30/08/2012

Wilfried N'Sondé, l'écrivain sans racines


L'écrivain Wilfried N'Sondé est né au Congo, il a grandi en France, il vit à Berlin... Un vrai personnage de l'humanité errante d'aujourd'hui ! Un écrivain moderne, donc, qui ne cesse de surprendre. « Fleur de béton » est son dernier roman : on sait bien que sous le béton peuvent percer la lumière et l'espoir.


C'est au festival Etonnants Voyageurs de Saint Malo, en 2007, que Wilfried N'Sondé fait son entrée en littérature avec un premier roman "Le coeur des enfants léopards", couronné par le Prix des Cinq Continents de la francophonie ainsi que le Prix Senghor de la création littéraire. Après "Le silence des esprits" en 2010, il vient de publier, toujours chez Actes Sud, son dernier roman "Fleur de béton".

Etonnants Voyageur 2012. À l'animateur de la table ronde " Rêves d'ailleurs" qui l'interroge sur son attachement à ses racines congolaises, il répond : «  Je ne suis pas un arbre. Mes racines sont là où je suis. Né au Congo en 1969, j'ai vécu en France ma jeunesse et aujourd'hui, je vis à Berlin. L'origine d'un être humain n'est pas un lieu. Je viens du ventre de ma mère. On n'a pas de racines, on n'est pas des plantes. L'histoire de l'homo sapiens est une histoire d'errance. J'ai reçu un héritage et un héritage, on peut l'accepter ou le refuser. »

L'écrivain Wilfried N'Sondé est de cette trempe-là, porté par l'amour de la vie.  « Je trouve extraordinaire d'être en vie, d'être avec des gens que j'aime et qui m'aiment. J'ai aussi une espèce de croyance naïve que la vie des êtres humains peut être meilleure. Pour cela il faut parler, écrire, chanter, se rencontrer, ce sont des choses très simples, une espèce de foi en l'humanité, d'amour de l'humanité.   »

Entre père maoïste et mère catholique

« Mon père a rencontré Mao en 1965. "Oser lutter, oser vaincre les difficultés" cette phrase du Petit Livre Rouge l'avait séduit. » Le vieux militant maoïste a 76 ans aujourd'hui et se rappelle de ce voyage avec d'autres artistes dans la Chine du Grand Timonier, séduit par l'organisation et la mise en valeur des plus humbles et des plus modestes. « Il a gardé du maoïsme beaucoup de volontarisme même si il a été déçu et conscient qu'il y avait beaucoup de choses à jeter. Dans beaucoup de mouvements politiques, l'idée est belle même si la pratique ne l'est pas. » La mère de Wilfried est née dans une famille aisée, catholique pratiquante. « Elle y a reçu une espèce d'enseignement de la révolution, comprise comme la conscience que les choses doivent changer, surtout la lutte contre la misère économique et intellectuelle. »

Quand la famille arrive en France en 1973, elle est prise en charge par une assistante sociale, est habillée par le Secours Catholique et habite dans un quartier pauvre de Melun. «  Mon père disait à mes frères et soeurs et à moi que le monde nous appartenait, qu'il fallait aimer la vie parce que c'était un trésor.  »

Pour vivre, l'artiste céramiste donne des cours de travaux manuels et range les caddies dans le parking d'un grand supermarché. «  C'était un mélange intéressant, cela nous donnait l'exemple qu'il n'y avait pas de sots métiers. Il était manoeuvre, prof et peintre-céramiste. Il fait partie de cette génération d'artistes qui ne considéraient pas l'art comme quelque chose de commercial. Il offrait ses oeuvres plutôt que de les vendre.  »

L'envol

Wilfried N'Sondé fait une licence à la Sorbonne puis sa maîtrise de sciences politiques à Nanterrre. « A la chute du mur, j'ai eu envie d'aller voir. C'était les vacences de Noël, on est parti avec mes frères, c'était fantastique d'avoir 20 ans à Berlin ! » Il y rencontre des gens, garde des liens et quand, en 91, il se fait virer de sa chambre de bonne, c'est tout naturellement qu'il répond oui à la proposition des amis berlinois.

« Être à Berlin, ce sont des choses qui se passent simplement. J'ai un logement, je trouve du travail, j'étais responsable d'échanges internationaux de jeunes. J'ai eu un enfant, puis deux et puis voilà. Ce n'est pas organisé, pensé, c'est la vie qui impose ses règles. » Il travaille quinze ans avec des jeunes et leur famille dans un quartier difficile de la capitale allemende, jusqu'en 2009 où il décide de se consacrer complètement à la musique et à la littérature. 

« Nous héritons tous d'une histoire tragique »

Qu'il chante ou qu'il écrive, Wilfried N'Sondé vibre d'un héritage qu'il a accepté. « Nous héritons tous d'une histoire tragique, d'une histoire de racisme. Le contrôle  au faciès c'est humiliant, stupide, énervant . Pour changer cela, il faut en parler, il faut écouter les gens qui en sont victimes. Quand je discutais avec mes amis étudiants dans les années 80/90, ils ne me croyaient pas. On en parle aujourd'hui mais il faut que tout le monde s'y mette. La rencontre est importante: plus on est ensemble, plus on est conscient des difficultés que les uns et les autres vivent. »

Wilfried N'Sondé a mal vécu l'hommage du Président de la république à Jules Ferry « qui affirmait qu'il y avait des races humaines et qu'à part  les Européens, les autres étaient de races inférieures, Même s'il a fait aussi de bonnes choses, c''est troublant d'avoir une élite politique qui ne pense pas à dire les choses différemment. C'est compliqué d'être apaisé : Jules Ferry considérait les gens comme moi comme inférieur et le président lui rend hommage.C'est comme si la société française nous proposait de choisir entre le pire et le très pire : ou on est de trop et mal intégré,  ou on se tait, on doit être contents et rendre hommage. »

Tous et toutes concerné(e)s

Wilfried, le descendant de marchand d'esclaves, a composé un morceau de musique sur la traite. « Cela ne m'intéresse pas beaucoup que ce soit des blancs qui ont mis des noirs en esclavage. Je ne crois à ces catégories-là. Pour moi, il n'y a pas des" blancs" et des "noirs". Il y a des êtres humains qui ont considéré d'autres êtres humains comme des marchandises.  Il ne s'agit pas de trouver des responsables. C'est plutôt de se dire que c'est une vraie plaie de l'humanité de ne pas considérer d'autres êtres humains comme des êtres à part entière et de justifier ainsi la mise en esclavage. C'est quelque chose qui nous concerne tous. »
 
De la même façon, quand on lui parle de la banlieue, la "catégorisation"  ne l'intéresse pas. Il ne sait pas ce que c'est, dit-il  « Ce qui m'intéresse, c'est la vie des pauvres, c'est cela le problème dans ce monde. Il y a trop de pauvres, qu'ils habitent en banlieue, à la campagne ou dans les villes, on s'en fiche. De vivre dans une société qui produit de la misère et de la pauvreté, cela me révolte. C'est la misère et la pauvreté qui créent entre autres des situations où certains sont exploités, mis en esclavage, brimés. Il faut se battre contre cela. Se battre pour la dignité des opprimés pauvres, c'est participer à  sa propre dignité. On ne fait pas cela pour les autres, on fait cela pour soi, pour nos enfants et cela nous regarde tous.   »

Marie-Anne Divet


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