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03/05/2012

Henri Burin des Roziers plaide la cause des sans terre brésiliens


Sa tête a été mise à prix au Brésil. Rentré en France, il continue à être la voix des sans voix. La trajectoire hors du commun d’un avocat né dans les beaux quartiers.


Photo Claude Stéfan
Photo Claude Stéfan
Au Para, quatre paysans ont encore été assassinés en 2010. Lui-même se sait menacé ; sa tête est mise à prix depuis 1999. Tout comme l’était celle de la missionnaire américaine Doroty Stang assassinée à Anapu par deux tueurs à gage le 12 février 2005.
 
Toutes ces années, jusqu’à son retour en France, il y a quelques mois, Henri Burin des Roziers a vécu au Brésil avec deux gardes du corps. Présents à ses côtés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « Ils ont été merveilleux , glisse-t-il avec un sourire lumineux.  Sans eux, jamais je n’aurai pu continuer mon travail. » De vrais anges gardiens. « Des garde-malades qui n’hésitaient pas à me porter quand il le fallait », ajoute-t-il avec humour.
 
Il a aujourd’hui 82 ans. Ses jambes ne le soutiennent plus mais l’esprit est toujours aussi vif. L’accueil chaleureux. Henri Burin des Roziers reçoit dans un appartement parisien où il est venu se reposer. Enfin se reposer, c’est beaucoup dire. Il y a du Cyrano chez ce dominicain qui a choisi de porter la cause des sans terre brésiliens. De l’idéal et du panache, du courage aussi.
 
La foi lui tient lieu de boussole. Dans cette famille illustre, on sert avant de se servir. Si la tradition n’y est pas un vain mot, elle n’est pas non plus un carcan. On sait rompre quand les valeurs essentielles sont menacées. L’un de ses oncles a été compagnon du général De Gaulle. Lui même, après avoir été aumonier des étudiants en droit, à Paris, en 1968, a œuvré auprès des travailleurs immigrés maghrébins. Souci déjà, de mettre sa voix au service des sans voix.

Aux confins de l’Amazonie

En 1978, il rejoint le Brésil et l’État du Para. Aux confins de l’Amazonie, il découvre un pays où il ne fait pas bon se dresser contre les puissants. Il met ses talents d’avocat au service de la Commission pastorale de la terre. « Une organisation créée par quatre évêques qui ont entendu le cri des victimes ds massacres commis par les fazienderos et leurs hommes de main pour s’approprier par la force des terres déjà occupées », rappelle-t-il dans un texte publié par la Documentation catholique au mois de mars. « Des prêtres, des religieuses, des laïcs consacrent leur vie à cette mission. »
 

Cet engagement est aussi au service « d’un modèle d’agriculture familiale de subsistance, durable et diversifiée pour la consommation intérieure, qui s’oppose au modèle de la monoculture d’export, bétail, bois, soja, canne à sucre, modèle qui rapporte des milliards de dollars à l’Etat mais qui est déprédateur. Il provoque la concentration des terres dans les mains d’un petit groupe de gros propriétaires, la migration vers les favelas et la destruction de la nature par la déforestation et l’emploi des agro-toxiques. Notre engagement chrétien pour la terre est un engagement pour la vie et la dignité des travailleurs ruraux. Une cause profondément évangélique », ajoute-t-il.

« Lula a capitulé »

Pas facile de résister au rouleau compresseur de l’agrobusiness. Au pays de Lula : « Quatre millions de familles sont toujours sans terre. Lula a fait des choses remarquables. Mais il a aussi capitulé devant la puissance du lobby des grands propriétaires terriens », glisse-t-il avec amertume. « Les dernières statistiques publiées par la pastorale de la terre sont catastrophiques. En huit ans, 500 000 familles seulement ont pu accéder à la terre. D’autres choix ont été faits. En favorisant notamment les grosses entreprises exportatrices d’éthanol et de poulets. »

Le Brésil est devenu l’une des usines à viande du monde. Des millions d’hectares restent pourtant disponibles et pourraient permettre le développement d’une agriculture familiale. Car c’est l’étrange paradoxe de ce pays à la beauté féroce. Ce champion des exportations de viande ou de poulets est aussi un pays où on continue à souffrir de la faim. « Les deux modèles agricoles devraient pouvoir coexister. La réalité est toute autre. »

Au Brésil, « tout se vend, tout s’achète. » Et les grands propriétaires terriens circulent en avion sur leurs domaines. Dans l’Etat du Para, le président de la Banco Opportunity est accusé d’avoir transféré deux millions de dollars dans des paradis fiscaux. Son établissement y possède 400 000 hectares et contrôle un troupeau de plus de 500 000 têtes de bétail.

Au Brésil, Henri Burin des Roziers a été le premier au Brésil à obtenir la condamnation d’un fazeindero en 2000. Le grand propriétaire terrien avait commandité l’exécution d’un travailleur rural. Dans deux autres affaires, au cours des années suivantes, il a obtenu gain de cause. « Aucun n’a exécuté sa peine », dit-il aujourd’hui avec tristesse.

Au pays de Lula, la justice reste un combat.

Patrice Moyon




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