03/02/2012

Fatimata, franco-nigérienne et femme engagée


À la fois africaine et française, Fatimata Warou a trouvé sa place de femme dans les deux sociétés où elle vit. Avec l'association Mata qu'elle a créée en 2003, elle s'active entre le Niger et la France. Depuis peu, elle fait aussi partie des «  Femmes d'Afrique et de Bretagne en réseau » (FABER).


Fatimata.mp3  (13.58 Mo)


« Je n'ai pas choisi l'immigration, c'est l'immigration qui m'a choisie », précise d'emblée Fatimata Warou dans le local de l'association où elle travaille. Elle se rappelle de l'hôpital Necker où elle arrive avec son fils âgé de deux mois, atteint d'une maladie rare. Le verdict du médecin tombe : repartir au Niger, c'est condamner son enfant à une mort certaine. Le choix est vite fait : Fatimata quitte son poste d'enseignante et son engagement syndical au Niger. Les soins prodigués à l'enfant vont durer deux ans : elle va en profiter pour poursuivre sa formation.

À 30 ans, elle reprend le chemin de l'Ecole Normale comme auditrice, fait un DEA de sciences de l'Éducation puis commence une thèse avec le Professeur Villerbu, à l'université de Rennes, sur « les incidences psychologiques et sociales de la violence conjugale sur le devenir des enfants au Niger ». L' Éducation reste sa première préoccupation mais cela ne l'empêche pas d'observer la société de son pays à distance : la littérature africaine, le regard des étudiants africains sur la polygamie, les violences contre les femmes...

« C'est l'échange d'expériences qui construit une personne »

Fatimata poursuit son travail de thèse, cherche du travail et s'occupe de ses enfants. Bien sûr, elle participe à la vie associative « mais,  dit-elle, je faisais la cuisine, on ne me voyait pas comme une femme engagée, pas comme une femme avec des ambitions, je gardais mes enfants et puis c'est tout. » C'est la rencontre avec des militantes rennaises qui change tout :  « Elles m'ont respectée, m'ont donné confiance en moi ; on a travaillé ensemble, j'ai appris des choses, elles avaient beaucoup d'expérience, je peux dire que j'ai été formée dans et par la vie associative. C'est l'échange d'expériences qui construit une personne. » 

Elle a gardé aussi en mémoire l'exemple de sa mère, vice-présidente d'un regroupement de femmes de militaires. Elle les voyait se réunir souvent autour du poulet qu'elles partageaient, une cuisse pour les plus parfumées et les plus « costaudes », une aile pour les plus maigres, l'objectif étant d'être la plus grosse possible pour plaire au  mari. Elles se soutenaient les unes les autres, créant des tontines pour financer leurs projets. «  Elles visaient leur autonomie. A cette époque-là, se dessinaient des choses qui n'avaient pas encore de nom, qui n'étaient pas organisées. Certes, ce n'était pas la même vision de la femme mais cela m'a donné une idée de l'engagement, ce que j'ai fait quand, professeur, je suis devenue vice-présidente du syndicat de ma région. »

« Un être marginal »

En France, Fatimata peut comparer : si les femmes vivent partout des situations d'inégalité, la femme française bénéficie d'une protection juridique et sociale que la femme nigérienne n'a pas. Petit à petit naît donc l'idée de créer une association : ce sera Mata, la femme en langue haoussa, en 2003. Objectif :  « Promouvoir l'autonomie politique, sociale et économique des femmes. »

« La femme nigérienne, explique-t-elle sur le site de l'association, demeure un être marginal tant sur le plan social que politique, reléguée à l'arrière plan de la scène, entretenue dans l'ignorance et l'obscurantisme. La vie ne lui offre que d'être analphabète, peu formée, limitée aux postes subalternes de l'emploi et figurante sans voix. Les multiples corvées éprouvantes qu’elle effectue : puisage de l’eau, ramassage du bois, préparation des repas, agriculture, élevage, artisanat, petit commerce et son rôle de mère, ne lui laisse guère le temps de s’occuper d’elle même. »

La « prison mentale » des victimes de la fistule

Nigériennes haoussas (photo Michel Rouger)
La première étape pour Mata sera la lutte pour l'éradication de la fistule. Au moins deux millions de femmes, principalement en Afrique, sont atteintes de la fistule vésico-vaginale. Elle apparait suite à des accouchements difficiles qui peuvent parfois durer cinq jours, à cause du jeune âge de la maman, de la malnutrition ou de l'impossibilité de pratiquer une césarienne. Elle est aussi une des conséquences des mutilations génitales comme l'excision.

La fistule, si elle n'est pas opérée, provoque une incontinence permanente. Elle entraîne aussi des difficultés à marcher, les nerfs des membres inférieurs étant atteints. Les femmes ne se sentent pas seulement humiliées, elles sont rejetées par leur mari, évitées par leur communauté et blâmées pour leur état. 

« Elles sont dans une grande détresse sociale, une prison mentale », dit Fatimata en se souvenant de ces femmes lui tirant sur son pagne à l'hôpital. « Elles sont pauvres et ne comptent pas sur le plan politique, elles sont invisibles, ajoute-t-elle, elles n'ont plus droit à la vie alors qu'elles ont voulu donner la vie.  » Le visage de Fatimata est grave, elle sait ce que garder la vie veut dire. « Je leur ai dit "On arrête de pleurer et on fait quelque chose" ; la première était de réinsérer les femmes. »

Les matrones en femmes relais

Mata se rapproche du réseau nigérien d'éradication de la fistule. Ce réseau travaille sur le terrain en lien avec les autorités sanitaires locales. Mata cible d'abord le milieu rural et repère, avec le réseau des femmes relais, des matrones à la discrétion éprouvée, qui seront formées pour prendre en charge les femmes enceintes. Elles sont cent-cinquante à avoir suivi une formation à ce jour. Petit à petit, les jeunes femmes et leur famille leur font confiance. Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir les maris accompagner leurs femmes enceintes. 

Voilà pour la prévention mais qu'en est-il de celles qui sont atteintes de la fistule ? « Il faut qu'elles puissent s'insérer économiquement, c'est une première étape importante pour espérer leur réhabilitation au sein de la famille. Nous avons mis en place un système de marrainage. Les françaises sont sollicitées pour soutenir financièrement la création d'entreprises par les femmes rejetées à cause de la fistule. » Une tontine franco-nigérienne en quelque sorte.

Le troisième volet de l'action de Mata est la formation de gynécologues. Le Docteur Blanchot, gynécologue français, le Docteur Sanda, urologue nigérien et le Docteur Barkiré, gynécologue nigérienne, travaillent ensemble pour comparer et échanger les expériences afin de mettre au point des techniques et des méthodes efficaces et adaptées.

Imposer des lois

Azara Campaoré, militante burkinabé
Mais le combat de Fatimata Warou et des militantes de l'association ne s'arrête pas là : « Tant que les femmes ne sont pas dans les instances de décisions, leurs difficultés ne sont pas prises en compte dans des lois. Il faut que les femmes puissent s'appuyer sur la législation du pays puis faire appliquer les lois. »

C'est ainsi qu'est née l'idée d'un échange entre femmes responsables du Niger, du Congo, du Mali et du Burkina Faso. À ces femmes engagées dans la société civile ou élues, l'association Mata a proposé de venir à Rennes pour voir ce qui se passe ailleurs et mettre en distance leurs propres expériences. La rencontre a eu lieu à la Maison Internationale de Rennes (MIR) à l'automne 2011.

Les boubous aux couleurs chatoyantes des invitées et des femmes africaines de la diaspora ont côtoyé les tenues plus sombres des femmes rennaises engagées elles aussi dans la vie locale, présidentes d'association et élues politiques. Le français aux accents différents a donné à la MIR plein sens à son action de rapprochement des cultures.

Des Africaines et des Bretonnes en réseau

« Comment nous voulons conduire nos pays, comment faire avancer les lois avec notre regard de femme, ce sont des questions que nous partageons. Nous avons beaucoup appris les unes des autres. Par exemple, pour certaines, la découverte du problème de la fistule, ce qui va donner lieu maintenant à une collecte de données au Congo et au Burkina. Cela nous a donné envie de travailler ensemble parce que nous avons des problématiques communes, avec des solutions différentes à adapter. C'est pourquoi nous avons créé FABER ( Femmes d'Afrique et de Bretagne en Réseau) pour poursuivre ces échanges. »

 C'était un sacré pari de faire venir des femmes militantes africaines sans ressources. Mais les Rennais ne s'y sont pas trompés, ils et elles ont été nombreux à suivre les débats, parfois bien affirmés. L'ancien maire de Rennes Edmond Hervé les a regonflées à bloc : « Soyez fières de vos pays », leur a-t-il lancé.
 

« Les femmes sont justes, ajoute Fatimata, et, quand il y aura plus de femmes dans les instances dirigeantes, il y aura plus de justice. Avec plus de justice, les pays vont plus avancer.  Les femmes donnent un autre visage à l'engagement. Elles sont sans ressource et elles utilisent tout ce qu'elles ont pour faire avancer la situation. Elles n'ont pas de formation mais leur expérience leur sert à innover. La question est : comment nous voulons conduire nos pays, faire avancer les lois avec notre regard de femme. Jusqu'à présent, on n'avait que la vision des hommes. Mais nous sommes capables de gérer nos pays et pour cela, on n'a pas le choix, il faut que nous soyons dans l'innovation. »



Texte et photos : Marie-Anne Divet

Pour aller plus loin


- Le site de Mata


Avec Mata, s'engager avec les femmes d'Afrique pour le développement par le marrainage

 L'association travaille avec les femmes atteintes de fistules et propose des formations pour les aider à prendre leur autonomie sociale et financière à leur sortie de l'hôpital. Elles auront un suivi et les fonds nécessaires pour monter leur propre activité et participer au développement économique. Depuis 4 ans, elles sont trente femmes à avoir retrouvé dignité et reconnaissance dans leur village. Si vous souhaitez entrer dans cette tontine d'un genre particulier, remplissez le formulaire ci-dessous.
 

MARRAINES.doc .pdf  (179.09 Ko)



Dans la même rubrique