29/10/2025

Antoine Marin, semeur de graines d’espoir et de souveraineté

Texte et photos : Tugdual Ruellan


Depuis la nuit des temps, on sème, on récolte, on sélectionne et on échange des graines… en toute liberté. Aujourd’hui, cinq des géants de la chimie dans le monde voudraient s’approprier ce qui était jusqu’à il n’y a pas si longtemps, un bien commun de l’humanité : les semences que nos ancêtres nous ont léguées. Antoine Marin a quitté l’Inra pour devenir artisan semencier et créer il y a deux ans, « Le jardin des papillons »… pour que vivent les semences paysannes adaptées au centre Bretagne.


Antoine Marin, devenu artisan semencier à Trémargat dans les Côtes-d'Armor.
Derrière sa longue barbe, Antoine Marin, 51 ans, ne cache pas son émotion. Debout, au bord du champ de lentilles, semées par Léa et Morvan Le Coz, paysans bio à la ferme de Bodinel à Lanrivain (Côtes d'Armor), il contemple, satisfait, les petites graines qui ont germé pour devenir plantes nourricières. Tous trois les ont patiemment récoltées, fait sécher et conservées jusqu’à les semer à nouveau. Antoine en est persuadé : la semence paysanne est la source de notre souveraineté alimentaire.

Le sacro-saint catalogue officiel des variétés

Les semences paysannes, un bien commun de l'humanité.
C’était jusqu’alors une évidence. Paysannes et paysans de tous les terroirs du monde cultivaient leur terre et produisaient leur propre semence. L’agro business a pris le dessus. Aujourd’hui, pour être mise en vente, la moindre graine doit figurer au registre en vigueur nommé le catalogue officiel des variétés. Les neuf mille variétés françaises qui y sont inscrites appartiennent en grande partie à cinq multinationales, leaders de la chimie : Bayer, Limagrain, Pioneer, Syngenta et… Monsanto ! En sélectionnant et en croisant ces variétés paysannes anciennes, ils ont créé des lignées pures dites « modernes » sur lesquelles ils ont souvent un droit de propriété. En dehors de ce catalogue, les agriculteurs ne sont pas autorisés à commercialiser d’autres types de semences depuis un décret, publié le 18 mai 1981 (et signé quelques jours avant par Pierre Méhaignerie, alors ministre de l'Agriculture), « interdisant la commercialisation et la vente des semences non inscrites au catalogue officiel ». Résultat, note la fondation GoodPlanet, « les trois quarts de notre alimentation sont issus aujourd’hui de seulement douze espèces végétales et cinq espèces animales ».
 
« Depuis longtemps et avec une accélération au  XXe siècle, l’Etat a exterminé quasiment toutes les cultures indigènes de France entretenues depuis la nuit des temps par des communautés paysannes. Langues, chants, danses et autres traditions locales ont ainsi disparu comme la multitude des fonctionnements collectifs. Dans son livre « Tristes campagnes », paru en 1973 aux éditions L'Echappée, Bernard Charbonneau parlait d’ethnocide. Quelques traces survivent aujourd’hui grâce à des réseaux militants mais elles sont grandement menacées.

Même si un agriculteur peut re semer sa propre récolte, il est souvent  contraint d’acheter ses semences
à un semencier après avoir payé une taxe appelée Contribution volontaire obligatoire. La plupart du temps, il s’agit de graines hybrides F1 ou d’OGM, organismes génétiquement modifiés, difficilement ou non reproductibles, fabriquées en laboratoire ou dans des entreprises de sélection « high tech ». Tout est fait pour le contraindre, le rendre dépendant pour qu’il rachète à nouveau ses semences chaque année. »

Après l’étude des protéines, le bol d’air dans les fermes

Aux côtés de Morvan Le Coz, paysan bio à la ferme de Bodinel à Lanrivain (22).
Plusieurs citoyens, scientifiques, paysannes et paysans s’insurgent avec lucidité et certitude contre cette mainmise économique et purement financière, mettant à mal l’agriculture paysanne qui pourtant, nourrit encore aujourd’hui la plupart des habitants de la planète. Comme Antoine Marin, aujourd’hui paysan artisan semencier à Trémargat dans les Côtes-d’Armor. Après avoir étudié la biologie et la biochimie, il défend une thèse en bio-informatique, l’informatique appliquée aux problématiques de biologie. Il n’a que 26 ans lorsqu’il intègre l’Inra, Institut national de la recherche agronomique, institut de recherche public qui, selon la définition officielle, œuvre « pour un développement cohérent et durable de l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. » Sa mission ? Mettre la science et la technologie « au service du développement de l'agriculture en améliorant les techniques de production ».
 
« Après trois ans de thèse, j’ai ensuite consacré quatre autres années de recherche sur la thématique de la modélisation de la structure des protéines. Mais je sentais que quelque chose n’allait pas... Mon corps avait besoin de bouger et non pas, de rester cloué derrière un ordinateur toute la journée. Je prenais également conscience de cette problématique mondiale avec ces inégalités autour de l’alimentation, de l’agriculture « moderne », ultra-mécanisée, de cette partie de la population que représentent les paysans, toujours parmi les plus pauvres du monde, esclavagisés sous une forme ou sous une autre. »
 
A 33 ans, il demande une disponibilité pour « convenance personnelle » comme la fonction publique l’y autorise et quitte la région parisienne qu’il habitait depuis vingt-cinq ans, pour un périple à vélo, de fermes en fermes.
 
« Je voulais me former sur le tas, apprendre autrement auprès des paysans et des paysannes à m’occuper des bêtes et des plantes. Mon idée était de partir quatre ans et j’ai divisé le territoire en quatre. J’ai commencé la première année par le Sud-Ouest, la seconde dans le Sud-Est. Mais en Ardèche, j’ai rencontré ma compagne (nous sommes aujourd'hui séparés). Nous avons eu deux enfants et mon voyage s’est trouvé freiné ! »

Rencontre avec la Bretagne et Véronique Chable

En 2008, tous deux créent alors un collectif avec des ami.e.s autour de jardins potagers dans des terres de déprise agricole, soutenu par Kokopelli, « fer de lance de la préservation et de la distribution de graines et de plants biologiques, libres de droits et reproductibles ». Ils prennent vite goût au jardinage et s’intéressent aux semences, en lien avec des acteurs du réseau des Semences paysannes en Ardèche. Ne pouvant acheter de terres en Ardèche, le couple et leurs deux enfants s’installent en Bretagne en 2012. Ils rejoignent l’initiative en agroécologie de l'Oasis de Pen Hoat  à Kergrist-Moëlou dans les Côtes-d’Armor, reliée au réseau Terre et Humanisme en Ardèche. Antoine prend également contact avec l'association Kaol Kozh   (Vieux chou, en breton) pour le développement des semences paysannes en Bretagne et de Triptolème à la Vraie-Croix (Morbihan), une association qui rassemble paysans, meuniers, boulangers, chercheurs et consommateurs militants. Il entre alors en contact avec Véronique Chable, chercheuse à l’Inra à Rennes (lire article paru le 16/10/2023 sur Histoires ordinaires).
 
« Elle menait une démarche remarquable pour remettre au goût du jour les semences paysannes et reprendre la sélection paysanne en plein champ.  Elle était parvenue à faire reconnaître – tant bien que mal - son travail au sein de l’Inra. Or, les semences paysannes sont sélectionnées dans le champ des paysans depuis la nuit des temps ! Ces variétés de populations sont à l’opposé des lignées pures de la sélection moderne, qui elle est faite en laboratoire, dans les stations d’essai ou chez les semenciers de l’agro-business. De son côté, l’Inra consacre aujourd’hui la très grande partie de son travail sur les biotechnologies et toutes les autres « high tech », démarches qui polluent la planète et détruisent les peuples qui y vivent. »

Retour à l’Inra, espoir déchu

En 2016, Véronique Chable propose à Antoine de réintégrer l’Inra à mi-temps pour travailler à ses côtés sur les semences paysannes. Antoine accepte. Pendant sept ans, à mi-temps avec ses enfants, il va côtoyer des paysannes et des paysans qui souhaitent réapprendre et acquérir à nouveau cette compétence pour redevenir autonomes mais aussi, pour obtenir une semence adaptée à leur sol et au contexte pédoclimatique, contrairement aux semences modernes standardisées. Mais Antoine se trouve à nouveau en décalage avec l’institution.
 
« Les semences paysannes et l’autonomie des paysans ne sont pas du tout une priorité à l’Inra. Il y a bien sûr la pression de l’agro-business mais il y a surtout celle de la société tout entière fondée sur l’idée que les technologies « sauveront le monde » alors que ce sont elles qui le détruisent. La biotechnologie avec les organismes génétiquement modifiés, la robotisation, le big data...
Les jeunes agriculteurs ne voient plus actuellement que par les drones pour ensemencer leurs champs et par les robots pour gérer leur exploitation. Je ne suis pas idéologiquement contre les technologies mais je ne peux cautionner ce prix énorme à payer derrière les machines, qu’il soit énergétique, environnemental ou humain. »

Aujourd'hui artisan semencier et formateur pour partager

Apprendre à cultiver, de la graine à la graine.
En 2024, Antoine quitte l’Inra (devenu Inrae en 2020) et crée à Trémargat, le « Jardin des papillons ». Sur un champ de 400 m², il lance sa propre production de semences paysannes, en lien avec d’autres artisans semenciers et un groupement de producteurs, Graines de liberté, initiative lancée par Emmanuel Antoine dans le pays de Quimper (lire article  paru le 24/03/2021 sur Histoires ordinaires).

Dans son panier, s’égrènent déjà une douzaine d’espèces et de variétés anciennes et variétés de populations, surtout potagères : carotte jaune du Doubs, betterave crapaudine, petits pois à cosses violettes, haricots tarbais ou black turtle, oignon en forme de poire, poireau bleu de Solaise, potimarron red kury, trompes d’albenga et quelques fleurs, pavots violets, coquelicots, calendula… Sa sélection possède une spécificité, celle de  pousser en semis direct en plein-champ en centre Bretagne évitant ainsi la culture sous serre plus coûteuse , énergivore et contraignante. La production est modeste mais de qualité, d’autant qu’Antoine ne commercialise ses semences qu’en proximité, sur les marchés, transmettant son catalogue par courrier aux personnes intéressées. Il propose aussi un accompagnement d’expérimentations et développe en parallèle des formations destinées aux jardiniers et maraîchers, pour apprendre à cultiver, de la graine à la graine.
 
« Avec mes compétences acquises en sélection et en reproduction de semences paysannes, je souhaite aujourd’hui en faire profiter un maximum de personnes. La semence paysanne, ce n’est pas qu’une graine, c’est aussi la manière de la cultiver, de la consommer, de la préparer et de la conserver, c’est la rencontre avec les gens… Non, je n’ai pas l’intention de changer le monde ! Peut-être juste… de semer ma petite graine. »
 
Antoine Marin : antoinemarin@free.fr
Voir aussi :  "Les bonnes graines de Bernard Jouan, chercheur-paysan sans frontières" 
 


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