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13/02/2019

Entre Laurent et la vache nantaise, une histoire de cœur


Laurent Chalet, paysan au Dresny en Loire-Atlantique, a réussi le pari qu’il s’était fixé en s’installant en 1989 : construire un modèle agricole, respectueux de la terre, de l’animal et de l’environnement. Et en même temps, contribuer à sauver une race domestique qui a bien failli disparaître : la vache nantaise.


Rochette et Dalida. Le nom de ces deux vaches est resté dans la mémoire de Laurent. Non sans une profonde émotion. C’étaient deux magnifiques nantaises aux longues cornes et aux grands yeux troublants. Les vaches de l’enfance avec le souvenir de sa mère prête pour la traite pendant que le petit Laurent faisait ses devoirs dans la paille : « Elles étaient totalement hors course et pourtant si fabuleuses. Les taureaux avaient disparu depuis longtemps et leurs jours étaient comptés. Il fallait débarrasser tout ça pour remplacer par la sacro-sainte hollandaise ! » Mais pour toujours, la petite vache nantaise s’est imprimée dans l’œil de Laurent.
 

Pochon et Bodiguel, deux figures inspirantes

Comme une bernique sur son rocher –c’est lui qui le dit !- Laurent est accroché au Clos, ce petit village du Dresny en Loire-Atlantique qui l’a vu grandir. Sur le lieu même où ont vécu ses parents, ses grands-parents, ses arrières grands-parents et peut-être même bien d’autres ancêtres. À l’âge de 14 ans, l’envie lui prend de faire des études en agriculture : « Pourtant, confie-t-il, mes parents étaient confrontés à d’importantes difficultés financières à la fin de leur carrière et j’étais partagé au niveau de mes envies. Je n’avais alors qu’un seul désir : m’installer et montrer que l’on pouvait faire autrement. Je bannissais ce système agricole, devenu industriel, qui avait broyé mes parents, tant économiquement que physiquement. Je pensais qu’il y avait d’autres solutions ».

Laurent obtient un BTS après un BTA au lycée agricole du Rheu près de Rennes, passant beaucoup de temps au centre de documentation pour lire et chercher… Il est séduit par deux figures inspirantes : André Pochon et René Bodiguel, précurseurs avant l’heure d’une véritable révolution culturale et culturelle dans le monde agricole.

Rêver un autre système agricole

Avec des copains, il se prend à rêver d’un autre modèle agricole. Son père, pourtant usé, s’intéresse à ce que le jeune Laurent raconte et le soutient fortement : « Il y avait beaucoup de fierté dans l’utopie que j’annonçais et ce projet que j’imaginais possible ». D’abord, il a fallu financer l’installation et pour cela, convaincre la banque « en sachant, poursuit Laurent, que l’argent allait retourner à la banque pour éponger la dette de mes parents ! » Il reçoit alors le soutien de SOS paysans en difficulté qui lui permet de négocier l’emprunt.

Le 1er janvier 1989, il s’installe, il a alors 25 ans. Le choix est limité. Laurent doit faire avec l’existant, un système qu’il sait obsolète et déconnecté. Tandis qu’à Berlin tombe le mur, qu’au niveau mondial s’effondre le prix de la viande, au Clos, Laurent met en place, de manière très artisanale, la vente directe de viande à la ferme ! L’équilibre financier est précaire mais il s’accroche, la nantaise toujours chevillée au cœur

L’aventure commence avec Licorne et Légende

Lors d’un déplacement avec son père dans le Sud-Loire, il rencontre en 1995 un éleveur qui a conservé deux vaches nantaises : « Il me parle du domaine du Bois-Joubert, non loin de Donges, où quelques passionnés constituent à titre expérimental, un conservatoire de races animales qui vient d’acheter les dernières vaches nantaises". Plus tard, Laurent se rend au Bois-Joubert avec son père, accompagné de Loïc Lagré, un autre éleveur passionné. Les trois hommes tombent sous le charme. Loïc achète un petit taureau et Laurent,  ses deux premières génisses, Licorne et Légende : « Tout est parti de là », se souvient-il. Alors, il sème du trèfle sur ses prairies, bannit l’azote, le désherbant et tout autre complément chimique : « À l’époque, ça faisait tache ! Les anciens étaient tout heureux de revoir les vaches qu’ils avaient connues dans leur jeunesse mais les plus jeunes souriaient… Mon projet était de gagner ma vie avec des vaches nantaises dont personne ne voulait plus mais surtout, de participer à la sauvegarde d’une race ».
 

« On est passé à trois ans de l’extinction ! »

Car la vache nantaise a bien failli disparaître. Le troupeau était passé de 150 000 têtes en 1949 à une petite cinquantaine en 1985. « À l’origine, rappelle Laurent, la Grande poitevine vendéenne a donné la parthenaise, la maraîchine, la brenouse, la marchoise… la nantaise. Mais ne sont restées que la parthenaise qui s’est développée en race à viande, et la nantaise, devenue obsolète dans le monde agricole industriel. « On est passé à trois ans de l’extinction ! Quand on a démarré le projet de sauvegarde, il ne restait plus que trois taureaux, Carillon, Désiré et Rium, et 40 vaches dont 20 seulement pouvaient être utilisées comme « fondatrices ». Le troupeau a été reconstitué à partir de ces 23 animaux. La race est aujourd’hui sauvée ».

En même temps qu’il lance son exploitation, Laurent milite pour la sauvegarde et est élu en 1996, président de l’association pour la promotion de la race bovine nantaise : « Nous souhaitions faire connaître et reconnaître la nantaise, passer de l’étiquette écolo à une reconnaissance de la sauvegarde de la diversité domestique ».

Photo "Pas bête la fête" (septembre 2018).
Photo "Pas bête la fête" (septembre 2018).

Naissance de la fête de la vache nantaise

Au village du Dresny, il est un comité des fêtes particulièrement actif qui, chaque année, organise la fête au village. A l’occasion d’un « cassoulet des chasseurs », Laurent rencontre le président et lui propose d’y associer la vache nantaise : « Il a souri mais il m’a dit banco et on est parti comme ça ! » Le 13 septembre 1997, l’association organise sa première fête et présente dans un champ une vingtaine de vaches nantaises accompagnées de quelques artisans et producteurs bio. Eugène Aubrée, originaire de Nozay, en est le parrain. L’homme, qui avait été ingénieur à la chambre d’agriculture, peintre animalier, connait bien la vache nantaise. C’est lui qui a organisé, juste cinquante ans auparavant, le 20 septembre 1947, le premier concours régional de vache nantaise à Plessé (Loire-Atlantique).
 
Le public est au rendez-vous et le moral des militants est au beau fixe. Une deuxième fête est organisée en 1999 au cours de laquelle sont présentés un spectacle de chevaux, des bœufs nantais au travail que Laurent a dressés avec son père et ses oncles. Elle est parrainée par Bernard Denis, éminent professeur de zootechnie honoraire de l'École vétérinaire de Nante, membre de l'Académie d'agriculture et de la société d’ethnozootechnie. La fête de 2001 est parrainée par le journaliste Roger Gicquel. Le public se presse, de plus en plus intéressé par le défi osé de cette poignée de jeunes agriculteurs utopistes.

Photo "Pas bête la fête" (septembre 2018).
Photo "Pas bête la fête" (septembre 2018).

Pas bête la fête !

Alors les militants s’émancipent et créent leur association en 2003, « Pas bête la fête ». L’association s’ouvre aux autres territoires et met à l’honneur la race béarnaise. Et ainsi, tous les quatre ans, ce sont de joyeuses retrouvailles pour célébrer les terroirs et les races domestiques en voie de disparition. Jusqu’en 2018, où la fête est devenue le rendez-vous national des races locales avec comme invitée d’honneur, la race basque. Ce sont quelque 60 000 visiteurs de tous horizons, et 1500 bénévoles, qui se croisent durant ces trois jours de fête, parrainés par Carlo Petrini, fondateur de Slow Food, mouvement pour l’alimentation et la biodiversité.
 
Le pays basque est à l’honneur et deux cent cinquante représentants ont fait le déplacement. Le grand repas, proposé par cinq chefs dont deux étoilés réunit cinq cents convives. On y admire des animaux de quasiment toutes les races rustiques de France, un plateau en traction animale de niveau international, un espace dédié aux initiatives solidaires et au végétal, un jardin en permaculture et biodynamie de 4000 m², un espace sauvage de trois hectares pour une balade. Au programme, une université paysanne animée par Philippe Bertrand de France Inter, des tables-rondes, des échanges d’idées avec les basques, des animations, des concerts, une restauration à base de produits bio issus de filières courtes ou du commerce équitable… On y parle de consommation responsable, d’agriculture paysanne, de marque de terroir, de chambre d’agriculture autonome et aussi, d’installation en races locales  !

L’acte d’achat guide le mode de production

Pas à pas à pas, Laurent a construit un système économique cohérent. Certes, il lui a fallu du temps : dix ans pour trouver le nombre d’animaux suffisant, dix ans pour faire tourner le système, dix ans pour élaborer et valoriser un produit qui corresponde aux normes et aux attentes du consommateur d’aujourd’hui. Entre 1995 et 1997, il achète neuf autres femelles jusqu’à parvenir aujourd’hui à un noyau de 40 vaches nantaises sur une surface de 80 hectares.
 
Il développe trois sources de valorisation : le veau sous la mère, élevé à l’étable, vendu pour moitié à des restaurateurs de Nantes et de Marsac-sur-Don, en vente directe pour l’autre moitié ; des femelles vendues à des bouchers nantais ou pour l’élevage ; des bœufs de quatre ans et demi à cinq ans, élevés à l’herbe et au foin avec une finition aux céréales en vente directe après maturation ou à des bouchers parisiens.  « Je me suis attaché à travailler sur tous les aspects : l’autonomie fourragère et la production de céréales pour nourrir le troupeau jusqu’à la valorisation et la qualité du produit final sans ne jamais passer par la grande distribution. Aujourd’hui, je vis de ma ferme et j’affirme que c’est un projet tout à fait viable. Non, je ne suis pas dans la revanche, plus dans une phase active et constructive. Le monde a changé. Il faut que nous progressions ensemble pour rendre possible une agriculture différente ».

Texte et photos : Tugdual Ruellan.
 

Pour aller plus loin

Créé en 1998 à l’initiative de la Région, le Crapal, Conservatoire des races animales en pays de la Loire, accompagne et encourage les éleveurs. Il aide à la gestion des populations, au plan génétique (inventaires, collecte de semences, achats de reproducteurs) et par la collecte de références (caractérisation de la race, des systèmes d’élevage, du ou des produits). Il contribue à les faire connaître et incite à leur valorisation lorsqu’elle est possible, se fondant notamment sur la démarche expérimentée de quelques « pionniers ». 

Les raisons pour lesquelles il convient de conserver les races rustiques et de tenter de les remettre sur la voie d’un développement, sont nombreuses. Elles sont d’abord patrimoniales et culturelles (la race demeure le produit du terroir et de ses éleveurs), elles sont ensuite génétiques (leur génome est une composante de la biodiversité), elles sont enfin économiques (dans un contexte actuel favorable à la recherche de ses racines et aux produits du terroir, il est possible que l’avenir offre à ces races et à leurs systèmes, pour la plupart extensifs et respectueux de l’environnement, une certaine sérénité).

Présentation de la vache nantaise ICI  

L’élevage des vaches nantaises (présentation de deux situations d'éleveurs) :
cas 1 / cas 2  

Présentation de l’association « Pas bête la fête » ICI

En 2011 a été créée la Fédération des races de Bretagne : « C'est lors d'un regroupement d'éleveurs de races bretonnes, à la fête de la vache nantaise et des races locales du Dresny en 2010, que l'idée a émergé. Ayant la même passion pour l'élevage de nos races locales, les mêmes motivations et la même dynamique de professionnalisation  et de valorisation des produits de nos races en circuits courts : pourquoi ne pas nous regrouper en fédération pour monter des projets ensemble? ...Puis l'idée a fait son chemin, et un an plus tard, en octobre 2011, au marché de la Biodiversité du Faou, la Fédération des Races de Bretagne était officiellement inaugurée ». ICI.

Repères technico-économiques. Le Crapal a réalisé un document technique pour valoriser la vache nantaise « Repères pour s’installer et développer son élevage de race nantaise » : oui, le projet de Laurent Chalet est économiquement viable… la preuve :
 
crapal__1_.jpg CRAPAL (1).jpg  (7.95 Mo)
crapal__2_.jpg CRAPAL (2).jpg  (8.89 Mo)




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