06/04/2017

Un million de pauvres en plus depuis 10 ans… C’est intolérable !

Une interview de Christophe Robert, délégué général Fondation Abbé Pierre


La Fondation Abbé Pierre lance à nouveau un cri d’alerte : « un million de pauvres en plus en dix ans… C’est intolérable ! » s’exclame le délégué général, Christophe Robert. Pourtant, des solutions existent pour éradiquer la pauvreté. A la veille des élections présidentielles, la fondation adresse aux candidats son plan «Objectif 0 Sans domicile» : six mesures pour en finir avec la vie à la rue d’ici à cinq ans dans les petites et moyennes communes, d’ici à dix ans dans les grandes villes.


C.Robert.mp3  (12.72 Mo)



Cette interview mensuelle est réalisée en lien avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE . Retrouvez ci-dessous, après l'article, les thèmes sur l'exclusion analysés par nos précédents invités.

Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre - crédit photo ©DRFAP.
Plus de 2 000 personnes meurent de la rue chaque année en France, en moyenne à 49 ans, estimez-vous. L’augmentation du nombre de personnes sans domicile est alarmante. Que faire ?
Il y a d’abord un enjeu majeur autour de la construction : on manque en France de logements dans les territoires actifs, les métropoles et les grandes villes ce qui crée de très fortes tensions sur le marché. Les prix des logements sont la plupart du temps inaccessibles aux personnes en difficulté. Pendant ce quinquennat, il y avait un objectif de construire 500 000 logements par an. Il n’a pas été atteint ! Il y a un autre enjeu autour de la rénovation de logements -notamment thermique- et de la réhabilitation du parc locatif. Depuis la loi de transition énergétique, mise en application au 1er janvier 2017, il y a un objectif de 500 000 rénovations thermiques par an mais beaucoup reste à faire pour l'atteindre. Bien sûr, certains candidats à la présidentielle ont exprimé leur intention de travailler à ces objectifs mais nous ne savons rien des moyens financiers qui vont y être consacrés.
 
Désenclaver certains quartiers dits « populaires », ouvrir la ville… La situation a-t-elle évolué ?
Voilà des décennies que la ville se spécialise, s’organise spatialement, se ghettoïse et contribue à exclure. Des quartiers sont ainsi devenus des zones d’accueil de familles modestes sur lesquelles bien sûr se concentrent les difficultés : un nombre important de bénéficiaires du RSA, de la CMU, un taux de chômage élevé, parfois 40 % chez les jeunes dans certains quartiers… C’est là un enjeu considérable pour la cohésion de nos territoires. Nous devons agir pour permettre aux populations qui habitent dans ces quartiers, de vivre convenablement, de pouvoir s’y épanouir, prolonger un parcours social ou résidentiel.

En même temps que l’on attire l’attention sur la nécessité de construire et rénover des logements, nous incitons aussi les candidats à réfléchir à l’offre scolaire, aux modes de transport, à la présence de tous les services publics, à un accès satisfaisant aux soins… Tous ces enjeux sont insuffisamment présents dans le débat actuel autour des élections présidentielles. Il y a un risque majeur de clivage entre les territoires dont certains sont totalement abandonnés.

Objectif 0 sans domicile fixe, c'est possible !

La fin de la trêve hivernale a sonné le 31 mars dernier. Qu’en est-il des expulsions locatives ?
Les dernières statistiques disponibles de 2015 révèlent une augmentation de 24 % des expulsions. Cet enjeu de la main tendue, de la recherche de solutions durables aux problèmes que rencontrent les personnes sans logement, non logées ou très mal logées, est aussi insuffisamment traité. Pourquoi ne pas assurer une prévention plutôt que de punir ? On ne résout rien en expulsant : bon nombre d’acteurs le savent y compris les administrations. Il y a quatre millions de personnes mal logées parmi lesquelles nous observons une augmentation inquiétante du nombre de personnes sans domicile fixe : plus 50 % en dix ans, entre 2001 et 2012 ; 143 000 personnes, dont 30 000 mineurs, sans doute encore plus aujourd’hui.
 
Vous lancez votre plan «Objectif 0 SDF». Quel est son fondement ?
Depuis une quinzaine d’années, nous répondons aux situations difficiles par des réponses d’urgence, en augmentant l’hébergement d'urgence, le recours aux places d’hôtel, chères et insatisfaisantes. Il n’y a pas eu suffisamment de transformation structurelle en amont pouvant apporter des réponses durables aux personnes. Nous préconisons un accès direct au logement qui place la personne en position d’acteur, de citoyen responsable. Ce changement de logique d’intervention, on n’arrive pas à le faire passer. Nous voudrions, à l’occasion de ce nouveau quinquennat, que le futur président s’engage dans cette dynamique. A ce stade, c’est encore la quincaphonie et nous ne savons pas quelle réponse va être apportée. Mais nous ne lâcherons pas cette idée. Notre rapport présente dans le détail, de nombreuses initiatives qui ont fait leurs preuves tant en France qu’à l’étranger. Ainsi à Vienne, en Autriche, une association a mis en place, en partenariat avec la municipalité, un service social spécialisé dans la prévention des expulsions (Fawos) : entre 75 % et 80 % des personnes peuvent ainsi être aidées sans être expulsées. La Finlande, avec sa politique du « logement d’abord » (Housing First) ou la France, avec l'expérimentation "un chez soi d'abord", prouvent que, même pour des personnes très en difficulté, souffrant de dépendances, en situation de handicap psychique, l’accès direct au logement est possible avec éventuellement un accompagnement social.

La nécessaire mobilisation de la société civile

Vous affirmez donc qu’il est possible que plus personne ne dorme à la rue ?
Oui. Nous avons suffisamment capitalisé pour savoir que c’est possible. La fondation, grâce à la générosité de ses donateurs, a su capitaliser, expérimenter, analyser les initiatives, vérifier leur pertinence auprès des personnes et de l’ensemble de la société, pour apporter des préconisations réalistes, en connaissance de cause des blocages institutionnels, des limites de l’intervention publique, des possibilités de partenariat et des moyens financiers. Nous savons ce que ça produit. En moins de 10 ans dans les zones en tension et en moins de 5 ans sur les autres territoires, on peut régler le problème des personnes sans domicile et d'une partie des mal-logés.
 
Jamais vous n’avez eu ce discours aussi offensif…
Non et le mouvement est dynamique autour de cette conviction. Nous soutenons de nombreuses associations, qui luttent contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et c’est au côté d'elles que nous proposons ce plan. La Fédération des acteurs de la solidarité, l’Agence nationale de solidarité active et une trentaine d’associations qui interviennent sur le logement et l’hébergement, réunies dans un collectif, portent aussi cette dynamique et souhaitent rendre opérationnel ce plan d’action. Je suis persuadé que nous ne ferons pas bouger suffisamment nos politiques, gouvernants et décideurs sans une mobilisation de la société civile. Un grand nombre d’instances institutionnelles comme le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la délégation interministérielle à l’hébergement et l’accès au logement et autres administrations savent que ces préconisations sont justes et fondées.
 
Propos recueillis par Tugdual Ruellan.

Pour aller plus loin :
 
Lancement du plan «Objectif 0 SDF»
La Fondation Abbé Pierre a présenté le 3 avril 2017 son plan «Objectif 0 SDF», destiné aux candidats à l’élection présidentielle afin qu’ils agissent dans les meilleurs délais après le scrutin. Le document  dévoile six mesures qui doivent permettre «d’en finir avec la vie à la rue» d’ici à cinq ans dans les petites et moyennes communes, et d’ici à dix ans dans les grandes villes. 
A télécharger en cliquant sur ce lien .
 
L’état du mal-logement de la Fondation Abbé Pierre
La 22e édition du rapport annuel sur l’état du mal-logement de la Fondation Abbé Pierre dessine le portrait d’une France fracturée par la crise du logement. 4 millions de personnes sont sans abri, mal logées ou sans logement personnel. Outre ces situations les plus graves, 12,1 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement. Effort financier excessif, précarité énergétique, risque d’expulsion locative, copropriétés en difficulté, surpeuplement... au total, sans les doubles comptes, près de 15 millions de personnes sont touchées, à un titre ou à un autre, par la crise du logement. À bien des égards, pour les pauvres, les classes populaires et moyennes, la situation tend à s’aggraver, en particulier depuis la hausse des prix de l’immobilier des années 2000 et le déclenchement de la crise économique en 2008.
A télécharger en cliquant sur ce lien .
Synthèse ICI.
 

 


Dans la même rubrique