21/06/2011

Françoise et Bernard n'aiment pas cette vilaine odeur de gaz


L’idée d'extraire des gaz et huiles de schiste pour répondre au manque de pétrole constitue un risque majeur pour l’environnement et peut freiner les efforts engagés pour le développement des énergies décarbonnées. En Provence, Bernard et Françoise, citoyens engagés, m'ont sensibilisé plus concrètement au problème...


Gréoux les Bains, en aval des Gorges du Verdon, accueille huit mois de l’année une foule de curistes venus profiter des bienfaits thérapeutiques des sources thermales. Ici l’eau est une ressource précieuse, fondement d’une économie prospère. Plus de trois-cents salariés des thermes en vivent directement sans parler des nombreux commerces, hôtels, restaurants, loueurs de gites et résidences… J'aime toujours,  en arrivant dans une nouvelle contrée, humer l’air du lieu : surprise, ça sent le pétrole, plus exactement le gaz de schiste.

Depuis Manosque un "Comité de résistance citoyenne" s’efforce, sur la Toile, de sensibiliser les habitants : « Un permis d'exploration pour rechercher des gisements de gaz de schiste sur 220 km2 a été déposé et concerne Gréoux les Bains ! »  Plus largement, c’est toute la Provence qui est concernée.

Dans les trois départements, se sont levés des collectifs de citoyens. Leurs objectifs : mobiliser les élus pour refuser d’abord les permis d’exploration, puis bien sûr d’exploitation ; appuyer aussi le mouvement qui s’est créé depuis fin 2010 au niveau national pour obtenir une loi (en débat au parlement et combattue par le lobby pétrolier)  établissant un moratoire arrêtant les projets en cours.

Surtout ne pas affoler le curiste

Qu’en disent alors les habitants de Gréoux directement menacés par les risques que font peser sur les nappes phréatiques les projet de forage ?  Une rapide enquête d’abord auprès de Michel mon logeur, toujours très bien informé, puis dans les commerces, sur le marché et auprès de quelques curistes m'amène à constater qu’il y a comme un fossé entre le buzz sur la toile et la vie réelle à Gréoux.

Pas une affiche, pas la moindre banderole, pas un signe d’émoi populaire… Je saurai plus tard que les édiles locaux, la direction des thermes et tous les acteurs économiques prennent bien soin de ne pas affoler les curistes en pleine saison thermale. Qui alors pourrait m’en apprendre davantage ?

Sur le site des collectifs citoyens, je lance un appel à contact . Ici ça bouge plus vite que sur le terrain. Un mail m’informe : « Nous serons à Gréoux à partir de demain. Ma femme et moi appartenons à un « collectif citoyen anti gaz de Schiste dans le Lubéron. On peut se rencontrer ». A 14 h le lendemain, nous sommes tous les trois à la terrasse des maronniers, cœur de la vie locale.

Françoise et Bernard, une vie d'engagement

à la terrasse les Maronniers, Françoise et Bernard Lecat
Bernard Lecat accompagne Françoise sa femme qui vient ici soigner une affection rhumatismale.  Le reste de l’année ils vivent à Lauris, dans le Lubéron où ils ont choisi de passer leur retraite. Citoyens et professionnels engagés, ils l’ont été toute leur vie, dans la ligné de parents qui leur ont ouvert le chemin.

Pour Françoise, un grand père humaniste, un père résistant qui fréquente Mendès France. Très jeune elle milite : « J’adhère au PSU à 16 ans ». Pour Bernard, des parents qui se sont connus à la JAC, la Jeunesse Agricole Catholique. Il avoue « être un peu passé à côté de Mai 68 », plus préoccupé par son départ en coopération en Algérie, il a milité dix ans au PC qu’il quittera après un séjour de trois mois à Cuba et en réaction à « l’embrigadement ».

Françoise après des études de Philosophie consacrera sa vie professionnelle à la médiation familiale. « J’ai eu la chance de participer à la création de la Fédération de la médiation familiale systémique» Et elle exerce son métier de travailleuse sociale là où il y en a vraiment besoin, dans le dur : aux Tarterets, à Grigny, à la Grandes Borne… Bernard a fait une longue carrière de formateur, développant la formation en alternance des ingénieurs qu'il a exporté au Pays Basque espagnol.  Il soutient aussi depuis plusieurs années des projets de commerce équitable avec l’ASPAL, Association de Solidarité pour les peuples d’Amérique latine.

« Quand tu vois ce film, il n’y a plus de place à l’hésitation »

Françoise maîtrise bien le dossier
Et le gaz de schiste dans tout ça ?« Nous participons à l’animation de La Strada, un cinéma d’art et d’essai itinérant qui tourne dans les communes du Vaucluse. C’est la projection du film Gasland cet hiver qui a été le déclencheur » précise Bernard... 

Le cinéaste Américain Josh Fox reçoit un jour une lettre de la société Halliburton l’invitant à louer ses terres pour y faire un forage. Cette société a développé une technologie de forage, la fracturation hydraulique. Mais cette technique est-elle sans danger ? Pour répondre à cette question qui le taraude Josh Fox va sillonner le pays et découvrir en chemin des secrets bien gardés, des mensonges et des toxines…

Françoise est formelle : « Quand tu vois ce film, il n’y a plus de place à l’hésitation ». Bernard poursuit : « Sachant que des permis d’exploitation étaient déposés concernant tout le Lubéron, nous avons été plusieurs  à se dire qu’on ne pouvait pas laisser faire ». C’est ainsi que Françoise et Bernard se rallient à un collectif créé au Thor prés de Lauris. « J’ai tout le dossier ici » s’écrie Françoise bradissant une pochette en plastique. Elle est incollable sur ce qui se prépare et ses conséquences néfastes « pour nous ici et pour la planète en générale ».

Petit résumé : le gaz de schiste est un gaz naturel emprisonné dans la roche (schiste) à environ 2 000 m de profondeur. Son extraction demande une "fracture hydraulique", procédé qui consiste à injecter, à très haute pression, de l'eau en énorme quantité mélangée à du sable et à prés de cinq cents produits chimiques  pour briser la roche et en libérer le gaz. « Tu imagines les effets sur l’environnement ! »
 
Pour comprendre ce qui nous attends on peut se fier à l’expérience des États-Unis : depuis une dizaine d'années, des centaines de milliers de puits d'extraction de gaz de schiste ont été installés. Mais des accidents ont contaminé des nappes phréatiques et le New York Times a publié une enquête révélant notamment la radioactivité de l'eau rejetée par les puits. Au Canada, on soupçonne cette méthode de provoquer des tremblements de terre.

Six permis en Provence

En Provence, « on n’en est pas là bien sûr. D’ailleurs, c’est ça qui rend difficile la mobilisation, les enjeux sont à long terme, pas encore concrètement palpables »  constate Bernard. Néanmoins cinq permis d’exploration terrestres et un permis maritime concernent la Provence. Deux permis d’exploitation ont d’ores et déjà été accordés Quatre autres sont en cours d’instruction dont celui de Gréoux les Bains et celui de Gargas qui couvre les 60 communes du Parc du Lubéron. «À Gargas,  jeudi, il y a une manif des élus du Parc avec les comité de citoyen, se rappelle soudain Bernard. Si ça te dis, on y va ensemble, ça sera pour toi l’occasion d’en savoir plus. »
 
C’est ainsi que deux jours plus tard, le 9 Juin, j’ai pu filmer le rassemblement et interviewer Jean-Louis Joseph, le président du parc du Lubéron,  Mathieu Caron un des animateurs les plus actifs des collectifs Provençaux et Elisabeth Bourgue  la « passionaria » de la lutte contre le gaz de schiste.

Françoise, occupée par ses soins, ne pouvait faire avec nous l’excursion militante à Gargas : « Elle enrage de ne pas être là. Tu sais, de nous deux c’est la plus accrocheuse. Elle n’a pas son pareil pour brandir les pancartes, diffuser les affiches et les tracts… C’est une bagarreuse », me confie Bernard manifestant avec retenue une tendre admiration pour sa femme.

Alain Jaunault



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