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30/11/2010

La caméra qui brise les murs

Yvon Guillon a réuni des jeunes de Tijuana et San Diego, à la frontière Mexique-USA


Les Murs-Frontières ne cessent de s'allonger à travers le monde. Ainsi les Mexicains de Tijuana ne peuvent voir leurs voisins États-Uniens de San Diego. Grâce au Rennais Yvon Guillon, des adolescents ont pu traverser symboliquement le mur.


La caméra qui brise les murs
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La caméra qui brise les murs
Quand il était petit, Yvon Guillon avait trouvé un « truc » pour faire sortir les gens de chez eux. Avec sa petite plaquette de bois, il appuyait sur toutes les sonnettes en même temps. Furieux ou souriants selon l’humeur, les habitants de l’immeuble se penchaient sur les rampes, pestant contre les « petits voyous » qui les avaient faire sortir de chez eux. La conversation s’engageait pourtant, ponctuée de rires au souvenir des frasques de l’enfance.  Depuis, Yvon Guillon n’a pas arrêté d’ouvrir des portes dans les murs, pour faire sortir les gens de chez eux. 

Pieux et grillages sur la plage

Le mur dont cet article va parler, c’est celui qui sépare Tijuana au Mexique de San Diego en Californie : 40 kilomètres de long, sur une seule agglomération,  pour stopper l’immigration. Même la plage n’y échappe pas : pierre et grillage se sont transformés en pieux de métal bouffés par la rouille. Côté mexicain la plage grouille de monde. Enfants et adultes tiennent les poteaux, prêts à saisir l’opportunité d’un passage de l’autre côté, sur le sable désert où veille la police de la migra, la police anti-immigration.
 
De chaque côté du mur, des jeunes qui n’ont aucune chance de se rencontrer.
 
Mur impossible à franchir pour les Mexicains,  mur où il leur est seulement permis de toucher, entre les mailles du grillage, la main de leurs proches, immigrés aux USA.
 
Mur de l’indifférence pour les Etats-uniens,  mur dont on ne leur parle pas, où ils ne vont pas, qu’ils ne connaissent pas. 

Norma Iglesias, la passeuse

Comment ouvrir une porte dans ce mur d’offense et de défense ? C’est la question que pose Yvon Guillon à Norma Iglesias, anthropologue mexicaine, professeure à l’université de San Diego et conseillère artistique du Centre Culturel de Tijuana, lors de sa venue au festival de Douarnenez en 2006.
 
Yvon a quelques idées sur la question. Il fait découvrir à Norma, AFRICA, les Ateliers de Formation pour la Réalisation et l’Initiation au Cinéma d’Animation. Depuis 20 ans, une centaine d’ateliers de ce genre ont été réalisés dans les écoles en France. 

Le projet « El otro lado de la linea, de l’autre côté de la ligne, the other side of the line » se construit, fondé sur les connaissances du terrain de Norma et sur la pratique professionnelle d’Yvon et de son équipe, Sébastien Watel, Gilles Coirrier et Roland Michon. 

A l’été 2008, pendant quatre semaines, à Tijuana, dix jeunes de 12 à 14 ans, encadrés par cinq intervenants, vont imaginer la vie des autres, derrière le mur, là-bas à San Diego et vice versa. Pour les deux groupes, une même triple consigne : imaginer ce qu’il y a de l’autre côté, trouver un prétexte pour y aller et inventer une fin. 

Yvon Guillon
Yvon Guillon

Moteur!

Les jeunes se posent beaucoup de questions, discutent et essaient de comprendre le pourquoi de ce mur qui les empêche de se rencontrer. De ces réflexions, ils fabriquent une histoire significative de leurs vies respectives. 
« Les mômes sont rentrés dans le jeu tout de suite, se rappelle Yvon Guillon, les Mexicains étaient dans les images à l’eau de rose des telenovelas alors qu’aux USA, ils ne parlaient que de gang et d’écologie. On a beaucoup travaillé avec eux sur les représentations et sur l’idée qu’ils se faisaient de l’Autre, de l’autre côté. Dans la fin des deux histoires, qu’elle soit gentille à la mexicaine ou cruelle à l’américaine, le mur disparaît ». 
Les deux groupes fabriquent ensuite les images puis passent au tournage, « toujours avec beaucoup de sérieux ». Dans le documentaire qui accompagne les deux dessins animés, ils nous surprennent ces ados : ils nous expliquent de façon savante le pourquoi du story-board, la fabrication des décors aussi bien que le maniement des caméras.  L’apprentissage ne concerne pas seulement les jeunes. Les artistes-encadrants y font leur classe. C’est un type nouveau d’animation qu’ils expérimentent, privilégiant les valeurs et la créativité à la technique.

Norma Iglesias espère ainsi « polléniser » l’environnement des deux côtés de la frontière. Rennes 2 ne sera pas en reste puisqu’un accord est signé depuis entre les trois universités pour une collaboration de recherche et de formation.  Les deux films dans la boîte, se pose le problème de la projection. Pas question de faire passer certains jeunes mexicains aux USA. C’est donc à Tijuana qu’aura lieu la première devant quatre-cents personnes. Ils y recevront leur diplôme de réalisateur, signé par Marc Gontard, président de l’Université de Rennes 2. 

Mais le plus beau diplôme, c’est cette rencontre rendue possible, ces différences cultivées pour leur richesse et ces questions qui émergent sur notre histoire au présent. 
« Si je vivais près de la frontière, cela me gênerait car c’est un peu comme si on ne se faisait pas confiance donc pour moi, la frontière est un peu stupide. Je me demande un peu à quoi elle sert ? » 
Cette question d’un jeune de San Diego ouvre au moins le champ des réponses possible.
 
Marie-Anne DIVET.   

Pour en savoir plus

« Tout ce qui n’est pas donné est perdu », dit Yvon Guillon. Les images de cette expérience,  qui ne demande qu’à se renouveler sur tous les murs du monde, sont à diffuser largement. Le site est ouvert: www.frontiere.delautrecote.fr . Vous y découvrirez les deux dessins animés et leurs créateurs dans un documentaire très attachant.





1.Posté par Guerrero le 28/11/2011 16:20

Super projet!
Très intéressant de voir ce que les enfants imaginent de l'autre côté du mur.
Mais, est ce que ces représentations sont le reflet de la société dans laquelle les enfants y habitent? Des images à l'eau de rose du côté mexicain et des histoires cruelles du côté états-unien... Qui induit les enfants à penser ça? Les familles? Les médias? L'école?
C'est le reflet d'une société parano et d'une société naive?

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