10/07/2014

Paula incarne une jeunesse mondiale qui s'indigne et s'engage


Elle est lumineuse Paula, elle pétille. Née en Colombie, elle a découvert, adolescente, le combat social, en Espagne. Depuis lors, en constante quête de sens et de changement, elle s'indigne, milite et s'engage.


Elle arrive juchée sur une grande bicyclette jaune à sacoches, « un vélo de la Poste recyclé » précise-t-elle. Son regard est partout. Ses fleurs préférées : les arums que le muraliste militant mexicain Diego Rivera a si bien peints.
 
Pour cet été, elle prépare une « balade engagée : on y verra Rennes « autrement » avec la visite de lieux évocateurs de combats pour la Solidarité, les droits humains, la préservation de la planète. 
 
Elle raconte ses questionnements, sa militance, son combat avec les Indignés.
 

Se positionner par rapport à l’Histoire

Paula est née à Bogota, « l’année de la chute du mur de Berlin » souligne-t-elle, dans un foyer catholique.  Elle a 9 ans quand sa famille part s’installer en Espagne.Très tôt, elle se questionne : « Je me sentais étrangère, m’interrogeais sur mon identité. A 15 ans, je me suis inscrite au catéchisme. Je questionnais et on me répondait "Dieu l’a voulu ainsi ": ça ne me convenait pas, ce n’était pas une réponse. » 
 
Une enseignante dit un jour que la vie est une vallée de larmes et, définitivement, Paula ne s’y retrouve plus. Premier choc pour sa famille : « Mes parents étaient conservateurs, dans la vision de la famille… J’étais plutôt à côté de la plaque. »
 
Un peu plus tard, une amie de lycée évoque la manifestation pour la 3ème République en Espagne, l’abolition de la monarchie. « Je suis allée pour la première fois à une manifestation à l’insu de mes parents… J’achetais des journaux. Mon engagement militant a commencé là. »
 
Dès lors, Paula, qui a la double nationalité (colombienne et espagnole), cherche un positionnement, au regard de sa propre histoire mais aussi de l’Histoire.

Un stage « mémoire et réconciliation »

Elle s'interroge sur les dictatures en Colombie et en Espagne : « En Espagne, j’ai participé à une commission sur les crimes franquistes pour qu’ils ne restent pas impunis. »
 
Sur la Colombie, elle questionne ses parents. Ils lui donnent leur version. Dans le doute, elle cherche ailleurs. La vérité qu’elle découvre la stupéfie : « La Colombie : soixante années de guerre civile, de barbarie. On nous fait croire que c’est un conflit entre camps mais il y a aussi l’Etat, sa complicité avec des para militaires… L’ex président Álvaro Uribe Vélez a été un dictateur sanguinaire mais le scandale est sorti trop tard au tribunal international.  »
 
Ces découvertes sont un temps fort de son existence, de ses choix. Elle fait même un stage dans un centre de mémoire et réconciliation : « En Afrique du sud, au Pérou, au Guatemala il y a des processus de réconciliation. En Colombie, des tentatives, mais on n’arrive à rien. »
 
Aujourd’hui, elle porte ses propres valeurs.  « De culture colombienne, j’ai construit mon identité en Espagne. J’ai toujours été un peu différente pour mes parents : ce n’est pas bien de militer. Mais je les  comprends, ils ont peur pour moi. »
 

Langue et musique pour appréhender d’autres cultures

En fac, Paula fait langues étrangères appliquées pour être traductrice interprète. Rêve de travailler à l’ONU : « Je me disais "le monde va très mal, je pourrais aider un peu."J’étais naïve ! Maintenant j’ai un regard plus critique sur les institutions. » 

Passionnée par les langues, la rencontre avec d’autres cultures, elle s’inscrit au programme Erasmus pour venir en France. Elle adore le français et Prévert. Elle a aussi beaucoup appris avec la musique : La Rue Kétanou, Tryo, Brassens...
 
Elle débarque à Rennes en 2010. « Depuis 2007 il y avait la crise en Espagne. Mes parents ne pouvaient pas m’aider. Ca ne m’a pas fait pas peur : en Espagne, je faisais déjà des petits boulots. »

A la découverte des pays de l'est

A Rennes, Paula fait du baby-sitting, poursuit ses études, milite dans un organisme qui se penche sur les solidarités internationales. Mais sa famille et surtout sa petite sœur lui manquent : « Cette année m’a permis de découvrir plein de choses sur moi. C’est aussi pour cela que je tiens à Rennes. »
 
L’été, elle découvre le vidéobus en recherche de bénévoles en animation socioculturelle. « Je n’avais jamais fait ça, mais découvrir la Roumanie, la musique des Balkans… Je me suis dit, "pourquoi pas ?» Via la Biélorussie et la Pologne, elle arrive dans un village roumain. Les Roms y sont victimes de ségrégation. Elle organise des animations de rue destinées à faire jouer ensemble « tous les enfants pour casser le racisme ». 
 
C’est là qu’elle se lie avec un jeune bénévole rennais. Mais elle doit repartir terminer sa licence en Espagne. 
 

Avec les Indignés en Espagne

En 2011, la vie en Espagne est difficile, mais on veut privatiser les universités : « Des étudiants quittaient leurs études. On sentait un vrai malaise : malgré des manifestations avec les enseignants, ça avançait dans le mauvais sens. »
 
Au printemps, le mouvement gagne le reste de la population : « Le lendemain du 15 mai, des milliers de gens étaient dans la rue, des citoyens sans signe d’appartenance à un groupe : ni logo, ni parti, ni syndicat. On se sentait soudés. »
 
Le mouvement des Indignés est né. Paula en est. 
 
Lorsqu'elle l'évoque, elle insiste : « Pas de hiérarchie, ça ne veut pas dire pas d’organisation. La question de la démocratie participative est compliquée mais je pense que là, elle était réussie. »

Des commissions sont mises en place : droits des migrants ; environnement ; respect ; féminismes « au pluriel » précise t-elle ; médias où une télévision internet propose reportages quotidiens, récits de vie, etc. Pour Paula, la commission « respect » est importante : « La nuit dans les tentes, il fallait garder le silence, c’était le garant de la bonne ambiance, des valeurs : on était là pour rassembler des idées, une intelligence collective. » 
 
Des assemblées générales, sur la place publique, restituent les travaux des commissions, soudent le mouvement.
 
Paula va partout mais s’inscrit plus particulièrement dans deux commissions : féminismes  parce qu’elle est « pour un féminisme qui ne va pas oppresser mais écouter, essayer de comprendre sans préjugés. »  ; migrants  parce qu’elle se sent migrante en Espagne : « J'avais un accent latino-américain. » 
 
En septembre, les Indignés sont expulsés : « Le campement a été dévasté. Les violences policières réprimaient les mouvements vers le Parlement. Des pseudo journalistes disaient qu’on était des hippies, qu’on ne foutait rien ! » 
 
Même si elle n'est plus aujourd'hui à leurs côtés, Paula tient à dire que, même si on n'en parle plus, les Indignés sont toujours là et actifs dans un processus d’auto-organisation : « Il y a des collectifs de quartiers pour promouvoir la solidarité, de la bonne humeur malgré la crise : des flash mob, des animations dans les lieux publics, etc. » 

Paula.mp3  (4.4 Mo)


Un service civique à Rennes

En 2012, Paula a terminé sa licence. 
 
Elle aimerait rester avec les Indignés mais a la nostalgie de son amoureux, de Rennes et, aussi, le master coûte entre 5 000 et 8 000 € en Espagne : « J’étais partagée entre toute la force dégagée par le mouvement des Indignés mais, 25 % de chômage en Espagne, c’était aussi une réalité. »
 
Elle revient donc, s’inscrit en master « Les Amériques : politique, espace, société » pour la coopération internationale.
 
A l’issue de son master se pose la question de son avenir. Elle a peur, avec un bac plus 6, de ne trouver qu’un petit boulot pour survivre comme en Espagne. « Je me suis dit qu’il me fallait acquérir de l’expérience : j’ai envisagé un service civique  et un poste m'a été proposé dans une association rennaise. »

« Partagée et plurielle »

Sur son éventuel sentiment d’appartenance, Paula dit : « Ma vie, ma famille, mes souvenirs sont importants. J’adore la culture latino- américaine, je me sens de là-bas, mais j’ai vécu dix sept ans en Espagne. Difficile de choisir ! Un chanteur dit "je ne suis ni d’ici ni de là-bas parce que mon pays ce sont mes amis". Je me retrouve dans cette chanson. »
 
L'homme qu'elle aime est à Rennes, elle y a construit des relations, y est active, mais elle précise  : « Les lieux où je vis, mes engagements, ce que j’essaie de développer au niveau citoyen, c’est aussi très important : construire un jardin collectif, une épicerie solidaire… Tout cela fait sens pour moi. Je me sens partagée et plurielle mais j’aime là où les gens me font me sentir bien. »
 
Crise oblige, sa famille a dû repartir en Colombie. Elle lui manque, mais elle souhaiterait rester ici : « Je termine le 5 juillet, après l’université d’été du CRID. Je ne sais pas ce que je vais faire, mais je suis optimiste. J’aime créer du lien et je voudrais faire de l’interprétariat plutôt que de la traduction où tu ne rencontres pas toujours les personnes. »
 
Et elle conclut dans un rire : «  Pour l’instant, je cherche, je me cherche encore… » 

Dominique Crestin
Photos Noémi Crestin
 

Pour en savoir plus :

-       Courrier international N°1073 du 26au 31 mai 2011 : « L’indignation est-elle une politique ? »
-       Carlos Taibo : « Nada será como antes – Sobre el movimiento 15-M » - Editions CATARATA 2011

Actions de Flo6x8, collectif qui dénonce les mauvaises pratiques bancaires en organisant devant ou dans les banques espagnoles des performances de chant et de danse flamenco :
-       Flo6x8 en Banco de España contra Agencias de Rating (mai 2011) 
-       Flo6x8 : Bankia, pulmones y branquias (bulerías) 
 


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