14/10/2020

Anne-Laure a rêvé l’Eco domaine du Bois du Barde à Mellionnec


Anne-Laure Nicolas a créé l’Eco domaine du Bois du Barde à Mellionnec dans les Côtes d’Armor. En neuf ans, ont vu ainsi le jour, dans cette petite commune de seulement 420 habitants, deux associations et trois entreprises : une exploitation agricole, un camping et une ferme équestre faisant vivre sept adultes et trois enfants. L’ensemble a été labellisé pôle territorial de coopération économique par le Labo de l’économie sociale et solidaire. On y pratique au quotidien la mutualisation, la solidarité et… la sobriété heureuse.


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Anne-Laure Nicolas a imaginé l'Eco domaine Le Bois du Barde (photo : Tugdual Ruellan).
Nous sommes à Mellionnec dans les Côtes d’Armor. Au centre mais aussi, au cœur de la Bretagne. C’est là que se construit pas à pas l’Eco-domaine du Bois du Barde, rêvé et voulu par Anne-Laure Nicolas. Avec ses tâtonnements, ses certitudes, son ambition de devenir un nouveau modèle de lieu de vie, lieu de travail, lieu d’épanouissement. Anne-Laure, 43 ans, est née à Dieppe en Seine-Maritime au sein d’une famille de brasseurs, d’origine mi flamande, mi française. Interne dès l’âge de 13 ans, elle vit le déracinement comme une chance de découvrir le monde. Paris, Rouen, Lille… La jeune fille se plaît en ville mais c’est la Bretagne qui la ravit :
« Je m’y sentais bien. Très vite, je me suis sentie Bretonne de cœur. »
Et comme pour s’excuser ce cet emprunt, elle se plaît à citer « La découverte ou l’ignorance », ce texte de Morvan Lebesque, issu de son livre « Comment peut-on être Breton ? », mis en musique par Tri Yann :
« Suis-je même breton? Vraiment, je le crois. Mais de pure race? Qu'en sais-je et qu'importe? Séparatiste? Autonomiste? Régionaliste? Oui et non. Différent. Mais alors vous n'comprenez plus… Qu'appelons-nous être breton? Et d'abord, pourquoi l'être? »

Rencontre avec la diaspora militante bretonne

Fest-noz à l'Eco domaine Le Bois du barde (photo : Eric Legret).
À l’âge de 24 ans, formée à l’animation équestre, Anne-Laure s’installe d’abord dans le Trégor avec cette idée encore floue d’un projet agricole autour du cheval et ce désir de lier animal, humain, environnement :
« Le cheval est un moyen de découverte fantastique de l’environnement sans compter qu’il est aussi un moyen de se découvrir soi-même… ses capacités, ses peurs, ses limites. »
Le projet n’aboutit pas. Anne-Laure s’installe à Rennes en 2001. Elle y côtoie artistes et musiciens, milite au sein de Skeudenn bro Roazhon l’Entente culturelle bretonne du Pays de Rennes, s’intéresse de près à la dynamique naissante du festival Yaouank... Elle apprend aussi la langue bretonne avec Skol an Emsav, École du mouvement breton. Rapidement, elle s’intègre à la diaspora bretonne militante et rencontre Gilles, alors technicien du spectacle, avec qui elle s’installe.

Un coup de cœur pour le centre Bretagne

Rencontres à l'Eco domaine (photo : Eric Legret).
Gilles est fils d’agriculteurs en Centre-Bretagne :
« Une ferme en pleine nature en Kreiz Breizh, le cœur même de la Bretagne… Ça m’a fait rêver ! Alors, il m’a invitée à passer un hiver à Saint-Michel-en-Glomel, petit village des Côtes d’Armor. »
Histoire de se forger aux réalités climatiques ! Anne-Laure passe l’hiver, se coltine les ciels pluvieux, les petits matins givrés et les baisses du thermomètre qui affichent parfois moins dix degrés en dessous de zéro. Mais, touchée en plein cœur, c’est dans cette région qu’elle décide de s’installer :
« J’ai trouvé ici la qualité de vie que je recherchais, la simplicité, la connexion à la nature qui me ressource. J’ai découvert la richesse de ces relations entre les générations. Ça me touchait beaucoup, moi qui avais été élevée par ma grand-mère. »

Le soutien inattendu de la chambre d’agriculture

Une monitrice d'équitation accueille les enfants tout au long de l'année (photo : Le Bois du Barde).
Les parents de Gilles exploitent en location une ferme toute proche, à Coat an Bars, petit village sur la commune de Mellionnec, à cinq minutes de Glomel. A la fin des années 1970, trente hectares avec des vaches laitières. Mais le couple est épuisé par la pression qu’imposent les quotas laitiers nouvellement instaurés. Ils arrêtent la production de lait au début des années 1980 et plantent cinq hectares de vergers en pommes à cidre. Trente ans plus tard, le jeune couple s'installe sur ces terres. Ce que souhaite Anne-Laure n’entre dans aucune des cases de l’administration. Pourtant, elle trouve une oreille attentive auprès de Françoise Filet, alors conseillère à la chambre d’agriculture de Rostrenen, séduite par son projet :
« Mon « plan de développement économique », formalité exigée à l’installation, ne correspondait pas aux critères requis pour une installation. J’ai cependant obtenu ma DJA, dotation jeune agricultrice, à taux plein. J’ai aussi été soutenue par des militants de la Confédération paysanne et du Gab, Groupement des agriculteurs bio du département. » 
Anne-Laure s’installe en 2011 et imagine plusieurs activités :
« Sur un premier espace de quatre hectares, nous avons créé un camping et une petite ferme équestre. Puis nous avons commencé à exploiter les cinq hectares de verger et cinq hectares de bois. Grâce à mon statut d’exploitante agricole, j’ai pu ensuite acheter l’ensemble et développer notre projet. »

Trois entreprises de l’économie sociale et solidaire

Trois entreprises et deux associations de l'économie sociale et solidaire ont vu le jour (photo : Tugdual Ruellan).
L'Eco domaine voit le jour. C’est un collectif de structures diverses qui se construit. Toutes travaillent ensemble avec les mêmes objectifs :
« Recréer des liens entre les personnes, innover aujourd'hui pour que le bon sens d'hier enrichisse et nourrisse la vie de demain, préserver et promouvoir la biodiversité. »
Au fil des ans, sont nées trois entreprises. C’est d’abord une ferme de 24 hectares, avec un statut d’entreprise individuelle au nom d’Anne-Laure. La famille y cultive en bio cinq hectares de vergers en pommes à cidre, élève des moutons de race Landes de Bretagne et poneys Hihlands et récolte aussi la sève des quelque trois-cents bouleaux qu’ils ont plantés. :
« Nous sommes ainsi devenus les premiers récoltants en vente directe en Bretagne de sève de bouleau."
La production est distribuée par le réseau des trente biocoop de Basse-Bretagne avec une production entre 3500 et 5000 litres par an. C’est aussi un camping et des hébergements insolites proposés aux visiteurs de passage avec un accueil touristique sur la destination Cœur de Bretagne Kalon Breizh. La structure, avec une capacité de cent places, fonctionne avec un statut de «société par actions simplifiée unipersonnelle » qui devrait prochainement se transformer en scop avec trois salariés. Elle bénéficie depuis quelque temps du label éco européen, reconnaissance de la gestion durable du site. C’est une ferme équestre qui fonctionne sous forme de micro entreprise, animée par Morgane, monitrice d’équitation.
 

Deux associations pour animer et diffuser le modèle

Régulièrement, l’association Koed Barz propose des activités pédagogiques (photo : Eric Legret).
L'Eco domaine, c’est enfin deux associations : l’association Koed Barz, gérée sous forme collégiale, en charge du développement des activités pédagogiques comme les visites de fermes, les séjours de vacances pour les enfants en français et en breton. C’est elle qui organise aussi les événements culturels sur le site comme les portes ouvertes, le festival « les Belbiachoù - les enfantillages » qui propose chaque mercredi soir d’été contes, lectures et poésie au jeune public ; elle organise le concert fest-noz qui a lieu chaque 14 août.
C’est enfin l’association Breizh coopération, organisme de formation professionnelle, chargée de transmettre l’initiative et favoriser la naissance de nouveaux partenariats :
« On y évoque les modèles de coopération, la gouvernance partagée, la communication non-violente ou encore la permaculture humaine, sociale et économique. »
L’Eco domaine du Bois du Barde est ainsi devenu un pôle territorial de coopération économique, soutenu par le Labo national de l’économie sociale et solidaire. Sur les cent PTCE labellisés en France, seulement cinq sont intégrés à des fermes agricoles. C’est aussi un espace d’habitat participatif et un « oasis ressource et de vie » impliqué dans le mouvement des Colibris :
« Ce sont des valeurs qui nous vont bien, confie Anne-Laure : des écolieux dans lesquels des collectifs cultivent l’autonomie et le soin du vivant, qui se développent dans la nature, avec de l’espace, de la fraternité et du labeur au grand air, qui apportent d e l’activité et de la convivialité dans les territoires dépeuplés. Et surtout, qui vivent comme ils le souhaitent, en cohérence avec leurs valeurs et leurs besoins. »

Une coopération économique pour affronter la crise

Les rencontres de l'Eco domaine Le Bois du Barde (photo : Eric Legret).
Sept adultes vivent désormais à l’Eco domaine avec les trois enfants d’Anne-Laure et Gilles. La structure a acquis sa maturité de fonctionnement et affirme sa viabilité dans le temps. Les charges et cotisations sont payées par les entreprises. Toutes sont solidaires, unies par une coopération économique :
« Le modèle économique est viable, on a pu le vérifier durant la crise sanitaire. On s’entraide et on mutualise les moyens. Le contrecoup subi sur la ferme s’est trouvé amoindri grâce à l’activité générée par les autres structures. Notre mode de vie nous permet de vivre sans salaires. Le petit bénéfice obtenu par la vente des produits est aussitôt réinjecté dans la structure collective. Il est vrai que nos besoins individuels sont limités et que nous vivons chaque jour la « sobriété heureuse » prônée par Pierre Rabi. Je suis confiante en l’avenir. Toutes nos expériences passées ont pris sens avec ce projet. »
L’Eco domaine souhaite désormais mettre en place, avec le soutien de l’UBO Université de Bretagne Occidentale, un comité scientifique extérieur pour observer, mesurer la plus-value de l’initiative, son impact sur un territoire comme celui du Centre Bretagne et ses conditions de reproductibilité :
« Nous inventons des manières nouvelles de travailler et de vivre dans des tiers lieux en donnant priorité à la qualité de vie plutôt qu’au profit. C’est une grande satisfaction pour moi de mesurer le chemin parcouru. Je n’ai pas l’impression de travailler… C’est vraiment ma vie qui se dessine ici. »
 


Texte : Tugdual Ruellan

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