14/09/2020

Alors, un jour, Hélène découvrit le cheval thérapeute

Reportage : Marie-Anne Divet


Hélène Viruega dit d’elle qu’elle a eu plusieurs vies à déclics. Et à ses côtés, un compagnon fidèle : le cheval, celui qu’elle a eu à 12 ans tout comme le robot qui teste les personnes en situation de handicap qu’elle accueille à Equiphoria, l’institut qu’elle anime et qui l’anime. Un parcours de vie au trot ou au galop parfois, mais toujours au pas des personnes en difficulté.


Un coin de fraîcheur dans la maison. Dehors, il fait chaud, très chaud. Emergent les souvenirs d’une autre chaleur, celle du continent africain de sa jeunesse : sa nounou qui la berçait des contes et des mythes de sa culture, la vie dehors, à l’africaine, la nature et les animaux à portée de mains. « Sur cette terre gorgée de soleil, quelque chose se passe. J’ai une jeunesse embarquée dans des mondes différents. Ce sont mes racines : l’Afrique, c’est ma deuxième patrie. »  

Née en Algérie en 1960 dans une famille de pieds-noirs d’origine espagnole, son père, au gré des mutations, l’emmène au Congo Brazzaville, au Nigéria pendant la guerre du Biafra, en Côte d’Ivoire où elle passe son bac. Son père est un cavalier émérite Il a fait ses classes à Saumur. Il lui offre son premier cheval, elle a 12 ans. « Introvertie, dit-elle, je passais beaucoup de temps avec lui. »

Elle rêve de devenir médecin. Elle a 18 ans, se marie, a un enfant à 19 ans et divorce à 20 ans. Fin des rêves : « Je me retrousse les manches pour nourrir mon gamin, je prends mes responsabilités et j’avance. Je n'ai plus le choix. »

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Premier déclic, la rencontre d'un Indien du Colorado

© Equiphoria
Elle a 27 ans. Elle suit son conjoint, directeur dans une compagnie pétrolière, en déplacement dans le Colorado. Elle s’ennuie dans l’hôtel où elle n’est que la femme de… Elle ne supporte plus. Le cheval et son guide Indien Arapaho viennent vers elle. Elle raconte :
« Le déclic, c’est là : cette promenade avec cet indien dans les montagnes du Colorado. Cette envie puissante de collaborer avec la nature, avec l’animal, d’une façon respectueuse, avec souplesse, avec toute cette communication non verbale, la puissance de la terre, tout ce que je ressentais en moi sans le saisir, soudain, se réalisait. »
Hélène Viruega tourne la tête vers la fenêtre. Le silence s’installe. Elle revit cette descente de la montagne où son corps ne fait plus qu’un avec le cheval : « Quelque chose de très fort. Je ressens au plus profond de moi ce travail intime avec l’animal, cette collaboration, sans contrainte, sans rapport de force », ajoute-t-elle d’une petite voix. « Sans le savoir, j’entrais dans une quête. » Un temps de silence et Hélène Viruega se redresse : 
« Quand on est en quête, on est disponible pour les bonnes rencontres. Je n’étais plus dans le mode "je vais faire une carrière", mais dans "je vais communiquer quelque chose".  Je ne savais pas encore quoi, mais il y avait cette sensation très forte que je pouvais contribuer à quelque chose de bien sur la planète, avec les animaux, avec la nature, pour les humains. Je me suis dit : "OK, Hélène, tu es sur le bon chemin !" C’était comme si l’autorisation de faire se révélait. Cela me donne toujours envie de pleurer quand j’y pense. » 

A l'écoute de l'autre

© Equiphoria
Mais, quand elle pousse la porte de l’hôtel, son ancien monde, lui, n’a pas bougé : elle a commencé des études de médecine, il y a les enfants, le mari, le travail. Elle découvre combien elle est une femme privilégiée alors qu’elle commence à ouvrir les yeux sur les humains en souffrance. Aux Pays-Bas où elle vit, elle rencontre une femme qui lui parle de méthodes boudhistes et de programmation neuro-linguistique (PNL) . Elle apprend l’écoute de l’autre, avec une approche aidante. Elle explore d’autres manières d’être avec le cheval. 

Le bouche à oreille fonctionne et on la sollicite :
« Je gère les problèmes des chevaux et en même temps j’aide les gens qui s’en occupent. Je pars là-dedans sans me dire que je suis quoi que ce soit, je ne me donne pas de nom de travail. Je n’ai pas de carte de visite. Ce n’est pas un business.»
Mais elle a changé. Son mari ne la reconnaît plus. Elle a troqué les talons hauts et les ongles bien faits pour le survêtement. Leur chemin se sépare. Le sien l'emmène en Amérique.

Quand une française recueille les savoirs des peuples amérindiens

© CC BY-SA 4.0
« J’ai rêvé de toi, te voilà enfin ! », lui dit le vieil Indien du Montana quand il la voit pour la première fois. Comme les nouvelles générations d’Amérindiens, elle est à l’écoute de l’ancêtre. Les portes s’ouvrent encore plus grande lorsqu’elle aide la femme d’un chef. Elle passe beaucoup de temps chez les peuples Blackfeet et Flathead : elle suit les cérémonies, s’initie à la médecine traditionnelle, apprend à reconnaître les plantes et à les préparer, elle rencontre les chuchoteurs de chevaux. 
« La confiance s’est établie quand ils ont compris que ma quête était dans mes tripes. Derrière les rites, j’entendais la voix de ma nounou africaine. Elle m’avait aussi enseigné ce message universel d’amour et de respect qui n’appartient pas à une civilisation ou à une autre car nous l’avons en nous. »
Il y a aussi le vieil indien qui lui murmure à l’oreille : 
« Hélène, avec tes rêves, tes visions, ta façon de respecter nos traditions, tu nous apportes beaucoup.  Tu sais, autrefois, il n’était pas bon d’être indien. C’était beaucoup de souffrance.  Aujourd’hui, nous devons parler et passer le message pour contribuer à sauver la planète. Nos petits-enfants doivent apprendre à observer la nature pour la respecter, pour que quelque chose de bon en sorte. »
En parallèle de cette démarche, elle travaille : elle est le bras droit d’une riche propriétaire du Montana. Celle-ci vient d’acheter 640 hectares de terre pour l’entraînement des cavaliers de haut niveau afin de les préparer aux qualifications de la coupe du monde. Hélène Viruega s’occupe de tout ce qui est la « French  touch », du logo aux dîners des sponsors. On est dans le haut niveau de la compétition avec beaucoup d’argent à la clef. Son accent français fait un tabac. A chaque dîner officiel, restaurateur et menu à la française, elle décide de présenter une association qui a des besoins financiers. « Si j’arrive à faire couler des larmes à tous ces gens-là, cela les aidera. »

« C’est le déclic de ma vie ! »

« Un jour, ma boss me dit : « J’ai entendu parler de quelqu’un qui met des personnes avec un handicap sur des chevaux. Tu devrais aller voir. Prends le carnet de chèques et voit ce qu’on peut faire. » J’arrive dans cet endroit, c’est un petit truc de rien du tout, une petite cabane, un petit rond de sable, un rideau en moquette et derrière c’est la chambre du mec. Sur le côté, un vieux poêle avec son tas de bois coupé, un vieux sofa tout troué où sont assis les parents, les chiens au milieu et les chevaux qui tournent en rond. Je rentre. Et il y a cette gamine – je n’avais jamais vu de personnes avec un handicap comme cela, de ma vie – une fille attachée de partout, qui bavait, très handicapée.

Je vois le mec qui s’approche, qui lui parle avec tendresse, qui détache tous les trucs qui la retenaient assise, il la sort de sa coque et la pose délicatement sur le dos du cheval. Je me mets à pleurer, je craque, je sors, cela me secoue. Je me calme, je re-rentre, je regarde : la gamine est droite sur le cheval. Tout l’après-midi, je vois passer des gens, c’est la cour des miracles. Et à chaque fois, c’est une histoire incroyable où les corps se transforment. Et lui, toujours dans la bienveillance, avec calme.

C’est le déclic de ma vie. Je comprends pour quoi je suis faite : je vais aider les gens avec les chevaux. Cette petite qui se redresse et qui sourit, j’ai ce visage en tête pratiquement tous les jours, et surtout quand c’est dur. Je me dis que ce n’est pas possible d’arrêter ce que j’ai entrepris. Cela donne un sens à ma vie. »

« Une découverte fantastique »

De retour au travail, elle se sent investie d’une mission. Elle téléphone au Sundance Festival de Robert Redford, elle mobilise un réalisateur pour tourner le film « Go horse please » sur Bob et Timi Burmood et leurs chevaux, elle loue des salles pour le projeter afin de lever des fonds. 

Elle se forme et découvre la puissance extraordinaire du cheval. Bob et Timi Burmood lui font prendre conscience que bien au-delà du lien avec l’animal et son incidence sur le mieux être psychologique de la personne en situation de handicap, il participe activement à la réparation du corps du patient. « Une découverte fantastique » dit-elle. Une nouvelle quête de savoir, qu’elle entame alors en cherchant des lieux de formation. Elle est déçue : « Le monde du cheval n’arrive pas à faire le pont avec le monde médical. Il n’y a pas de recherches, de propositions pour une réparation corporelle, pas d’écrits. »

Elle étudie les pathologies du handicap. Cela devient une obsession. Elle propose aux Burmood de transformer leur centre en s’adaptant aux normes médicales. Ils refusent : ils ne veulent pas changer ce qu’ils vivent humainement avec les patients. 

« Vous êtes folle, mais il faut le faire »

© Equiphoria
Dix ans de recherches, Hélène Viruega se sent prête à sauter le pas… en France. Elle y retrouve Erik Bogros, un ami d’enfance prêt à se lancer dans l’aventure à condition, lui dit-il, que « si un seul médecin est contre, on arrête car on va se confronter au monde médical et ce sera la galère. » Banquier à l'international, lui aussi en recherche de sens, Erik Bogros, devenu depuis son mari, veut bien assurer au niveau de la gestion et des réseaux financeurs dans le cadre de l'Economie sociale et solidaire. Hélène Viruega va à la rencontre des spécialistes, de la psychiatrie à la réadaptation fonctionnelle. Ils disent : « Vous êtes folle mais il faut le faire.»

« Mettre une personne en situation de handicap sur un cheval, c’est de l’équitation ou du loisir adaptés mais ce n’est pas du soin », martèle Hélène Viruega aux professionnel.les et aux patient.es. « On ne fait pas de soins dans un centre équestre. » A l’Institut Equiphoria qu’elle crée en 2012, les professionnels travaillent sur la plasticité cérébrale avec les dernières découvertes des neuro sciences. Ce qui fait la différence, c’est le cheval :
« C’est le cheval qui initie le mouvement d’une personne qui est en fauteuil et pourquoi c’est si puissant ? Parce que le pas du cheval imite la marche humaine et le cerveau du patient sur le cheval pense que cette personne marche normalement de façon équilibrée. Cela enclenche sur le plan neuronal un processus et à partir de cela, on peut faire une proposition thérapeutique et aider à la réhabilitation neurologique. » 
Autre victoire pour Hélène Viruega : la médecine en milieu naturel. Equiphoria est en pleine nature à La Canourgue en Lozère.
« Les patients qui sont continuellement dans une atmosphère d’hôpital en ont marre des odeurs, des blouses blanches, des machines. Quand ils arrivent ici, ils sont dans la nature avec des animaux, en contact avec des gens, avec une autre ouverture. On n’est pas en train de dire qu’on remplace la médecine. On est dans la complémentarité. On propose une période de transition pour le patient qui sort des soins intensifs, pour les aidants qui sont dépassés. Le corps médical n’a pas forcément le temps ni les moyens d’être à l’écoute. On a réellement un créneau par rapport à la plasticité cérébral : on voit des gens qui viennent dix ans après un accident, déclarés « consolidés » et qui font des progrès incroyables. Dans notre laboratoire de recherches, chaque nouveauté dans le domaine neurologique est explorée. » 

Une quatrième vie et pas la dernière

© Equiphoria
Hélène Viruega est partout : dans la formation des salarié·es et des chevaux, dans l’accueil des patients, des aidants et des professionnels en immersion, à la recherche de partenariat pour dupliquer l’Institut à travers toute la France, en interventions partout où elle peut et doit convaincre. 

Elle prépare un deuxième ouvrage sur la force du mouvement dans la plasticité cérébrale, pour faire suite à « Le pouvoir du lien » qui vient de paraître chez Actes Sud et qu’elle a écrit avec Manuel Gaviria, le médecin responsable du laboratoire de recherche de l’Institut.
« Ces livres à quatre mains expliquent comment chacun est dans son monde et pourquoi il est vital de faire le lien entre ces mondes. Ce qui nous fait souffrir dans nos pratiques de soins, c’est qu’on compartimente les choses et que, de compartiment à compartiment, on ne se parle pas. Le patient est en petits morceaux, bourré de médicaments, sans cohérence à cause de cette compartimentation. Les spécialistes oublient parfois qu’ils sont des êtres humains tout comme les patients sont des êtres humains. Un patient n’est pas qu’un organe. Il sait des choses sur son corps, qui sont à écouter. Pour moi, Equiphoria, c’est l’engagement dans la confiance, cela me vient de mon éducation africaine. C’est aussi un cadre rigoureux, enseignement que m’a transmis mon père, un cadre rassurant pour donner à la créativité sa liberté. »

L’Institut Equiphoria
Situé à La Canourgue, en Lozère, Equiphoria est un centre médical obéissant à toutes les normes de sécurité avec des protocoles de soins et d’admission, un centre de recherches avec des publications scientifiques à l’international, et un membre du réseau de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS). Il ne reçoit pas de subventions ni ne travaille avec des bénévoles. Il emploie des CDI dipômé.e.s. avec une marge de salaire qui va de 1 à 3 (palefrenier, psychologue, kiné, médecin). Pour les soins, plus de 75 % des patients sont pris en charge intégralement par les mutuelles.


Des textes et vidéos pour en savoir plus 

EQUIPHORIA, le site

• "Des chevaux qui soignent" : un reportage d'ASH (Actualités sociales hebdomadaires)

• "Le Pouvoir du lien", quand hippothérapie et neurosciences cheminent ensemble. Un ouvrage à quatre mains d'Hélène Viruega et Manuel Gaviria, médecin neurologue. Editions Actes Sud, juillet 2020, 128 pages, 18 €
 





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