14/02/2019

Pour Gildas Trévetin, les mots sont une arme


Gildas Trévetin est infirme moteur cérébral. Il parle très difficilement mais des mots, il a fait une arme. Il a écrit plusieurs livres. C'est Marie-Claude qui tape ses phrases. Marie-Claude pour laquelle chaque mot sur le clavier est aussi une victoire. Dans un ouvrage publié par Histoires Ordinaires, Gildas Trévetin raconte aujourd'hui ses combats de jeunesse qui n'ont en fait jamais cessé, pour faire reconnaître quotidiennement son droit à l'autonomie.



" SI VOUS NE M'AVEZ PAS COMPRIS... FAITES-MOI RÉPÉTER ! "
 
Le titre résume bien et l'auteur et l'ouvrage : Gildas Trévetin n'est pas homme à tourner autour du pot. Dans la vie comme au fil des quelque 180 pages de son dernier ouvrage où il nous raconte ses Mémoires de jeunesse, en d'autre termes ses souvenirs de combats.

C'est "La biographie d'un jeune homme qui ne veut pas être réduit à son handicap", ."Un manifeste pour le droit à l'autonomie", expliquent les Editions. Gildas Trévetin, qui fêtera ses 70 ans au printemps prochain, revient pour nous sur sa jeunesse. Avec la complicité de son ami Alain Jaunault, il ressuscite les mots qu'il avait jetés, avec rage souvent, jusqu'à ses 37 ans. On le revoit  élu municipal, militant politique à l'UDB, militant associatif, animateur radio..., " défendant becs et ongles sa place à part entière dans une société bloquée par l'ignorance", comme l'indique la 4e de couverture.

Ces mots sont "les témoins d'une histoire qui n'est pas terminée, celle de la lutte pour la dignité des personnes en situation de handicap." Celles-ci auront encore longtemps besoin de lutteurs comme Gildas Trévetin. 

Le livre est disponible sur la librairie d'Histoires Ordinaires. Prix : 15 € ( + 3,44 de frais de port)
 

RETOUR SUR UNE RENCONTRE POUR HISTOIRES ORDINAIRES EN FÉVRIER 2011

Gildas dicte, Marie Claude tape.
Quand nous sommes arrivés à l'appartement, au pied d'un petit immeuble de Lorient, ils nous attendaient à la table, dans leur fauteuil roulant, là où ils refont le monde, débattent, écrivent, malgré les muscles rebelles qui refusent de lâcher les mots de Gildas et freinent le rythme de Marie-Claude sur le clavier.  

Avec Alain, l'un de leurs vieux amis, nous allions parler de la passion de Gildas Trévetin: les mots. Les mots pour combattre. Une grande histoire née un jour de 1957 au sanatorium de Kerpape, près de Lorient, l'ancêtre du centre de rééducation.

«"Il lit !" Je lisais ! »

Ce jour-là,  dans une pièce, une institutrice fait la classe à quelques élèves. Un gamin de 8 ans est posé par terre, à l'écart, grabataire et idiot, suppose-t-on. Gildas:  «On disait  "Qu'est ce qu'on va pouvoir faire avec un phénomène pareil?" Un médecin m'a dit ça des années après...  Et puis, un élève qui lisait au tableau a buté sur un mot. Dans mon coin, j'ai fait signe: "Moi je sais". L'institutrice a mis le mot au tableau. Il lit! Je lisais! »

C'est parti pour une longue conversation. « Si vous ne m'avez pas compris, faites-moi répéter », a prévenu Gildas, comme il le fait toujours. Donc, l'institutrice de Kerpape raconte l'évènement chez elle. Son mari, lui-même instituteur, bricole une machine à écrire. Gildas doit utiliser une tige de fer pour atteindre les touches. Pas commode! Mais le fils des petits paysans de Langonnet a la rage de lire, écrire, apprendre: il franchit le cours moyen, la 6°, passe son adolescence le nez sur les livres et sur sa machine. À 21 ans, il décroche son brevet. 

« Dès ce moment-là, j'avais envie d'écrire, je voulais  être journaliste. Quand je lisais les journaux, je me disais: "Pourquoi vous ne parlez pas des vrais problèmes?". J'étais angoissé par rapport à l'avenir. J'étais destiné à vivre dans des foyers pour handicapés, des hospices. Je mangeais à ma faim mais je n'étais pas dans la vie. »

Ambiance au foyer

Le temps de la relecture.
À Kerpape, d'ailleurs, on ne sait pas quoi faire de lui. On finit par lui trouver un foyer de l'APF, l'Association des paralysés de France, à Parthenay, dans les Deux-Sèvres. « J'ai hésité mais être condamné, en restant, à faire la quête... Je suis parti là-bas et au bout de deux ans une demoiselle est arrivée, voilà... »

La demoiselle, c'est Marie-Claude. Le jeune IMC et la jeune polio s'aiment... et créent l'animation. Marie-Claude:  « Il y avait beaucoup de personnes âgées. On n'était qu'une dizaine de jeunes sur soixante. Forcément c'est nous qui mettions l'ambiance, même sans le vouloir. »  Gildas acquiesce, essaie de glisser un mot, Marie-Claude poursuit. Un couple normal...

Au foyer de Parthenay, Gildas prend des cours par correspondance d'anglais, de français, d'histoire, et songe à passer le bac. En même temps, il écrit, écrit, rudoyant ses doigts sur la machine à écrire. Il observe la société qui l'entoure et entame un premier livre. Pendant quatre ans, il vit avec ses mots et Marie-Claude. Et puis, le directeur de Kerpape, travaillant à insérer les handicapés, l'invite à revenir.

«L'obole des uns et la condescendance des autres »

En 1977, il rentre en Bretagne avec le manuscrit d'un premier roman:  « La moisson des incertitudes. » « J'ai voulu le faire éditer, j'ai même passé un exemplaire à Per Jakez Hélias, il ne me l'a jamais rendu. Après, j'ai essayé d'écrire ma petite biographie. Son titre  était: "Si vous ne m'avez pas compris, faites-moi répéter." Elle n'a pas été éditée non plus! » Cette bio,  il faudrait la reprendre et la publier...

Gildas  Trévetin, alors, s'installe dans la vraie vie, à Lanester. Pas simple l'atterrissage. Il habite un petit lotissement encore en chantier, sans rue goudronnée ni téléphone. « Pour faire mes courses, je ne pouvais pas me déplacer facilement! » Car Gildas veut faire comme tout le monde. Et on va vite s'en apercevoir à Lorient. 

Dès mars 1977, l'agitateur en fauteuil roulant attaque la fameuse Journée nationale des handicapés: « Pourquoi ces associations font-elles la quête? L'aumône a-t-elle amélioré la situation d'un groupe de personnes par le passé?  Les handicapés sont-ils des pauvres? Les pauvres de la société?  La CHARITÉ HUMILIE. Et elle encourage les préjugés selon lesquels le handicapé n'est qu'un pauvre qui se contente de l'obole des uns et de la condescendance des autres. »

Des manifestants en fauteuil devant le cinéma

De longs moments de discussion.
Cette descente en flamme est là, sur la table, parmi les journaux et les papiers dactylographiés. Le fauteuil de Gildas Trévetin a vite fait, alors, de rouler vers la machine pour quelques attaques frontales. Gildas, qui siège aussi au conseil d'admininistration de la MJC de Lanester, entame notamment, le 3 mars 1979, une fronde qui va faire du bruit dans Lorient.

« J'aimais le cinéma. Un jour, je voulais aller voir un film qui venait de sortir, "Et la tendresse? Bordel !"» Il passe au Zen, le nouveau complexe tout neuf, dans la salle 3... en haut d'un escalier. Gildas demande de l'aide. Le contrôleur s'oppose. Gildas se fait rembourser et repart. Mais  le contrôleur n'est pas quitte. Les muscles de Gildas sont rebelles et têtus, son esprit aussi.

Le soir du 1er mai, il revient au Zen. Le film passe aussi, pas de chance, à la salle 3. Nouveau blocage. Le ton monte. Gildas s'énerve. Malgré l'aide d'amis, il s'en va, écœuré... et revient le 6  pour revoir le contrôleur.  Dialogue encore impossible. Alors, le 31 mai, à 20 h 30, plusieurs dizaines de handicapés entourés de kinés, ergothérapeutes, éducateurs, jeunes de la MJC, amis, manifestent devant le Zen. La presse s'en empare.

Des vacances en 4L, une émission à la radio, élu à la ville...

Chez lui, à sa machine, Gildas Trévetin raconte. Sur la feuille datée de juin 1979, on peut lire: « Une journée de quête ou une collecte de vieux vêtements n'ont jamais dérangé les personnes bien installées dans la société; par contre une "action sociale" résolue suscite des réflexes de mépris dissimulés parfois par une belle parade de commisération. »

Le jeune couple multiplie les actions pour vivre normalement. Ils partent comme les autres, en vacances, en amoureux: « C'était en 1981, on est parti le jour où Mitterrand est entré à l'Élysée. Quinze jours en 4L, avec deux personnes pour nous aider. Les montées à Castellane, ce n'était pas facile! »  Ils font de la radio: « C'était sur Radio-Méduse à Lanester; pendant quatre ans, de 82 à 86, l'émission s'appelait "Sans préjugés" ». 

En 1989, Gildas Trévetin entre même au conseil municipal de Lanester, élu UDB sur une liste d'union de la gauche. « Un jour, mon ami Yannick Quénéhervé me fait savoir qu'il ne peut pas se représenter:
-Qui va te remplacer?
-Toi
-Quoi? Ça ne va pas Yannick! Je ne pourrai jamais exercer de fonction municipale! 
Et là, Yannick commence à me dire qu'il a pensé à tout, je n'avais plus aucun argument pour refuser! Quand les autres candidats ont appris ça, panique à bord! Finalement, j'ai été candidat,  un mois après l'élection, il n'y avait plus de problème. »

Des romans foisonnants et documentés

En 1995,  il est réélu pour un second mandat pendant que Marie-Claude entre  au conseil municipal de Lorient. Chez eux, lui à la voix, elle au clavier, ils rédigent les interventions de Gildas que d'autres liront au conseil ou aux camarades. « J'étais censé m'intéresser à tout, à avoir un avis sur tout au nom de l'UDB, je ne voulais pas raconter n'importe quoi! »

Tous ces combats inspirent Gildas Trévetin mais ne peuvent satisfaire sa passion des mots. Il enchaîne des romans foisonnants et très documentés où l'imaginaire débridé de l'enfant de Langonnet se mêle aux enquêtes du journaliste engagé. Le festival de Lorient lui a inspiré « Les lueurs du Festival ». Le nationalisme breton « L'ombre dans la prairie. » Son engagement politique à l'UDB, l'Union Démocratique Bretonne, « Les Echos du Golfe », qui a été édité.

Pont-Aven a nourri le dernier. « "Les Chaos de l'Aven", ça a été un gros travail,  quatre-cinq ans. Au début, je ne connaissais rien à la peinture, rien, rien, rien.» Alors, il a lu, énormément lu, visité des galeries, interviewé la directrice du musée, assisté à des conférences. Plus d'une fois, Gwenola, l'une de leurs auxiliaires de vie, a dû sortir la voiture du couple enquêteur curieux de tout!  

« Certains croient encore que mon cerveau est parfois en vacances »

Quel moteur peut bien expliquer ces efforts apparemment insensés? « C'est une question capitale. Je veux pouvoir choisir le mot qui exprime le mieux ce que je pense. Du fait que j'ai des problèmes d'élocution, certains croient encore que mon cerveau est parfois en vacances. J'essaie de répliquer par mon vocabulaire. »

L'écriture comme une arme? « Je crois, oui... Oui, voilà, c'est pour lutter contre les préjugés, pour l'égalité... Il faut qu'on reconnaissance l'égalité entre les gens. La discrimination, qu'elle soit positive ou non, me rebute. »
 
L'heure du repas est arrivée. Au retour du restaurant, Gildas est revenu sur le sens de sa vie: « Je veux établir une relation d'égalité. Est-ce que j'y parviens? Probablement pas mais j'essaie. Quand j'ai affaire à un interlocuteur qui ne me connaît pas, la précision de mes mots, c'est important. » 

« Il a déjà tout embobiné dans sa tête »

Marie-Claude l'aide aussi là-dessus, prudemment.  Gildas: « Quand je suis parti, je ne peux pas être coupé... » Marie-Claude: « Il a déjà tout embobiné dans sa tête avant, jusqu'à l'équivalent de deux pages; quand je tape, si jamais je l'interromps, je risque de lui faire perdre son idée, il va s'énerver... » (rires). Alors, de ses deux doigts, Marie-Claude tape « sans trop réfléchir ».  Et ils discutent après, du style et du reste, tous les deux devant l'ordinateur. 

Le prochain roman devrait s'appeler « Retour à Langonnet ». Le petit grabataire de jadis est repassé devant la ferme familiale. Il a vu les regards. « À Langonnet, je suis persuadé que je reste pour beaucoup un petit malheureux. Ce matin, on parlait de mes combats, ça c'est un combat vraiment. » 

Les heures ont passé, il a fallu se quitter. La porte s'est peu à peu refermée sur Gildas et Marie-Claude dans leur fauteuil, devant l'ordinateur. Qu'allaient-ils bien pouvoir écrire sur notre rencontre ?

Michel ROUGER avec Alain JAUNAULT 
  Pour en savoir plus, voir le blog  de Gildas Trévetin


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