12/01/2012

Les anciennes de New Man, leur chemise citoyenne et leur emploi à recoudre chaque jour


C'est une histoire de femmes, licenciées à la fermeture de leur usine et qui recréent elles-mêmes leur atelier : AD Confection. Chaque jour, à la périphérie de Cholet, les anciennes de New Man confectionnent une histoire de résistantes plongées dans la grande compétition ouvrière mondiale.


Danielle Simonneau (à g.) et Annie Pillet
Elle aura souvent eu les larmes aux yeux, Danielle Simonneau, dans le petit bureau annexé à l'atelier et encombré de modèles. L'entretien a charrié un paquet d'émotions ! Il est vrai que l'aventure humaine qu'elles vivent à une petite dizaine, ici, dans la zone artisanale de la Caille, à Nuaillé, depuis trois ans, est à la fois minuscule et énorme...

Au milieu des années 2000, dans l'usine New Man de Cholet, rien ne prédestine Danielle Simonneau et Annie Pillet à devenir un jour patronnes ! Danielle est au service du personnel, Annie est responsable de l'atelier. Depuis plus de trente ans qu'elles sont chez New Man, elles ont seulement vu les usines et l'emploi s'effilocher. A ce moment-là, les dirigeants, d'ailleurs, « ont l'honnêteté de dire qu'il n'y a plus d'avenir ».

« On veut du matériel et de l'argent »

Toutes les deux, elles commencent donc à chercher du boulot. « À 52 ans, ce n'est pas simple ; on avait des responsabilités qui nous plaisaient bien, on avait donné toute notre vie pour arriver à quelque chose, et on ne trouvait rien.  »

Autre chose se profile. Sur Cholet, deux ouvrières licenciées quinze ans plus tôt ont créé leur petit atelier et s'apprêtent maintenant à  prendre leur retraite. Annie l'apprend, en parle à Danielle : « Elle me dit : "Je crois que je vais racheter une entreprise mais je veux le faire à deux." Je lui énumère des gens. En fait, c'était moi ou rien ! ». 

Nous sommes alors à la veille de Noël 2007. Au retour des congés, elles surmontent leurs doutes et foncent. Elles vont voir les dirigeants de l'usine et soumettent leur idée de racheter l'atelier. « Ils étaient heureux de voir qu'on ne se laissait pas abattre. On leur a dit : "On veut être licenciées seulement quand on sera prêtes, on veut du matériel et de l'argent, et de la sous-traitance mais seulement quand on le souhaitera."  » Pas question d'être dépendantes, trop dangereux.

 

 


« Les filles, vous voulez emmener tout New Man ? »

La direction dit banco. Alors, dans l'atelier de 5 000 m2, elles trient du matériel pendant deux mois : « Mon mari disait : "Les filles, vous voulez emmener tout New Man ?" » Le local que leur propose la Communauté d'agglomération à Nuaillé devient « un petit New Man : la table et l'armoire ici, les machines à coudre...Tout ce qu'on a.  » 

En mai 2008, Danielle et Annie sont prêtes. Elles sont licenciées. Elles reçoivent 7 500 € chacune au titre de la création d'entreprise : les 15 000 € permettent de racheter l'atelier de deux couturières de Cholet partant en retraite en reprenant les deux salariées. Parallèlement, la direction donne 6 000 € par salariée de New Man recrutée : elles en embauchent cinq.

Durant une semaine, elles aménagent l'atelier de Nuaillé en rameutant les copains : « On mangeait sur de grandes tables, ça a été une grande affaire humaine, les dirigeants de New Man sont venus, ils étaient bluffés. » En juin 2008, AD Confection démarre, avec neuf personnes et une soixantaine de machines dont certaines stockées dans un camion, dans la cour.

« C'est le retour au chômage ou on se remue »

Côté clients, AD Confection, en rachetant l'atelier, a repris du même coup le donneur d'ordres : le groupe Zannier, de Saint-Macaire-en-Mauges. Mais ça ne saurait suffire. Alors Danielle Simonneau passe des ressources humaines au commercial ! Et AD Confection passe le premier creux saisonnier de l'automne, malgré le marasme provoqué par la crise financière mondiale : « Nous la crise on connait pas, on était assez contentes de nous ! »

En mars 2009, gros pépin :  Zannier prévient soudain qu'il les lâche dès avril pour fabriquer à l'étranger. « On n'avait qu'un seul autre client. J'ai dit aux filles : "C'est le retour au chômage ou on se remue. On va leur prouver qu'on ne compte pas que sur eux, ça va peut être forcer leur admiration..." »
 
Les femmes d'AD Confection décident de créer leurs propres produits. « Laurence, à la coupe, travaille avec les carnavaliens de Cholet et elle a toujours des idées rigolotes. » Elles se lancent dans les sacs. Danielle va voir les marchands de tissu et remplit sa petite Panda de matière. Pendant une grosse semaine, elles fabriquent des modèles uniques. « J'ai remis les sacs dans la voiture et fait la tournée des popotes. »
 


« Vous ne savez pas ce qu'est un acte citoyen ? »

Tous les sacs sont vendus. Sauvées. Pendant un moment, durant le week-end, Danielle et Annie font les marchés, les fêtes, les galeries marchandes... Mais un autre idée leur trottine dans la tête : le  1er janvier précédent, Danielle est allée aux vœux du préfet pour son association. « Il y avait cinq-cents messieurs tous habillés pareil, en chemise blanche, le lendemain, je me suis dit : "c'est des chemises blanches qu'il faut faire !"  »

L'idée : le client passe commande sur le site, paye en même temps, AD Confection fabrique la chemise et l'envoie. Elle en parle à des professionnels du coin, qui doutent. Et ça, Danielle, ça la met en colère : « C'est pour empêcher les gens d'être au chômage. Vous ne savez pas ce qu'est un acte citoyen ?...  » ​ Les professionnels sont ébranlés par cette « chemise citoyenne », le concept germe et un journaliste tombe dessus. Le buzz ! Les journaux, les radios, les télés... 

Une chemise citoyenne, y compris pour le clergé

Une ancienne copine de New Man, patronière, est alors mise à contribution. Dès la deuxième année, grâce à la chemise citoyenne, les produits maison représentent le quart de l'activité. AD Confection a construit son image et c'est du solide. Il faut dire qu'il n'y a pas tromperie sur la marchandise : « La chemise est là pour maintenir nos emplois, tenir jusqu'à temps que le travail revienne ; on ne fait pas de marge dessus, on est clair, on explique comment le prix est décomposé. »

Tous les jours, AD Confection reçoit quelques commandes de chemise citoyenne. Celle-ci, qui représente 10% de l'activité, a séduit près de 450 clients et certains sont devenus des fidèles. Danielle Simonneau continue de démarcher. 
Engagée chez les parents d'élèves catholiques, elle titille le prêtre citoyen : « Nous avons créé un col romain pour le clergé, personne ne doit pouvoir dire qu'il n'a pas de raison d'acheter. »

Chemises, sacs, foulards... ici, on peut tout faire

La chemine citoyenne, « c'est la partie magique de notre histoire », ajoute-t-elle. Bien sûr, ce n'est pas toute l'histoire d'AD Confection. Danielle continue de faire du commercial « avec les tripes »,  à courir les salons et autres lieux utiles. Annie continue à passer d'un produit, d'un dossier technique, d'une machine à l'autre.  Rien à voir avec les produits uniques de chez New Man.

L'atelier travaille à 60 % en sous-traitance dont un quart avec Zannier : à cause des délais, le groupe est revenu en 2010 fabriquer ici les collections pour les commerciaux. Les clients sont des façonniers, des créateurs, ils sont en fait de toutes sortes. « Vous voyez là-bas la petite veste noire : c'est pour une brasserie parisienne, elle a commandé 40 vestes.  »

AD Confection sait tout faire : une chemise haut de game et des serviettes-bavoirs pour manger les homards, des petits sacs, des foulards, des tabliers... « Au printemps, nous avons été sollicitées pour habiller des seaux à Champagne au Festival de Cannes ; j'ai lancé : "Annie, tu peux fabriquer les robes !" » Depuis, AD Confection a ajouté l'évènementiel et aussi la décoration intérieure à sa panoplie : « C'est plus facile de faire de la marge sur des choses comme ça. »

Un combat permanent

Les salariées d'AD Confection s'adaptent en permanence. Des plans de formation conséquents ont été bâtis avec des fonds de la Région et de la profession pour qu'elles deviennent multipolyvalentes. « « Si par malheur, l'entreprise ne tient pas, on aura pris aussi les moyens pour qu'elles trouvent du travail ailleurs », ajoute Danielle Simonneau. 

On imagine bien que le travail, à l'atelier, est un combat permanent. « Des clients disent : "On veut bien faire fabriquer en France mais au même prix que la Chine. Les filles, elles, me disent : "Danielle, on veut bien manger du riz mais il nous faut aussi un dessert !" »

Les salariées sont payées un peu plus que le smic pour 35 heures, Danielle et Annie « environ 50 € de plus » ; aux neuf du départ se sont ajoutées, en 2011, trois couturières en contrat de professionalisation. Parmi les mille choses qui les unissent : l'inconnu permanent. Parfois, elle ont trois jours de travail d'avance, parfois trois mois. « Le pire, je peux leur dire le matin "demain, on reste à la maison" et dans l'après-midi "peut-être que ce soir vous allez finir plus tard". »

 


« Ne compter que sur soi »

Et pas question d'espérer un cadeau de la banque : « En février 2011, un client a laissé une ardoise de 15 000 euros ; on est allé voir notre banquier. On avait sept mois de travail devant nous, on était contentes. Il a dit : ce n'est pas ce qui est devant qui nous intéresse, c'est le résultat passé et il était prêt à nous enlever ce qui avait été accordé avant !  » 

« Ne compter que sur soi », telle est une autre règle chez AD Confection : « On n'a pas d'emprunt, on ne voulait pas. » Sans doute est-ce ainsi que vivent la cinquantaine de petits ateliers, sous-traitants de l'habillement de luxe principalement dispersés en Maine-et-Loire, Vendée, Mayenne, Sarthe... Dans la précarité et une solidarité sans faille. L'an prochain, en cas de malheur, Annie et Danielle n'auront plus de droits Assedic : l'une aurait pu être dirigeante, l'autre salariée et avoir des droits, elles ont voulu avoir le même statut pour le meilleur ou pour le pire.

Mais c'est aussi pourquoi, tout ça, « Ce n'est que du bonheur, même si ce n'est pas facile.  »

Texte : Michel Rouger
Photos : Marie-Anne Divet


Pour en savoir plus... et commander la chemise citoyenne : le site d'AD Confection
 

This browser does not support the video element.

Pour aller plus loin

Une autogestion aux mille visages

A la « une » des journaux, ce mois-ci, les salariés de Seafrance combattent pour relancer eux-mêmes leur entreprise. A l'imprimerie Hélio-Corbeil ( Essonne), une centaine d'emplois est sauvée par la reprise de l'activité en société coopérative ouvrière de production (Scop). Les salariés de Fralib (Unilever), qui fabriquent le thé Lipton, réfléchissent sur la création d'une société coopérative d'intérêt collectif (Scic), associant salariés, collectivités publiques et entreprises privées.
 
Des formes d'organisation économique s'ébauchent, d'autres comme les scop ont fait leurs preuves. Combativité pour lutter contre la peur du chômage, envie de prouver l'efficacité de formes de travail respectueuses de l'être humain, défi pour prouver qu'il y a d'autres façons de produire de la richesse... Dans ces vidéos qu'Histoires Ordinaires vous proposent de découvrir, il y a tout cela, en France et ailleurs.

Les femmes ne sont pas en reste et sont souvent, en Afrique, les moteurs de ce type de développement qui ne concerne pas que le travail. Ensemble, parce qu'ils et elles sont capables de partager leurs expériences et leur capacité à développer leur sens de la responsabilité, ces nouveaux acteurs économiques vivent une expérience inédite qui leur donnent du coeur à l'ouvrage et de la créativité.
 
« Entre nos mains », le documentaire de Mariana Otero, sorti en juin 2010 a montré aussi à quel point hommes et femmes doivent se découvrir ce courage de porter un projet industriel pour sauver leur emploi, tout cela avec humour, dans la force du collectif et de la solidarité.
 
Une interview de Mariana Otero
"Entre nos mains"    (bande-annonce)
Une coopérative de femmes   au Sénégal
Une coopérative de femmes   au Bénin (reportage de What Women Wish)
La coopérative Cocovico   d'Abidjan



Dans la même rubrique