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15/05/2025

"L'artiste du patrimoine humain" réveille nos mémoires, objets en main

Texte : Marie-Anne Divet - Photos ©Histoires Ordinaires


Une bille, une boîte de bonbons, une pince à linge... Des rues de nos quartiers aux terrasses du Mexique ou de Tunisie, les objets de la vie racontent des tas de petites histoires, celles qui tissent des liens entre les humains, entre hier, aujourd'hui et demain, entre ici et au loin, en bref les liens culturels. Adrien Lecoursonnais en a fait son métier, un métier à tisser en quelque sorte. Un art. D'historien, il est devenu "artiste du patrimoine hmain".


L'historien a fait un pas de côté, il est sorti régulièrement de ses livres pour aller chercher ce qu'ils ne disaient pas
L'historien a fait un pas de côté, il est sorti régulièrement de ses livres pour aller chercher ce qu'ils ne disaient pas
l__artiste_du_patrimoine.mp3 L'artiste du patrimoine.mp3  (11.21 Mo)

Adrien Lecoursonnais est un équilibriste. 
« Je suis médiateur culturel, je crée cette rencontre entre le public, l’art et la culture… Mais je suis aussi conteur, je mets en scène, je théâtralise, je raconte les histoires que je collecte auprès des gens et que je restitue dans des déambulations. »
Adrien aime ces petites histoires du quotidien, celles qui font, à leur manière, partie de la grande Histoire des peuples. Et encore plus quand il les met en scène, les raconte avec émotion et humour. De médiateur, il devient artiste des Arts du vivant. Il est au milieu, comme il dit, entre art et connaissance, un « artiste du patrimoine ». L’historien qu’il est, aime nous faire faire un pas de côté, là où le regard change de perspective. Il l’a fait lui-même, ce pas sur le côté, alternant études et voyages. 
« J’ai beaucoup lu, étudié, l’histoire culturelle des peuples, comment se constitue une identité bretonne, bavaroise, roumaine… Pendant mes études, je suis sorti régulièrement de mes livres pour aller regarder de plus près ce qu’il en était, en France, en Europe, au Mexique, au Canada…Chercher ce que les livres ne me disaient pas. »

"La mémoire, c'est comme une bobine de fil"
"La mémoire, c'est comme une bobine de fil"

Deux étapes importantes : Berlin et Sibiu

Il vit à Berlin quelque temps en 2013. L’idée lui vient d’organiser des visites de la ville. Mais quelle est sa légitimité ? Et quelles connaissances a-t-il vraiment sur cette capitale au passé si lourd ? Il rencontre des Berlinois francophones, il les écoute raconter leur ville, celle qui était partagée en deux du temps de la RDA. Ils parlent, les gens, ils parlent du métro qui filait à toute allure quand on passait à l’Est, du silence sur la ville quand les avions ne circulaient pas, un silence à problème…

Adrien découvre la richesse de ces histoires du quotidien, ces petites "histoires" de la Grande Histoire. Pas si petites que cela finalement. Il découvre combien cette narration faite de collectage humanise les lieux, leur donne une force qui transforme ceux et celles qui l’écoutent. Première exigence qu’il se donne pour son futur professionnel : inclure les personnes dans la narration, leur rendre la parole et en faire la manne de la rencontre.

L’année suivante, une nouvelle page de vie s’ouvre pour lui à Sibiu en Roumanie. Il travaille comme volontaire dans un éco-musée à ciel ouvert. Près de 100 hectares en pleine campagne où se jouxtent des maisons traditionnelles, des fermes et des outils. Il prend conscience que ce qu’il voit dans les salles, c’est aussi ce qu’il voit dès qu’il en sort. Il y a un lien : le musée muséifie ce passé en train de disparaître alors qu’il est toujours au présent dans la campagne environnante. Il prend conscience que les choses perdurent tout en se métamorphosant, en évoluant. 
« Faire son beurre dans la baratte ou le faire dans une bouteille plastique, cela fait toujours du beurre, dit-il en riant.  Et les chevaliers ? Il n’y en a plus depuis belle lurette. Mais à quoi jouent les gamins d’aujourd’hui ? Quand la chose a disparu, l’imaginaire prend le relais. »

A travers les objets, les gens racontent, se racontent et tissent des liens
A travers les objets, les gens racontent, se racontent et tissent des liens
De retour en France, il conjugue ses deux formations : l’histoire et la médiation culturelle auxquelles il ajoute l’art de la rue avec son talent de conteur, ses trouvailles de pédagogue et l’écoute si précieuse au collectage des histoires.

La boîte au trésor d’enfance de Dominique Bretodeau

Adrien Lecoursonnais a mille trésors dans sa poche quand il parcourt avec vous la ville ou la campagne : des osselets mais aussi des billes, des craies, des pinces à linge et bien d’autres choses encore. 
« Vous rappelez-vous de cette ancienne boîte de Bergamotes de Nancy, les trésors d’enfance de Dominique Bretodeau dans le film "Le fabuleux destin d’Amélie Poulain" ? »
Dans la boîte rouge et or, décorée de croix de Lorraine, Amélie découvre quelques billes, une figurine de cycliste, une photo de Just Fontaine, le joueur de foot, un couteau…
« Cette boîte change sa vie. Les objets sont les supports de nos souvenirs. Les "envitriner" dans un musée, ils perdent leur sens. Je me rappelle de ces deux cuillères de bois de 1680, richesse d’un musée canadien. Derrière la vitrine, on ne peut que les voir. Le musée en a fait des copies pour toucher, manipuler, causer autour de l’objet. Les liens se tissent entre les gens, ces objets du réel en main, ils racontent et se racontent, ils font un pas de côté par rapport à leur quotidien. Même une pince à linge... »
Et de raconter les odeurs de la lessive, les bruits d’eau et les bavardages d’une terrasse à l’autre lors de ses rencontres au Mexique, en Tunisie, en Roumanie… 
« Je collecte les histoires. C’est d’une grande diversité et pourtant, même si les gens parlent d’une manière différente, ils parlent bien de la même chose. L’objet a un pouvoir narratif incroyable. »
Artiste du patrimoine, un métier moderne et utile
« Au début je n’avais pas conscience de l’utilité sociale de ce que je faisais. Aujourd’hui, après dix ans d’activité, je le sais, grâce au retour des gens. »
Il aime le regard qui s’allume quand les souvenirs reviennent. Comme ce monsieur qui, lors d’une déambulation dans un quartier HLM, se saisit des osselets, sous les yeux intrigués des jeunes gens présents. Qui, aujourd’hui, connaît encore les osselets ? Après quelques tours de mains agiles pour les lancer, le vieux monsieur s’exclame : 
« "Je me suis toujours demandé  pourquoi on avait arrêté de jouer aux osselets. Je comprends à présent, je ne peux plus jouer, je me suis abimé les mains à cause du goudron". »
La déambulation que propose Adrien Lecoursonnais met en lumière des choses qu’on n’imagine pas.
« Nous sommes tellement habitués à ne pas les voir, les petites choses de la vie et les petites choses de la ville. C’est leur mise en lumière qui d’inexistantes deviennent importantes, rire ensemble, partager les souvenirs, voir autrement un bâtiment pas beau, sans nostalgie. Ce sont des moments humains très forts. »

Toutes les paroles sont écrites retranscrites sur des cartes postales, des livres, des livrets
Toutes les paroles sont écrites retranscrites sur des cartes postales, des livres, des livrets

Sans nostalgie, dites-vous, Adrien ?

« Patrimoine est associé au passé. En fait, cette mémoire que l’on retrouve dans les déambulations n’appartient pas qu’au passé, elle fait partie du présent et c’est déjà l’ébauche du futur. »
Et il raconte cette promenade dans un nouveau quartier où les immeubles ont remplacé les fermes et les prairies. Au groupe, il demande :
« Le bulldozer va passer et tout détruire. Qu’aimeriez-vous conserver pour parler d’aujourd’hui aux générations du futur ? » 
Adrien aime la richesse des réponses qui fusent.
« "Un bout de trottoir, dit l’un, c’est tellement marrant quand on est gosse de jouer au funambule !", "Un passage pour piétons, dit l’autre, jouer à saute-pied avec les bandes blanches !", "Moi, ce serait l’arrêt de bus, dit encore une autre, ils changent tellement d’année en année !" C’est du patrimoine de demain dont on cause ! » conclut-il.
Nous, les humains, on adore raconter

Il écrit, retranscrit sur des cartes postales, des livres et des livrets toutes ces paroles qu’il collecte à la campagne, sur les côtes ou dans les villes en France mais aussi en Roumanie, en Tunisie, au Mexique… 
« Les humains adorent raconter des choses de l’enfance aussi simple que "à quoi tu jouais quand tu étais petit"… ou vanter le plat si unique de leur région. »
Les mots qu’il écoute avec attention d’un pays à l’autre, il les tricote et déconstruit ses stéréotypes et les nôtres en même temps : 
« Par exemple, je ne m’imaginais pas la vie des Roumains comme cela. Pour moi, c’était corruption et pauvreté. Nos liens se créent par la différence certes mais surtout par des tas de similitudes. Dans le fond, ce que je veux, c’est éclairer nos ressemblances d’humain. »

Exercer son droit culturel

Adrien Lecoursonnais a creusé son chemin depuis dix ans. De représentation en représentation, les expositions comme décor et les livres comme archives des projets qu’il monte avec les gens, son travail est arrivé aux oreilles des institutions qui le sollicitent de plus en plus. Les musées, par exemple , qui lui demandent d’emmener les visiteurs vers un autre regard des collections. Les collectivités territoriales qui apprécient cette dimension implicative du public, complice, co-créateur, dans l’exercice de ses Droits Culturels. Il est appelé aussi à l’étranger par des institutions et il aime cela. 
« Je rencontre l’altérité, l’autre dans sa différence et dans ses similitudes et cela enrichit les projets. Les gens sont mon moteur. C’est bancal si l’humain n’est pas au cœur de la démarche. Mon vrai métier, dans le fond, c’est "artiste du patrimoine humain". »

La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels

Texte fondateur, daté de 1993, cette déclaration décline 8 droits culturels :

Choisir et respecter son identité culturelle. Connaître et voir respecter sa propre culture, ainsi que d’autres cultures. Accéder aux patrimoines culturels. Se référer, ou non, à une ou plusieurs communautés culturelles. Participer à la vie culturelle. S’éduquer et se former, éduquer et former dans le respect des identités culturelles. Participer à une information adéquate (s’informer et informer). Participer au développement de coopérations culturelles.

Les droits culturels prennent leurs sources dans la volonté affirmée, depuis l'après-guerre, de défendre l'idée de l'unité du genre humain contre les idéologies raciales si destructrices. C’est tout le sens de l'article1 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948. Chacun doit pouvoir être libre de s'exprimer notamment sous une forme artistique, libre de choisir ses pratiques culturelles, libre de ses identifications culturelles et du sens qu'il donne à son mode de vie, et d'en changer à son gré.

Plusieurs grands textes internationaux sont venus consacrer ce principe : ainsi de la convention de l’Unesco du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles) ; en France, de l'article 103 de la loi NOTRe et de l’article 3 de la loi LCAP. (Source : CHEC, Cycle des Hautes Etudes de la Culture, Ministère de la culture)

 
droits_culturels.mp3 Droits culturels.mp3  (1.69 Mo)






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