21/11/2012

Bernard veut réveiller la France d'en bas


Qui est donc ce drôle de personnage, « modeste retraité » comme il se qualifie, qui tout seul lance sur Daily Motion en Janvier 2012 un « Appel à l’Union et à la Mobilisation ». En suivant son fil sur la toile on découvre qu’il est l’auteur d’un livre politique achevé en 2010 et qu’il a tenté de structurer à partir de son blog/site le mouvement « Action Citoyens Solidaires », avant de rejoindre le réseau Nouvelle Donne.


Installé en Bretagne depuis qu’il a pris sa retraite, Bernard a trouvé refuge récemment au cœur d’un coquet ensemble pavillonaire HLM, en bordure d’une petite commune rurale des Côtes d’Armor. « Un peu loin de tout hélas, mais c’est une chance d’avoir obtenu ce logement. Sinon avec ma petite retraite de 900 € - et beaucoup de dettes - je n’arriverais plus à me loger » nous dit-il en faisant le “tour du locataire“. C’est là, de sa chambre bureau, attablé devant son ordinateur plus de dix huit heures par jour, que Bernard, milite dans le monde virtuel et tente de constituer - dans le monde réel - des réseaux actifs. 
 

A la retraite, se décider à écrire

L’idée d’écrire un livre pour présenter ses idées politiques, il l’avait depuis plus de vingt ans « C’était lors d’une soirée entre potes, bien arrosée. On se reprochait mutuellement de ne rien faire pour que ça change ». Bernard avait des idées en tête mais un peu de mal à les exprimer et les défendre. « Pendant des années j’ai reculé, reculé et le déclencheur a été l’élection de Sarkozy. Je n’en pouvais plus de le voir ».
 
Le temps de la retraite arrivée, il se met au travail. Il écoute, il lit, se documente. Et en moins de quatre mois, il a fini d'écrire son livre "Quand la France d'en bas se réveille".  Deux cent pages, très denses, de réflexions et de propositions de réformes qu'il met en page lui même et édite sur son site Internet ACS. En annexe de l'ouvrage, Bernard va jusqu'à proposer un projet de réforme de la Constitution, "clé en main", en 20 titres et 128 articles.

A ceux qui lui reprocheraient d’avoir rassemblé des idées dans l‘air du temps, il n’objecte rien, au contraire : « Je n’ai pas la science infuse bien sûr. Ce ne sont pas mes idées. Je les ai entendues, j’ai bien ouvert les oreilles, les yeux. J’ai accumulé un monceau de notes. La difficulté c’est de rendre cohérentes des propositions qui peuvent parfois apparaître inconciliables ».  De son expérience personnelle, il tire la conviction qu’une bonne politique « doit convenir au petit patronat, à l’ouvrier et au SDF ». Ainsi Bernard Gonel a fait un colossal travail pour produire sa synthèse politique personnelle. Comme s'il avait besoin, après un parcours sinueux, de se donner une boussole pour fixer son cap d'engagement. Il découvre qu'il n'est pas seul. Très rapidement, plus de 4000 internautes s'inscrivent à sa page Facebook.
 

En 68, militaire à Mourmelon.

Qui aurait prédit que Bernard deviendrait à l’heure de la retraite un intellectuel-militant, un peu geek. Avec son seul certificat d’étude en poche, ce fils d’ouvrier ne voit rien d’intéressant à faire dans les campagnes de l’Aude, entièrement dédiées à la culture de la betterave. Alors, à 18 ans, il s’engage dans l’armée. « Je pensais y apprendre un métier, en fait j’ai perdu cinq ans ! » regrette-t-il.
 
68,  il le vivra consigné au fort de Mourmelon où les officiers semblaient se préparer au pire. On sent son regret de ne pas avoir pu participer alors au mouvement social. Comme il l’écrit sur son blog : « Pour moi, le symbole de l'esprit contestataire, c'est l'époque des seventies (et même dès 1968). Les gens avaient encore quelque chose dans les tripes et ne se défilaient pas lorsqu'il fallait se mobiliser. Ils avaient conscience que si l'individualisme interdit tout espoir de progrès social, en revanche la participation de chacun à l'action collective peut tout changer. »
 

L’entrepreneur connaît par trois fois la rue.

Libéré, il rentre à la RATP. Chef de station du RER pendant cinq ans. « Je faisais du contrôle, se rappelle-t-il, mais je ne suis pas fait pour cela, ça ma usé les nerfs ». Alors il quitte la fonction publique pour créer sa première entreprise de distribution de prospectus. « Ça marchait bien mais je ne savais pas qu’il fallait payer des charges sociales ». Sommé de régler ses cotisations par l’URSSAF il doit arrêter son activité. « Je n’étais pas salarié alors pas de chômage et le RMI n’existait pas encore. »

C’est la rue. « Clochard pour la première fois… » Car il y aura deux autres épisodes semblables entrecoupés de sales boulots, avec des patrons qui ne vous déclarent pas, voire ne vous payent pas. Durant cette période, Bernard tentera deux fois encore l’aventure de l’entreprise. La dernière aurait pu marcher s’il n’avait été victime d’un associé indélicat. « De toute façon j’étais pas doué pour la gestion d’entreprise », admet Bernard sans regret apparent et avec un brin de d’autodérision. « Même si c’était des années de galère, j’ai beaucoup appris de ces expériences ».
 
Un stage d’insertion, et surtout le soutien « d’un gars qui trouvait intéressant ce que je racontais », vont lui permettre de reprendre pied pour les dernières années de sa vie active. Il suit une formation informatique. Après un court contrat comme accompagnateur d’insertion – « je m’occupais de gens qui vivaient la même galère que moi mais je manquais de recul pour les aider » – il trouve un emploi de formateur bureautique pour une communauté de commune dans le Lot-et-Garonne. « J’ai été heureux pendant six ans mais le départ à la retraite, je l’ai vécu douloureusement ». Ecrire son livre et diffuser ses idées sur le net, lui ouvrent de nouvelles perspectives.
 

Créer un mouvement

À la dernière Présidentielle, il a appelé à voter Mélenchon. « Pas parce que je me reconnais totalement dans l’extrème-gauche, précise-t-il, mais quand un homme politique dit stricto sensu, les détails en moins, ce que je pense et que j’ai écris, je vois pas comment je ne le soutiendrais pas ».
 
Bernard découvre la proximité de ses propositions avec les idées de Pierre Rahbi dont il lit le livre, des Indignés avec lesquels il partage un combat à Morlaix, du réseau Nouvelle Donne et Roosevelt 2012 qu'il découvre sur le web. Il choisit de s’inscrire désormais dans leurs réseaux et renonce progressivement à structurer son propre mouvement. « Au début, après avoir mis mon livre en ligne, j’ai essayé. J’ai proposé aux 380 personnes qui se sont inscrites sur mon site d'organiser des réunions dans leur département et de désigner un délégué. Mais ça ne s’est fait que dans deux départements ». Pas mal quand même !
 

Passer de l'engagement virtuel au militantisme de terrain

Ça ne satisfait pas Bernard qui découvre la distance entre le militantisme virtuel via les réseaux sociaux et l’action politique de terrain. Le premier il le pratique à haute dose depuis quatre ans : « Je collabore à plus de 25 blogs. Je dois en permanence être en veille, commenter… C'est indispensable pour rester visible sur le web ». Il a parfois l’impression de perdre son temps. «Je fais tout ça pour me dire que j’ai tout essayé. Mais quand on n‘est que dans le virtuel on n’arrive à rien. ».

Bernard pense qu'il faut que tous ceux qui ne se retrouvent pas dans la gauche officielle travaillent ensemble et se rencontrent pour l'influencer : les Colibris, les indignés, les partisans de Roosevelt 2012, « en Côtes d'Armor on pourrait être une cinquantaine ». Mais il exprime une certaine lassitude en évoquant sa difficulté à organiser la rencontre. « A 66 ans, je suis un peu fatigué. et je n'ai jamais été très doué pour organiser les autres ». Et puis avec ses très petits revenus c’est difficile se déplacer à travers le département pour tenir des réunions. Pourquoi ne pas faire des conférences à distance avec Skype ? « C'est une bonne idée. J’ai la petite caméra, je vais essayer »
 

Il y a quelque chose du facteur Cheval chez Bernard Gonel. Il n’a pas bâti un “Palais Idéal“, mais écrit son “projet politique idéal“ pour « une société plus équitable, plus solidaire et plus humaine ». A l’instar du sculpteur poète qui, en édifiant seul son œuvre monumentale, voulait « montrer ce que peut créer la volonté », Bernard se consacre corps et âmes à l’écriture et à la promotion en ligne de son programme « pour ne pas seulement gueuler comme tout le monde, mais proposer des solutions ».

Alain JAUNAULT (photos de Christophe Lemoine)


Voir aussi l'article 2 du Tryptique : L'amateur de politique à l'ère numérique

Dans son ouvrage "le sacre de l'amateur", Patrice Flichy consacre un chapitre entier aux "amateurs et la citoyenneté". On trouve là des clés de lecture intéressantes pour comprendre dans quel mouvement s'inscrit l'engagement et le formidable travail des amateurs de politique s'exprimant sur la toile, comme Bernard Gonel. Ces "experts de l'en bas", comme les appelle aussi Patrice Flichy.
 

Les liens de Bernard Gonel

Le groupe facebook d'ACTION CITOYEN SOLIDAIRES
L
a page facebook de D'action citoyens solidaires    
Le site d'Action Citoyens Solidairessur overblog    

 

Pour lire le livre de Bernard Gonel



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