17/02/2011

Pourquoi j'ai quitté Facebook


Violette, 24 ans, est étudiante à Rennes. Début 2011, elle avait 496 ami(e)s sur Facebook. Elle explique pourquoi elle a quitté le réseau social.



Facebook pour fake look...

J'aime! J'aime, j'aime, j'aime... Mais pourquoi ai-je quitté facebook puisque ce n'est qu'amour, amitié, scoops toujours? Quand je vois refléter la désolation de mon suicide social dans les yeux de la majorité d'entre vous, je tente d'y trouver... de l'ironie? C'est ici que je me dégage de vos arguments sponsorisés, telle une strip teaseuse, je jette mon soutien gorge à vos pieds afin de dévoiler mon cœur.

Car il est bien question de cœur... Selon Facebook, j'étais une femme, amie avec 496 personnes. J'aimais le reggae, la Bretagne, et étais prête pour une révolution en France. Mes photos me représentaient en bodyboardeuse, blonde avant, brune maintenant. Point. Mon profil était le prolongement de ma vie, avec des phrases d'esprit à retenir pour un éventuel statut, des connaissances nombreuses, diverses et attentionnées.

«Nous savons que nous nous mentons»

A raison d'une vidéo mise en ligne tous les deux jours, je comptais mes « j'aime », comme un jeu sans règles. Un cri de « Aimez moi! Regardez ce que j'ai trouvé, ce que je diffuse, informez-vous, changeons le monde! » (et notez l'éclectisme des vidéos)... Plusieurs étapes de ma vie étaient ainsi mises à jour pour tisser le fil rouge de ma personnalité facebookienne à la manière d'un serpent qui se meut dans l'illusion. 

Les voyages que mon ancien travail m'a amenée à faire m'ont permis d'établir un grand réseau de connaissances diverses, professionnelles et personnelles. Désormais étudiante, je commençais à être lasse de ces relations, comme une sensation d'être constamment à actualiser le passé au lieu d'avancer. Tu en es où? Que fais tu maintenant? Le syndrome du Copain d'Avant est superficiel et fondé sur le jugement. 

A la manière de la télévision, les facebookiens prennent le sensationnel comme vrai, les sentiments comme produits et le rire comme échappatoire.  Je n'ose dire qu'il s'agit là de mimétisme inconscient. Les gens ont accepté de se ranger sagement dans des cases pour être accueilli ou recueilli dans une communauté, alors qu'ils ne sont que cueillis par des sociétés privées. 

J'ai entendu à la radio dernièrement que Facebook participait à la bonne estime de soi, puisque des gens mal à l'aise en société peaufinaient et diffusaient un profil flatteur. Comme c'est efficace! C'est utiliser un pansement Mickey pour une mutilation. Faux-semblants, glorification du moi qui n'existe pas, photos retouchées, travaillées et poses calculées...  Avec comme couvert la fameuse phrase « mais je suis sans complexe, j'assume ». 

« Soyez épanouis, devenez vous-même », tant de conseils qui nous pressent à devenir une Ginette Venus ou un Hugo Boss. Mais quand on prend conscience du relief de son visage sur le miroir, on accepte mal de se mentir à ce point. Au fond, nous ne sommes pas dupes et savons que nous nous mentons. Parce que si la dépression n'a pas de profil sur Facebook, c'est qu'elle en est la skin. 

«Mon profil est maître et juge de ma vie sociale»

Voici donc la démarche... Un profil est trop précis pour être authentique, et donner les grandes lignes de sa personnalité, c'est la censurer, c'est oublier son caractère changeant qui rend fous les scientifiques depuis tout temps! Mon profil était peu rempli, et j'ai commencé à y réagir : Je ne suis pas que ça!
  
Suivaient alors les injonctions du site, « dis nous ce que tu aimes, et tu en seras gratifiée, les gens sauront, connaîtront ta vraie personne... » Mais, me débattais-je, je ne peux pas mettre dans des cases ce que j'aime, je ne peux être aussi tranchée dans mes avis, dans mes goûts, je suis bien trop nuancée! Ai-je le droit de l'être? Mais mon profil est maître et juge de ma vie sociale... 
 
Je fus partagée entre la Révolution du Jasmin rendue possible notamment par Facebook et ma volonté de participer à changer les choses dans notre société. Seulement, la publicité 2.0. m'a surprise au point d'en avoir le cœur net. Sûre de la confidentialité de mon compte (sans application ou jeux abrutissants), tel ne fut pas mon effroi de constater qu'un mot clé avait été retenu dans un petit commentaire du statut d'un ami. Les pubs en lien direct avec mon message me suivirent jusqu'à Youtube et stoppèrent, après la suppression de mon compte. 

Facebook a donc mis à bas mon estime en me mettant face à un grand dilemme: si je ne disais pas tout ce que j'aimais dans la vie, les gens ne sauraient jamais qui je suis vraiment, je perdrais alors mes valeurs d'authenticité. Or, ces valeurs comprennent aussi un refus d'être fichée, de collaborer avec les pulsions capitalistes du fondateur du site et de permettre à des gens inconnus d'avoir accès à mes pensées, à mes idées et mes amours...

«Retrouver l'illogisme qui fait le charme de tous»

Mon « départ » fut vécu comme un acte de courage et de confiance. J'ai écrit un mail invitant tous mes amis à garder le contact. J'ai été surprise par un engouement total, allant du « what's wrong with you » à « bravo, you did it », pour arriver à me sentir riche de souvenirs et de vrais amis... J'ai zappé la logique de marketing du moi, en retrouvant l'illogisme qui fait le charme de tous.   

Désormais, je fais confiance en mon destin si je dois retrouver des connaissances. Croire en la magie du lieu et de l'instant, et aimer de toutes façons et de toute manière, sans plus jamais associer un clic à un « j'aime ». Je suis retournée aux sources des relations privées, avec un goût d'authenticité qui, ma foi, s'agrémente parfaitement d'un cœur en phase avec lui-même. 
 
Ce réseau chéri et surenchéri, ce fond bleu et ses petites taches rouges quotidiennes, je lui souris car il m'a servi à réintégrer le vrai partage, les attentions directes, le one-to-one, la confiance en soi... Rescapée de l'emprise de Facebook, je proclame ma sûre-vie!

Violette Goarant

NDLR: le titre et les intertitres sont de la rédaction.


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