05/05/2011

Cherif Moali, le plus breton des Kabyles


Cherif Moali, fils d'un marchand de fruit et légumes kabyle, a construit sa vie en Bretagne, à Rennes. Elle est pétrie aujourd'hui de deux cultures, de bonheurs et de mélancolie.


C’est un Kabyle qui tient l'une des dernières brocantes de la capitale bretonne. Un rayon de soleil dans la bruine et la grisaille océanique. « Hé mon ami, un café! » Les mots cascadent suivis d’un rire sonore. 

Cet après-midi-là, Cherif Moali se tient assis sur une chaise en paille le long du trottoir. A deux pas de l’ancienne prison Jacques Cartier. Dans son dos s’entassent des vieux livres et des meubles en bois fruitier du pays de Rennes. Des objets qui lui ressemblent. Polis par le temps, fatigués, un peu de guingois parfois. Il les restaure avec minutie. Leur redonne une patine. 

« Ce monde, je l’ai épousé qu’il le veuille ou non »

Cherif Moali aurait dû passer sa vie dans un bureau. Jongler avec les chiffres. « Mais apprendre un métier et l’exercer, ce sont deux choses différentes », glisse-t-il avec philosophie. Tant pis pour la comptabilité et place à la brocante grâce à un ami. « J’achète et je vends des cartes postales et des faïences de Quimper, des armes de collection et des casques. » Avec le temps, le p’tit broc est devenu incollable sur la Bretagne et ses châteaux. C’est le plus breton des Kabyles. Mais l’inverse est vrai aussi.

A l’heure des crispations identitaires et des tensions sur l’immigration, lui sait bien quand il se retourne tout ce qu’il doit à son pays d’adoption. « La culture française m’a ouvert les yeux. » Hommage de ce fils d’un marchand de fruits et légumes à sa terre d’adoption. « Ce monde, je l’ai épousé qu’il le veuille ou non. Finalement, j’ai deux cultures: celle du monde où je vis et celle du monde auquel j’appartiens. »

« Le temps n’est jamais immobile »

De son enfance dans un village de montagne, il garde la mémoire sucrée des figues de barbarie et de ces maisons couvertes de tuile romaine. La chaleur lourde des été algériens et ces conversations sur le pas de la porte. « Parfois, j’ai le mal du pays. J’y retourne. Mais tout a changé. Le temps n’est jamais immobile », dit-il avec un sourire mélancolique.

Comme tous les immigrés, Cherif le sait bien, la bascule se fera avec ses petits-enfants. « S’ils vivent ici, comment pourrais je partir. Le monde avance, il faut l’accepter comme il est. » 

Patrice Moyon


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