12/10/2011

Nous avons rencontré Sophie Fontanel ( « L'Envie » )


Ne pas avoir de vie sexuelle, dans la société d'aujourd'hui, c'est être anormal. Dans son livre « L'Envie », ouvrage subtil, sombre et fort bien écrit, Sophie Fontanel lève ce tabou. Lors d'une entrevue à Bruxelles, elle s'est confiée.


« Pendant une longue période qu'au fond je n'ai ni à coeur de situer dans le temps, ni d'estimer ici en nombre d'années, j'ai vécu dans peut-être la pire insubordination de notre époque, qui est l'absence de vie sexuelle. Encore faudrait-il que ce terme soit le bon, si l'on considère qu'une part colossale de sensualité a accompagné ces années où seuls les rêves ont comblé mes attentes (...) »

Cet après-midi là, Filigranes, la célèbre  librairie bruxelloise, accueille Sophie Fontanel pour parler de L'Envie, son dernier roman, largement autobiographique publié chez Robert Laffont. Libé, les Inrocks, Le Parisien, le Sunday Times, France Inter, canal plus, France 2 et tant d'autres : partout on ne parle que d'elle... Ici pourtant, au milieu d'un public presque exclusivement féminin, sa présence discrète tranche avec le ras de marée médiatique qu'elle provoque...  

Pantalon velours milleraies et tee-shirt bleu coordonnés, exquise ceinture dorée, la journaliste de Elle, 49 ans,  s'installe sur le haut tabouret et fend son visage mobile d'un sourire adorable. Elle est culottée cette femme de hisser le drapeau blanc de son abstinence dans ce monde érotisé jusqu'à l'écoeurement...  « J'ai écrit un livre qui parle des moments dans la vie où on se retrouve assez incompétent avec son rapport à la sexualité et où on s'arrête...  », explique-t-elle au micro d'Aurore Dumont... Soudain prise d'un frisson, elle s'enroule dans une écharpe et visse ses grandes jambes l'une dans l'autre...

Des pressions directes ou insidieuses

Un premier rapport trop précoce, qu'on devine pas réellement consenti, ouvre le bal à une vie sexuelle désenchantée... « Je le dis dans le livre, je n'en pouvais plus qu'on me prenne et qu'on me secoue »... Commence alors une vie sans sexe, avec son chapelet d'humiliations et de pressions directes ou insidieuses de son entourage pour la faire rentrer dans le rang, celui des gens normaux qui s'accouplent. « Ma liberté devait être assortie d'une disponibilité sinon elle était désordre  », confie la narratrice. 

Sa « contreperformance » prend notre époque priapique à rebrousse poil et trouve un accueil incroyable auprès du public. Depuis sa sortie fin août, les ventes de son livre s'envolent, « 1 000 exemplaires achetés par jour, essentiellement par des femmes qui reviennent pour l'offrir », affirme Elisabeth Franck, son attachée de presse.

Le livre va êre traduit en Angleterre, en Espagne, les Américains s'y intéressent ; « Des journaux du monde entier la sollicitent », poursuit-elle... Sur les forums, sur Facebook, dans les commentaires de son blog sur Elle.fr « La vraie vie de Fonelle », dans les lettres : les  gens sont nombreux à lui dire merci dans des témoignages pudiques et bouleversants... « Vous écrivez ce que nous n'osions pas dire.  »

Diktat

Son succès hors norme montre à quel point notre temps ne cesse de faire le grand écart entre ce qu'il affiche à coup de prouesses toujours plus extravagantes et ce qu'il vit vraiment. « Tout le monde ment sur sa vie sexuelle », disait Jacques Lacan... Surtout à l'heure où jouir et réussir sont devenus non plus des droits, mais des devoirs. « La société fonctionne avec ce diktat que forcément on a tous un partenaire sexuel ; que bien entendu faire l'amour rend les femmes belles... Et cela parce que le sexe s'est infiltré partout comme une évidence. Alors que non, ce n'est pas si simple », note Sophie Fontanel.

Cet ouvrage subtil et sombre, très écrit, campe une analyse au scalpel des moeurs de nos « foules sentimentales » et de nos solitudes contemporaines. Les couples s'y délitent souvent, sombrent dans l'ennui ou la perversité, la femme célibataire y est envisagée comme « un produit à qui il faut donner sa chance », confie-t-elle horrifiée... 

Réconcilier l'esprit et le corps

Même si Sophie Fontanel s'en défend, sa plume d'une acuité parfois cinglante raconte en creux notre inaptitude à nouer des liens ou à les faire durer et la peur presque archaïque de la relation à l'autre. « Finalement, vous n'êtes maîtresse de vous même que lorsque vous n'êtes la maitresse de personne », lui glisse Guillaume Erner journaliste à France Inter. 

Mais L'Envie esquisse également, dans une langue maitrisée, impeccable, un hymne délicat à la réconciliation d'un esprit avec son corps. « Renouer avec sa part d'animalité n'est pas facile », avoue l'écrivaine qui précise : « Je m'étais égaréee dans le rêve des choses. Le refuge, après l'avoir tant cherché, je l'avais trouvé, une geôle. Mon intégrité était une armure. (...) »

La grande force de Sophie Fontanel est d'avoir su transcender ses fragilités, ce qui fait aussi qu'elle capte la vie comme personne. En ce sens, L'Envie s'inscrit dans le sillon de Grandir, son livre précédent, opus magnifique sur la relation d'une fille à sa mère, glissant dans le grand âge et la dépendance. 

Sublimer ses faiblesses, au prix fort parfois, pour prendre pleinement possession de soi-même. « Les éléments de ma révolution ne clignotaient pas seulement dans les miroirs où je me rencontrais de nouveau, ils signalaient à tous mon retour. J'avais un reflet. J'étais revenue. »

Bienvenue...
 
Texte et photo Agnès Moyon
 
- L'Envie, chez Robert Laffont, 160 pages, 17 €
 
Pour aller plus loin :

- Sur Filigranes tv
 
- Sur France-Inter, Service Public  
 
- Et si l'on réécoutait Foule Sentimentale d'Alain Souchon ?
 


Dans la même rubrique