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02/03/2022

L'Iranienne-Belge-Canadienne Hanieh Ziaei cultive l'art d'être nomade

Interview : Marie-Anne Divet


Distance oblige, c’est par les ondes que se fait la rencontre avec Hanieh Ziaei. Mais où est-elle ? En Iran, son pays d’origine ? En Belgique où elle retrouve régulièrement ses parents ? Au Canada où elle enseigne et dirige un centre multiculturel ? Hanieh Ziaei se définit elle-même comme une nomade hybride.


Sociologue et politologue, Hanieh Ziaei dirige le centre culturel Georges-Vanier à Montréal. © D.R
Sociologue et politologue, Hanieh Ziaei dirige le centre culturel Georges-Vanier à Montréal. © D.R
20220303_l__iranienne_belge_canadienne_hanieh_ziaei.mp3 20220303 L'iranienne belge canadienne Hanieh Ziaei.mp3  (7.13 Mo)

« La question de l’identité est une question difficile. » C’est de chez ses parents en Belgique que jaillit  spontanément sa réponse. Un mystère, l’identité ?
« Les humains ont depuis toujours beaucoup bougé. Aujourd’hui, nous parlons d’immigration, d’appartenance à une culture et à une langue, de diversité culturelle, de nouveaux arrivants. »
Hanieh Ziaei, sociologue et politologue de formation, sait ce que classification veut dire.
« La réalité du terrain est autre : personne n’aime être enfermée dans des boîtes et dans des définitions fermées, n’avons-nous pas ce côté pluriel, hybride ? Je ne me retrouve pas dans ce mot d’immigrante. Je me considère comme une nomade. Je suis une nomade. »

De Téhéran à Bruxelles

Ses parents ont quitté l’Iran pour la Belgique pour des raisons politiques. Ils ne se reconnaissaient en rien dans l’idéologie religieuse de la République Islamique. Hanieh Ziaei se souvient des odeurs, des couleurs, du bonheur de la vie familiale mais... ne supportait pas le voile, dit-elle.
« Partir de son pays d’origine est toujours un déchirement. Vous laissez derrière vous une famille, des ami.e.s, une carrière, des souvenirs. C’est douloureux. Arriver et vivre en Belgique n’a pas toujours été facile. »
Difficile de trouver de nouveaux repères, essentiels dans la re-construction de soi. « Cela peut être le café du coin, la petite boulangerie, une personne », dit-elle. Difficile de vivre l’adolescence, entre deux pays. « Qui suis-je ? » se demande-t-elle. Elle parle le persan à la maison, vit les fêtes et mange dans une autre culture que celle qu’elle vit dès qu’elle quitte l’atmosphère familiale.
« La Belgique est devenue pour moi et, aujourd’hui avec plus de recul et de maturité, le pays qui nous a tout donné. Ma famille et moi, nous lui sommes redevables de notre réussite. Ce pays nous a donné plus que notre pays d’origine et cela il faut le dire. »
Hanieh Ziaei y fait ses études de sciences politiques et de sociologie à l’Université Libre de Bruxelles puis les poursuit au Canada où elle travaille aujourd’hui.

« La politique nous divise, l’art et la culture nous rassemblent. » © D.R
« La politique nous divise, l’art et la culture nous rassemblent. » © D.R

« Que serais-je devenue ? »

Parfois, elle se demande ce que serait sa vie si elle était restée en Iran. 
« Honnêtement, cela me fait peur. Je vois comment vivent les jeunes femmes de mon âge. Il y a les dictats de l’État et de son idéologie mais pas seulement, il y a surtout la pression culturelle, le système patriarcal, complètement institutionnalisé. En Belgique, j’ai pu faire le choix de faire les études que je voulais et même le choix de quitter ce pays librement. »
Un bémol cependant. Quand elle a travaillé au Parlement Européen, elle s’est attirée des étonnements : que faisait-elle dans ce lieu ? Avait-elle les diplômes requis ? Pas d’appuis puissants dans l’institution ? Une remarque blessante : « Tu n’es pas chanceuse d’être iranienne ! » Elle réplique : 
« Je ne me reconnais pas dans le gouvernement et l’idéologie mais je n’ai pas à rougir du pays où je suis née. Je parle le persan, j’ai en moi toute sa richesse culturelle, j’ai fait des recherches et j’ai beaucoup étudié. »
Cette colère, est-ce peut-être pour juguler cette culpabilisation qu’elle ressent lorsqu’elle passe le tournant de l’adolescence ?
« J’étais jeune, j’avais de grands idéaux, je voulais partir en Iran, je me culpabilisais d’être dans un pays occidental avec toutes ces possibilités de choix de vie. »
Surtout quand le pays veut s’affranchir de l’idéologie religieuse étatique dans les mois de la révolution verte.
« Je culpabilisais de ne pas être en Iran quand je voyais le combat des femmes, je me disais « Qu’est-ce que je fais ici ? Je devrais être dans les rues de Téhéran, je devrais même être en prison. Je devrais me battre. »
Elle réalise qu’elle est aussi Belge, que si elle doit lutter, elle doit le faire dans le pays où elle vit, comme aujourd’hui à Montréal :
« Je me suis impliquée et engagée. Je suis arrivée à la conclusion qu’on peut penser global et agir local. Les mondes différents dont je suis issue font partie de mes couches identitaires. Je me suis construite hybride avec l’apport de chaque culture. »

Les femmes : s'émanciper par l'art

Elle n’est pas descendue dans la rue avec les femmes iraniennes mais là où elle vit, elle participe activement à la lutte des femmes. Son credo : l’émancipation par l’art. Son livre de chevet : "Une chambre à soi" de la britannique Virginia Woolf.
« C’est très important que les femmes aient leur espace de travail, qu’elles puissent avoir une « chambre à soi » pour pouvoir créer et pour moi, l’esprit créatif et la culture, c’est ce qui peut nous sauver. Alors que la politique nous divise, l’art et la culture nous rassemblent. »
Au centre culturel Georges-Vanier qu’elle dirige, c’est l’objectif : ouvrir l’espace et le temps de la création au plus grand nombre, de 3 ans à 92 ans (âge du monsieur qui a décidé d’apprendre le piano !) et croiser les regards.

Les membres de la petite équipe - « à nous 5 on couvre les 5 continents, par les langues et les connaissances culturelles » -  se qualifient de facilitateurs et apportent l’accompagnement nécessaire pour qu’émergent la créativité présente en chacun.e d’entre nous. Le Centre soutient les jeunes artistes et les aide à organiser l’exposition de leurs œuvres, sorte de « salon des refusés » comme le qualifie en riant Hanieh Ziaei.
« On n’est pas dans l’auto-censure, on est dans l’effacement des frontières, pour que les gens se sentent bien avec eux-mêmes et avec les autres. »

J’ai appris à ouvrir les portes du positif

Elle n’a pas voulu et elle ne veut pas, ni pour elle ni pour les autres, rentrer dans une boîte et être casée dans une chapelle. Forte de ses multiples cultures,  elle se vit citoyenne du monde.
« La Belgique, c’est la maison. L’Iran, les odeurs de l’enfance, la nostalgie qui rejaillit. Montréal, une vie très cosmopolite, dans une une métropole culturelle qui bouge beaucoup. » 

« Je me sens reconnaissante et en mode gratitude. Ce sont des valeurs qu’on a oubliées dans nos sociétés. La reconnaissance, la gratitude, dire merci, dire pardon, se dire « je suis privilégiée », ce sont des choses importantes, comme  être dans la bienveillance et être dans la bienséance. J’ai reçu beaucoup de mes parents, de mes ami.e.s, de mes rencontres, c’est à mon tour de donner. »

Hanieh Ziaei à Rennes le 9 mars

Haneih Ziaei, stimulée par sa triple culture européenne, nord-américaine et perse, a beaucoup travaillé  sur la place et le rôle de l’art et de l’artiste sous les régimes autoritaires et totalitaires. A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle est l'invitée de l'AFIB (Association Franco-Iranienne de Bretagne) le mercredi 9 mars à 18 h 30 à l'Auditorium de la Maison Internationale de Rennes (MIR) pour une conférence en visio depuis Montréal intitulée « Émancipation des femmes iraniennes à travers l’esprit créatif ». Accès libre.



L'enquête des lecteurs


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