27/03/2023

​Douarnenez se bat pour Mortaza, l'ami journaliste en prison à Kaboul

Reportage : Michel Rouger


Les Bretons, dit-on, sont les plus xénophiles des Français. Une chose est sûre : les Douarnenistes sont les plus xénophiles des Bretons. Depuis 45 ans, toutes les minorités de la planète y sont accueillies, fin août, au Festival de cinéma. Des gens d’ailleurs posent volontiers leur sac au port du bout du monde, trouvent une autre famille, une autre patrie. Ainsi Mortaza Behboudi. Le follement sympathique Mortaza. Le jeune journaliste afghan doué et ’intrépide. Il est en prison à Kaboul depuis le 7 janvier. Alors Douarnenez manifeste, écrit, partage, hashtague. #FREEMORTAZA.


Le dimanche 12 mars, deux-cents personnes se sont rassemblées sur la plage du Ris

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Mortaza Behboudi est emprisonné à Kaboul mais il est là aussi, à table, ce midi, dans un appartement coloré du centre-ville, avec Caroline Troin, Laurence Ansquer et Gérard Alle, trois amis proches, trois chevilles ouvrières de la mobilisation. Les mots se bousculent, racontent sa vie ardente. Tout a commencé pour eux en août 2016. Mortaza débarque au Festival. Il a 22 ans, il est envoyé par la Maison des Journalistes, à Paris, qui l’a accueilli après des semaines d’errance lors de son arrivée l’année d’avant  en France. Ils sont bluffés.

« Une capacité incroyable à entrer très vite en empathie »

Lors d'un festival du cinéma
Aussitôt, il se fait bénévole sur le Festival, discute avec tout le monde. Ils découvrent qu'il a appris le français en quelques mois, qu'il connaît une demi-douzaine de langues. Qu'il « a une capacité incroyable à entrer en relation, à entrer très vite en empathie. » Il joue avec la fille de Laurence, va des uns aux autres :  «​ Il y a chez lui une volonté, une vitalité, un truc, qui le pousse à aller au contact des gens. »

L'exil, qui l'accompagne depuis son enfance, semble avoir nourri chez lui une énergie vitale, une insatiable curiosité et une soif profonde de liberté. Le petit afghan exilé à Ispahan en Iran, qui bossait dans une usine de tapis à 9 ans, se fait reporter photo à 15 ans, couvre la "Révolution verte" de 2009, est arrêté. Reparti en Afghanistan, il crée à 20 ans le journal Daily Bazar, y relate le trafic d'opium, est menacé. A 22 ans, il est arrêté, frôle l'exécution. Il fuit à Paris.

Depuis, il a bourlingué dans trente à quarante pays, a reçu en 2022 le prix Bayeux des correspondants de guerre. Découvrez ce Tintin afghan sympa et sans peur en suivant les quelques liens réunis au pied de ce reportage. Mais revenons d'abord à Douarnenez, comme il l'a fait souvent, disons  «​ trois ou quatre fois par an. » 

« Il veut aller vite, prendre une revanche sur la vie »

Caroline Troin (à g.) : populaire auprès des jeunes
Des moments où sa popularité, à chaque fois, grandit. Surtout auprès des jeunes. Caroline Troin l'embarque dans les ateliers scolaires de l'association Rhizomes qui ouvrent les élèves de primaire, lycée ou collège à la diversité culturelle, à l'Autre. Avec Mortaza, c'est fort. « Il témoigne de son vécu de journaliste, migrant, réfugié avec beaucoup de vitalité et d’humour, intarissable. »

En même temps, c'est un bon vivant. Il aime les mots bretons et le kouign amann, s'initie à la cuisine bretonne autant qu'il partage les plats afghans. Il aime goûter le vin : « C'est le premier œnologue afghan ! » Ne déteste pas la farce. Pourraient en témoigner depuis Ispahan sa mère, femme au caractère joyeux et son père, le poète contraint de bosser dans le bâtiment : « Aux Gras, en 2021, il s'est déguisé en femme et les a appelés sur WhatsApp : “Enlève ça mon fils !” »

Par dessus tout, c'est un fonceur. « il est généreux, n’a pas les dents qui rayent le parquet mais il veut aller vite, prendre une revanche sur la vie, il sait d’où il vient. »  Il enfonce donc les barrières, pousse les portes de la Sorbonne, de Mediapart et autres grands medias, s'achète le meilleur matériel, pas pour briller : pour agir, témoigner. Et quand le fondu de cinéma fidèle chaque année à Cannes, s'en va sur la Croisette en 2021, c'est d'abord pour présenter son film Moria au bar“Le Petit Magestic”.

« Raconter pour ceux qui ne peuvent s'exprimer »

Laurence Ansquer, productrice de Moria
Moria, le grand camp de migrants, la "prison à ciel ouvert" de Lesbos. Il était déjà allé à Riace, la petite ville calabraise modèle d'intégration à l'élan brisé. Il a toujours « besoin de revenir en arrière et en même temps de raconter pour ceux qui ne peuvent s'exprimer. » En plein Covid, guidé par un humanitaire jésuite de la même trempe, Maurice Joyeux, et avec une collègue, Laurence Monroe, il recueille des paroles pétries de désespoir et s'emploie à les partager.

Le voilà ensuite au Groenland, cette fois sur l'environnement. Il ne le sait pas mais une flamme l'attend au froid pays. Il loue un vélo et tombe amoureux de la loueuse, Aleksandra, étudiante en architecture. "Je vais te montrer Paris", lui-dit-il. Elle découvre surtout Douarnenez... Mais aussi l'Afghanistan bien sûr. Au printemps 2021, ils s'envolent tous les deux pour Kaboul. Elle donne des cours d’anglais aux petites filles pendant que lui enquête. 

L'été suivant, c'est le coup de massue. Kaboul tombe, les Taliban s'emparent de nouveau de son pays. Mortaza « en parle peu ». Il semble tout autant marqué quatre mois plus tard par le naufrage en Manche de vingt-sept migrants, envoyés à la mort par les louvoiements des secours français et britanniques.

Ausstôt, à Douarnenez, cent personnes se réunissent

Sur la plage, 200 personnes forment un hashtag (vue d'un drone)
Il repart plusieurs fois en Afghanistan comme fixeur pour France Télévisions. Mais les Taliban remarquent bien les reportages qu'il signe aussi, par exemple avec Rachida El Azzouzi sur Mediapart au sujet de la drogue, la famine ou la scolarisation des filles. En décembre dernier, il emmène Aleksandra à Ispahan rencontrer ses parents. Le 5 janvier, il repart à Kaboul. Le 7,  quand il vient chercher son accréditation, le journaliste Mortaza Behboudi, qui est aussi français depuis 2020, est arrêté et jeté en prison. Grief classique : espionnage.

Pourquoi défier ainsi les Taliban ? « Ça peut paraître fou mais c’est une histoire de conviction pour lui, c’est vital », poursuivent ses amis. Aussitôt alerté, Reporters sans frontières tente des tractations secrètes puis divulgue  l'information le 6 février. Aussitôt, Douarnenez se mobilise. Une centaine de personnes se retrouvent en fin d'après-midi devant la mairie, davantage qu'à Paris. Ils connaissent Mortaza, ils ne vont pas le laisser tomber. « On a besoin de vous, dans ces cas-là, il est bon d'avoir un ancrage local », leur dit RSF.

Pendant que l'ONG, suivie par quatorze grands médias, s'active, lance une pétition, interpelle le gouvernement et l'ONU, le comité de soutien placarde des photos en ville, informe les jours de marché, dans deux boutiques, une galerie d'art, lance une campagne de cartes postales, relaie la pétition, fait adopter un vœu du conseil municipal. Le dimanche 12 mars, deux-cents personnes se rassemblent sur la plage du Ris et forment un impressionnant #FreeMortaza.

« La solidarité fait partie de l’identité de Douarnenez »

Gérard Alle : "Le festival a enfanté un esprit"
Solidarité douarneniste. Dans les rues, le visage de Mortaza renvoie en miroir celui de la ville. Le Festival de cinéma, rendez-vous depuis 45 ans des minorités en lutte dans le monde, a été « un moteur, il a enfanté un esprit, des initiatives, des associations, mais la solidarité fait partie de l’identité de Douarnenez, il y a une histoire, une tradition, un truc qui s’est construit. »

Il y a une culture sociale liée à la pêche bien sûr, les souffrances, les révoltes, la force du communisme trois-quarts de siècle durant, la résistance à la pêche industrielle... Et revient toujours la grande grève de 1924, le patrimoine des sardinières à l'honneur encore au prochain festival de fanfares La Vie en Reuz les 27 et 28 mai prochains. Ainsi, aujourd'hui, « Le terrain est labouré, la vie associative très forte, sur  le social, la culture. On se mobilise très vite, sur l’hôpital, la pêche »... ou pour Mortaza.

Préparer les 100 jours en espérant...

Bien sûr, cette image de "cité rebelle" les « irrite parfois : il y a un côté image d'Epinal, la ville vote à gauche aux élections nationales mais localement à droite... » Le paradoxe n'est pas vraiment issu de celui des sardinières de 1924, rouges et chrétiennes, chantant "Je suis chrétien voilà ma gloire" à l'église et "L'Internationale" aux halles. Une siècle a passé. Mais la tradition de solidarité demeure : celle déployée pour Mortaza le prouve avec bien d'autres.

Aujourd'hui, le comité de soutien s'organise pour tenir dans la durée, le combat pourrait être long. Il projette des moments culturels, de faire tourner le film Moria. Dans l'immédiat, tout en faisant signer la pétition de RSF, il prépare une action pour les 3 mois, le 7 avril, puis un rassemblement de cerfs-volants plage du Ris avec les ateliers scolaires neuf jours plus tard, le 16, pour les 100 jours. 

Un jour, sûrement, il faudra préparer le retour de Mortaza. Avec Aleksandra. « Il veut se marier ici. » Bien sûr qu'il se mariera à Douarnenez, son autre coup de foudre.

Michel Rouger

(Photos : comité de soutien)


 


POUR EN SAVOIR PLUS SUR MORTAZA BEHBOUDI ET SES SOUTIENS


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