort, franchit coups
et colères et file à travers temps. Le petit frère Christophe, trois ans et demi, saute quant à
lui sur le lit de Roland et l’enfant malade dit en se riant de l’infirmière, laissez donc sauter
mon frère !
La vie est plus forte que les vies.
Nous l’avons annoncé, tous la réclament ! La voici, à la fin du livre, la gwerz de l’auteure,
poétique et celte, la chanson de Roland :
J’irais la chanter
À mi-voix
Sur trois tombes
Séparées
Dans trois cimetières de Bretagne
Éloignés
Qui font à présent mes Toussaint
Écartelées
Gilles Cervera
Elisabeth Lotrian, Les petits sabots de Loguivy, éd BoD, 173pp, 15€
lespetitssabotsdeloguivy@orange.fr
Il est des contes pour enfants. Il est des adultes qui racontent.
Le brave bossu est récompensé, la malheureuse orpheline, sauvée, le méchant, cruellement
puni, et les sœurs généreuses épousent de bons princes…
Par ces lignes et ces trois points de suspension, se clôt le beau récit initiatique d’Elisabeth
Lotrian.
Un livre de Bretagne.
Un livre des Bretagnes. De douleurs et de douceurs, de deuil et de seuil.
Écrit aux seuils des fermes, entre Kergus Izella et Kergus Huella, sur les pierres polies par les
passages successifs de générations de sabots, les signes de la main de la grand-mère tant
que la voiture qui repart à la ville est en vue. Ou les seuils de grand-père, les bras encombrés
de brassées de légumes. On ne part pas de ces royaumes sans quelque chose à manger. Et,
seuil ultime, la mort d’un enfant.
Trois points de suspension finissent le livre d’Elisabeth Lotrian. Ils ouvrent aux suites, et
notamment à d’autres Bretagnes que l’autrice habite.
Recommençons par son début.
Le récit coule entre phrases simples et scansion de chansons. Des citations issues des
transmissions bretonnantes, cantiques ou gwerziou, ou tout aussi bien les refrains que les
radios populaires ont repris et qui, bien avant playlist et YouTube, ont rythmé la vie des
gens. Depuis C’est aujourd’hui dimanche/ Tiens ma jolie maman, les roses blanches à faire
chialer les années cinquante aux plus vernaculaires comptines, toutouig lala, va mabig/Da
vamm a zo aman, koantig, si intime et si doux, jusqu’au plus brutaliste Contravention/Allez,
allez/Pas de discussion/Allez, allez/Exécution/Allez, allez/J’connais le métier qui signe le
régalien du paternel ou au sacré, le cantique Jezuz pegen bras’ve/Plijadur an ene/Pa vez e
graz Doue/Hag en e garantez (bis).
Le livre est un livre de vies.
Vies vaillantes, vibrantes, d’enfance puisées au puits dans ma mémoire. Une mère malade,
douloureuse mère qui se meurt sans mourir de la mort de son fils.
Ç’aurait pu s’intituler la chanson de Roland mais le titre était déjà pris ! La mort de Roland
hante ici et sans cor ni olifant la vaste dévastation d’une famille trimballée de gendarmerie
en gendarmerie selon les mutations du père et la maladie d’un enfant. Un contre-nature
dont toutes les colères découlent, les débordements dont l’alcool en trop et les
enfermements psychiatriques à suivre.
Car ce n’était pas une anémie.
C’était une leucémie.
La mère ne s’en relève pas et le père non plus, même si son chef, le colonel, fait revenir le
corps du petit Roland de Rennes à Brest dans un convoi militaire passablement illégal.
Peu importe ici le légal ou l’illégal. La mort d’un enfant est un scandale. Roland aura son
sanctuaire au bon endroit, pen-ar-bed, en breton dans le texte. Les prières seront dites
autour de lui dans la salle à manger finistérienne, au bout du monde, où les draps sont
tendus, piqués de roses jaunes à peine écloses. Le chant qui s’élève forge un chagrin de tous
les diables.
Roland reposait, mains jointes et doigts croisés, comme endormi. Ses joues étaient encore
gonflées par les traitements, mais ses cheveux avaient commencé à repousser.
La mort isole, surtout quand elle survient ainsi. Au fond, un enfant est peut-être davantage
prêt à mourir que les adultes qui l’entourent et, plus impuissante encore, la fratrie fauchée
par ce bloc noir.
L’autrice avance au plus vrai et au plus efficace, empruntant au populaire sa rime intérieure :
Pauvre Roland.
Pauvre maman.
Pauvre papa.
Chacun pleure cette pauvreté de soi qui prouve le dénuement absolu face à la fin et face à
soi.
Suit le sauve qui peut.
L’autrice, étudiante, vole les bouquins. Elle est la fille du gendarme et elle vole ! Plus maline
qu’eux, elle ne se fera rattraper ni par la patrouille ni par son père.
Elle le cherche sans le trouver en piquant les bouquins et cherche sa mère sans la soigner en
devenant, devinez ce qu’elle peut faire, psychologue ! Ses stages en psychiatrie tournent
autour des mères internées et dans ces recherches de réponses qui ne viennent de toute
façon pas.
Les petits sabots de Loguivy d’Elisabeth Lotrian est un premier livre qui touche à cœur.
Entre Rennes à l’âge adulte où les couples se font et se défont non sans se défoncer et
Loguivy-Plougras, lequel bourg, si vous suivez sur la carte est posé entre Guingamp et
Morlaix. Les petits sabots ont la forme exacte des souvenirs de l’autrice. De bois, pointe à la
retrousse, solide aux tourments. Ils tiennent le vent et la pluie, chaussons chauds de feutre à
l’intérieur, ils franchissent le passé de royaume et les présents à secousses.
Chaussons ces petits sabots au plus vite et courons au pâturage de Landouzen qui était
suffisamment éloigné de Kergus pour qu’on y reste quelques heures avec les bêtes.
Kergus, le royaume !
Kergus, mon antidote à l’enfermement qui était notre lot à la gendarmerie et à l’école.
Kergus est un hameau du Bas-Léon, posé sur le versant sud d’une vallée boisée, où murmure
la Doëna, petite rivière qui se jette plus loin dans l’aber Wrac’h.
Avec les petits sabots d’Elisabeth Lotrian, le lecteur saute les haies, vie, mort, franchit coups
et colères et file à travers temps. Le petit frère Christophe, trois ans et demi, saute quant à
lui sur le lit de Roland et l’enfant malade dit en se riant de l’infirmière, laissez donc sauter
mon frère !
La vie est plus forte que les vies.
Nous l’avons annoncé, tous la réclament ! La voici, à la fin du livre, la gwerz de l’auteure,
poétique et celte, la chanson de Roland :
J’irais la chanter
À mi-voix
Sur trois tombes
Séparées
Dans trois cimetières de Bretagne
Éloignés
Qui font à présent mes Toussaint
Écartelées
Gilles Cervera
Elisabeth Lotrian, Les petits sabots de Loguivy, éd BoD, 173pp, 15€
lespetitssabotsdeloguivy@orange.fr