19/03/2020

Tous égaux devant la justice : la lutte d'Anne-Sarah Kertudo, de "Droit Pluriel"



Droit pluriel.mp3  (2.09 Mo)

On dit parfois que la justice est aveugle et sourde.D'autres peuvent l’être aussi. Durant son enfance, mal-voyante et mal-entendante, Anne-Sarah Kertudo multiplie les stratagèmes pour ne pas le montrer. À 14 ans, cependant, elle perd complètement l’audition et doit être appareillée. Cela ne l’empêche pas de poursuivre des études. Elle intègre la faculté de droit d’Assas. Malgré de bons résultats pendant l’année, elle échoue trois fois au concours d’avocate. Son meilleur ami, Mathieu Simonet, lui-même fraîchement promu avocat (qui a d’ailleurs écrit un livre sur elle «  Anne- Sarah K. » et réalisé un film du même nom ) est intrigué. Il découvre que ses copies, au lieu d’être anonymes, sont marquées d’un H infamant (pour Handicap ) et pas corrigées. Il gagne son premier procès pour discrimination. 

C’est un déclic pour Anne-Sarah. Jusque-là, ses handicaps lui avaient occasionné des moqueries mais pas de l’injustice. Elle apprend alors la langue des signes. En 2002, elle ouvre la première permanence juridique en LSF à la mairie du 9ème arrondissement de Paris. Pendant 10 ans les sourds, en majorité analphabètes, viennent de la France entière, car c’est la seule instance de ce type pour eux. Anne-Sarah se bat pour cette « population marginalisée, isolée, totalement oubliée du système ». En 2005, grâce à son acharnement, elle obtient que la loi inscrive la présence d’un interprète en LSF lors de procédures au civil impliquant des personnes malentendantes. En 2010, elle organise aussi une manifestation-choc avec un procès dans le noir au Palais de Justice de Paris. 

Un droit, pas de l'assistance

En 2012, Anne-Sarah devient complètement aveugle. La langue des signes ( sauf la version tactile ) lui est désormais inaccessible. La permanence doit fermer. Loin de se décourager, elle fonde alors l’association Droit Pluriel pour l’égalité de tous devant la justice. Elle explique : « Je ne travaille pas dans le champ du handicap mais pour l’égalité. Les questions que nous défendons ne touchent pas une minorité de la population mais l’ensemble des citoyens pour une justice équitable. La question du handicap doit aujourd’hui se poser en termes de droit et non plus en termes d’aide ou d’assistance. »

L’association a plusieurs missions. La première est de sensibiliser au handicap, notamment avec l’exposition itinérante « " Tes yeux sur mes oreilles". Anne-Sarah a également réalisé un documentaire « Parents à part entière, être aveugle devant la justice » pour l’émission À vous de voir sur France 5.

La seconde mission est de former, notamment par la création de CDAD, conseil départemental d’accès au droit : « La société est composée d’individus qui ont tous des besoins spécifiques. Il s’agit aujourd’hui que les lieux et services soient réellement accessibles à chacun (…). Cette accessibilité doit se construire avec les citoyens eux-mêmes afin d’être vivante, c’est-à-dire répondre aux situations et s’adapter aux évolutions sociales. »
L’association propose aussi une formation qui s’adresse autant aux magistrats qu’aux avocats ou autres et s’intitule « Professionnels du droit et handicap ». Depuis 2015, Droit Pluriel a également ouvert un diplôme universitaire à l’Université Catholique de Lyon « Le handicap dans l’accès au droit », pour préparer les juristes à l’accueil d’un public handicapé. 

Quinze ans après la loi de 2005 sur l’intégration, il reste beaucoup à faire dans le domaine de la justice. Anne-Sarah Kertudo n’a peut-être pas la vue ou l’audition, mais possède une voix forte pour constamment le crier au monde et faire bouger les choses.

Lydia Goubier

Sources :
SurdiFrance
Droit Pluriel


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