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18/01/2024

Talia, militante trans, se bat contre toutes les oppressions

Reportage : Agathe Neveu


Talia, la vingtaine, est une jeune militante trans. Victime de nombreuses discriminations liées à son genre, elle s'est reconstruite et a retrouvé son pouvoir d’agir avec l'aide des collectifs queer. Inspirée par la pensée anarchiste, elle relie toutes les oppressions vécues par les minorités à un même système. Elle lutte aujourd’hui pour la dignité humaine sans distinction.


talia.m4a Talia.m4a  (10.72 Mo)

Vous ne verrez pas le visage de Talia, jeune rennaise, ni ne connaîtrez son vrai prénom. Parce qu’aujourd’hui, prendre la parole en tant que femme transgenre militante est une prise de risque. L’extrême-droite et les idées réactionnaires progressent et ne lui facilitent pas la vie. Talia restera aussi très évasive sur les collectifs auxquels elle appartient. De même que les écologistes sont qualifiés de terroristes par certains, militer aujourd’hui pour dénoncer et changer le système est criminalisé. Elle préfère ainsi nous partager ses réflexions, sa vision du monde et son cheminement politique.
« Je me définis comme une militante anarchiste queer anti-raciste, « anti-tout », raconte ironiquement Talia. Cela me fait rire de me définir ainsi car c’est souvent de cette manière qu’on nous appelle sur des chaînes TV comme CNews. »
En d’autres termes, Talia est une militante anarchiste. Selon elle, pour que chaque individu sur cette planète accède à une vie digne, le système devra être repensé dans son entièreté.

Observer la société et la questionner

Cette pensée, Talia l’a forgée en observant la société, ici, et au Liban. Après un IUT carrières sociales et l’envie de faire bouger le monde grâce à l’engagement associatif, la jeune militante a très vite pris conscience du mur face à elle.
« J’ai réalisé petit à petit que tous les outils qu’on nous donnait pour lutter et réformer ne servaient à rien, que réformer n’était pas suffisant car le système est ancré. »
En 2019, Talia part étudier un an à Beyrouth, au Liban. Là-bas, elle constate la force de l’impérialisme occidental sur la société libanaise.
« J’ai vu un pays s’effondrer économiquement à cause notamment des influences européennes et américaines. J’ai vu le Covid dans un système de santé défaillant. J’ai vu une société ultra segmentée. J’ai observé l’organisation des communautés LGBT. J’ai vu la résilience des gens. »
A Beyrouth, Talia se questionne également sur son identité et ses appartenances. D’origine arabe, elle se sent très proche de la société libanaise mais aussi des collectifs LGBT.

Changer de genre dans un monde transphobe

A son retour, Talia fait sa transition de genre et passe de « il » à « elle ». Abandonner le genre masculin aux multiples privilèges et se reconstruire dans un climat transphobe est très compliqué. Encore une fois, la jeune rennaise réalise que cette oppression envers les trans n’est pas propre à quelques individus mais est bien systémique. C’est la force du patriarcat dit-elle. Passer d’un genre à l’autre est perçu par certains comme une menace à l’ordre établi. Un ordre de domination envers les femmes et les minorités de genre. Ce qui est considéré comme une dérive idéologique génère de la haine, de la violence verbale et physique mais aussi des comportements discriminatoires. Alors que « transitionner » est une étape individuelle complexe, la transphobie ambiante a l’effet d’une claque.

En effet, en tant que personne trans d’origine arabe, Talia est une minorité à plusieurs titres. Chaque jour, elle perçoit la violence de ce monde. Cette violence, elle la ressent dans sa chair lorsqu’elle marche dans la rue, dans le regard des gens, lorsqu’elle écoute le discours des médias.
« Moi j’appartiens à plusieurs communautés car je suis dans des croisements bizarres du point de vue de la société : trans et rebeu. Je suis l’exotisation même. »
En d’autres termes, elle subit simultanément plusieurs formes de dominations. C’est ce que la sociologie a appelé l’intersectionnalié.

L’anarchisme comme inspiration politique

Alors, Talia prend de la hauteur. Elle relie ces discriminations vécues au quotidien aux multiples autres oppressions envers les personnes pauvres, racisées ou encore en situation de handicap. L’anarchisme inspire sa pensée. Selon elle, nous ne sortirons pas de ce système destructeur sans révolution. Réformer le modèle sans le faire basculer sera vain. Car c’est ce système lui-même qui est à l’origine de la destruction de la planète et des oppressions envers les minorités. Le modèle occidental capitaliste se maintient grâce aux privilèges de certains qui génèrent la violation des droits des autres, expose-elle. Ainsi, le véritable changement s’opérera lorsqu’une vie digne à tous et toutes sera octroyée.
« Quand on prend conscience de tout ça, on vrille et on galère. On rejoint des espaces où c’est ok  de penser différemment et d’exister tel.le qu’on est. C’est ça la beauté des espaces militants même si ce n’est pas parfait. Aussi, tout un processus de reconstruction est à mettre en place. Tu déconstruis tous tes piliers uns à uns et tu n’as plus grand chose sur lequel t’appuyer. T’as l’impression que tout est perverti et que tu es très fragile. Tu te débrouilles comme tu peux. »

Se reconstruire grâce à la force du collectif

En devenant militante, Talia retrouve des espaces pour exister et se reconstruire. Ces espaces sont des refuges pour ces personnes exclues de la société. Des cocons pour prendre soin des autres et être protégé.e grâce à l’élan du collectif. Des lieux d’accueil pour lutter ensemble et retrouver la joie de changer le système collectivement. Ces refuges sont inclusifs et pensés pour accueillir toutes les différences.
« Le militantisme d’extrême-gauche, c’est aussi un espace de sérénité pour des gens qui ne sont pas intégrables dans le système : les queers, les pétés de la tête, les racisés, les punks, les pauvres. Ce sont des espaces où on peut se replier, des espaces où tu peux exister selon ce que tu es, des espaces où tu peux te développer. Si tu es ravagé, au lieu de te shooter aux médocs, on va te laisser exister. Si tu es queer, malgré les menaces lgbtphobes, tu as une équipe donc tu vas pouvoir te défendre. Ce sont des espaces qui ont vocation à évoluer pour être accessibles à tout le monde. »
Ainsi, Talia se reconstruit peu à peu. Ces espaces de soin sont protecteurs. Elle y expérimente une autre manière de faire société, celle à laquelle elle aspire. Ces espaces permettent l’émancipation individuelle et redonne un pouvoir d’agir à ces personnes qui l’avait perdu. « Tu prends du pouvoir ensemble, tu fais ton équipe ensemble et après tu vas contrer le monde ensemble. » raconte Talia.

Aujourd’hui la jeune militante se sent alignée. Son engagement fait partie de sa vie.
« Ce qui me fait vibrer, c’est de faire de la politique tout le temps, partout. C’est de mettre du sens à ce que je fais en créant, être intéressante dans ce que j’amène, faire ce que je fais de mieux pour changer pas mal de trucs dans ce monde. Je me trouve beaucoup plus appréciable aujourd’hui parce que je suis en cohérence. J’essaye de faire du bien, de ne pas pourrir. Je suis bien dans mes bottes et ces bottes sont chouettes. »

Pour en savoir plus
Associations de support et de soutien
 
Iskis, centre LGBTI+ de Rennes
Association Pétrolettes
 
320 personnes trans et non-binaires ont été tuées dans le monde entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023 selon un rapport relevé par la plateforme Statista. Un chiffre en dessous de la réalité : il ne s'agit que des cas signalés dans les pays ayant de solides réseaux d'organisations LGBTQ+.
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